le collier sacré de Montézuma - Жюльетта Бенцони страница 3.

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La dernière voiture à déposer son monde fut une antique mais superbe Panhard & Levassor brillant de tous ses cuivres et de sa carrosserie qui semblait faite de laque noire. Un chauffeur âgé mais d’une tenue admirable la conduisait en majesté. Le valet de pied commis à cet effet se précipita pour ouvrir la portière mais déjà l’un des trois occupants avait sauté à terre et se retournait pour aider ses compagnes à descendre. Il y eut un frémissement chez les journalistes :

— Tiens ! fit l’un d’eux. Voilà Aldo Morosini !

— Le prince expert en joyaux anciens ? Tu es sûr ? s’exclama, excitée, une très jeune femme qui accomplissait son premier stage au

Figaro

— Ce qu’il est chic ! soupira l’apprentie reporter qui répondait au nom de Stéphanie Audoin. Il est marié ?

— Plutôt, oui ! Il a épousé Lisa Kledermann, la fille du banquier suisse. Une sacrée belle femme et une sacrée fortune ! Ils ont deux ou trois gosses, je crois !

Nouveau soupir :

— Il y en a qui ont vraiment tout et certains pas assez ! Mais elle n’a pas l’air d’être présente ? Qui sont les deux autres ? On dirait qu’elles se sont trompées de siècle !

— Hé ! Doucement ! Quand on prétend faire la rubrique des mondanités au journal, il vaut mieux savoir à qui l’on a affaire ! C’est le dessus du panier, cette vieille dame : la marquise de Sommières, la grand-tante de Morosini. Elle était à Versailles, elle aussi, et je peux t’assurer que c’est quelqu’un. Tu as vu son allure ? Elle pourrait s’habiller comme au temps d’Henri IV que personne ne s’aviserait de la trouver ridicule.

— Il faut dire qu’avec une pelisse, une toque et un manchon de chinchilla, ça friserait la mauvaise foi ! Tu as raison : elle est superbe ! Et l’autre ?

— Sa demoiselle de compagnie et aussi une cousine. Mlle du Plan… quelque chose. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que ces trois-là ne semblent vraiment pas être à la noce, si j’ose dire !

En dépit des règles sévères du savoir-vivre, c’était évident pour qui savait discerner un sourire naturel d’un sourire de commande et cela tenait en peu de mots : aucun membre du trio ne voyait ce mariage d’un bon œil – trop rapide, trop mal assorti et pour tout dire vaguement inquiétant…

En recevant, un mois plus tôt à Venise, une lettre de son ami Gilles Vauxbrun lui annonçant son prochain mariage et lui demandant d’être son témoin, Aldo avait d’abord cru à une plaisanterie. D’un goût douteux d’ailleurs. Comment imaginer, en effet, qu’après avoir vu, six mois auparavant, les portes de la prison de la Petite-Roquette se refermer sur la dame de ses pensées, l’antiquaire de la place Vendôme ait pu s’enticher d’une nouvelle au point d’être prêt à la conduire à l’autel et à aliéner pour elle une fastueuse vie de garçon à laquelle il semblait tenir ? Exposé à Lisa, sa femme, le problème perdit beaucoup de son mystère. Elle avait commencé par en rire :

— Veux-tu me dire de combien d’affriolantes créatures ton ami Gilles Vauxbrun est tombé amoureux en seulement deux ans ?

— Eh bien, mais…

— On va compter ensemble. Au moment de l’affaire de la perle, il délirait pour Varvara Vassilievich, la danseuse tsigane du Schéhérazade. Cela fait une. Quand tu courais après les joyaux de Bianca Capello aux États-Unis, il a pris feu pour Pauline Belmont, Américaine, veuve d’un baron autrichien et sculpteur de talent. J’admets qu’il y avait de quoi, remarqua la jeune femme en évitant de regarder son mari, mais cela fait deux. L’an passé, il t’a embarqué dans l’exposition de Trianon qui s’est transformée en hécatombe parce qu’il était fou de lady Crawford, née Léonora Franchi, une pulpeuse Italienne mariée à un Écossais qu’il a fallu retirer de la circulation. Et de trois ! J’ouvre une parenthèse pour te faire remarquer qu’avant la Tsigane, le cœur inflammable du bon Gilles devait bien battre pour quelqu’un ?

— Pour autant que je m’en souvienne, il s’agissait d’une cliente… danoise dont j’ai oublié le nom…

— … ce qui est sans importance. Étant donné l’âge de notre Casanova, elle ne devait pas être la première. Ce qui est remarquable d’ailleurs, c’est le côté caméléon de ce cœur d’artichaut dont les feuilles prennent tour à tour les couleurs de nationalités différentes. C’est quoi, aujourd’hui ?

— Sang et or ! La brûlante Espagne ! Doña Isabel de Vargas y… quelque chose. La descendante de grands d’Espagne émigrés avec Cortés.

— Le contraire m’eût étonnée. Dès qu’une fille de la torride Ibérie débarque sur le marché du mariage, c’est toujours celle d’un grand, jamais d’un petit. En fait d’Espagne, je pencherais plutôt pour le Mexique. Où l’a-t-il trouvée ?

— À Biarritz, en novembre dernier. Il y était allé à une vente de château. Il ne m’en a pas dit plus mais, de toute évidence il plane dans les nuages. Le mariage est fixé aux 11 et 12 février.

— Ce n’est pas un peu rapide ?

— Il est pressé : elle n’a que vingt ans et il a peut-être peur qu’elle ne change d’avis. Je ne te cache pas que je n’aime pas beaucoup ça !

Lisa se leva pour venir glisser ses bras autour du cou de son époux :

— Parce qu’elle n’a que vingt ans ? murmura-t-elle après avoir posé sur ses lèvres un baiser léger. Une certaine différence d’âge n’est pas forcément incompatible avec le bonheur. Encore moins avec l’amour et…

— … nous en sommes la preuve ? Comme c’est élégant, princesse, de me rappeler les seize ans qui nous séparent !

Noyant ses mains dans la somptueuse chevelure fauve de sa femme, Aldo posa un baiser sur le bout de son nez puis sur chacun de ses beaux yeux d’une rare nuance de violet, enfin sur ses lèvres où il s’attarda de façon rien moins que conjugale, heureux de sentir le corps élancé se serrer contre le sien.

— Je n’y pense jamais ! protesta-t-elle quand ils se séparèrent… un assez long moment plus tard. En outre, admets qu’entre treize et trente, cela fait une sacrée différence !

— Oh, je sais ! Quoi qu’il en soit, nous devons y aller. Et avec les jumeaux ! Gilles veut qu’ils soient page et demoiselle d’honneur !

Cette idée avait enchanté les intéressés, Antonio et Amelia, cinq ans, mais pour des raisons différentes. Amelia parce qu’elle allait porter une belle robe longue et Antonio parce que, se faisant d’un page une idée personnelle, il était persuadé qu’une épée était l’obligatoire complément du costume. Sa sœur ayant adhéré pleinement à un projet qui la séduisait, les essayages sur fond de revendications à deux voix s’en trouvèrent pimentés, cependant qu’Aldo devait tenir sous clef les coffres et vitrines où il gardait ses armes anciennes. Quand les jumeaux avaient quelque chose en tête, ils en poursuivaient la réalisation avec une constance et une force de caractère nettement au-dessus de leur âge.

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