Piège pour Catherine - Жюльетта Бенцони страница 7.

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— Soyez sans crainte, assura-t-il, nous le saurons sous peu, en admettant que ce ne soit pas une simple bravade destinée à abattre notre courage. S'il a un plan, Bérault d'Apchier précisera sûrement sa menace, ne serait-ce que pour forcer Dame Catherine à effectuer des sorties dangereuses puisqu'en rase campagne nous n'aurions aucune chance.

Catherine passa une main encore tremblante sur son front humide.

— Si vous n'aviez été là, mon Père, je crois bien que j'aurais commis cette folie d'attaquer. Et, bien sûr, c'est la dernière chose à faire... Maintenant, je crois qu'il faut nous réunir en conseil pour décider des mesures que nous devons prendre. Nous allons avoir à soutenir un siège sans doute difficile, et j'ai besoin de toutes les bonnes volontés...

Le chemin de ronde se vida peu à peu. Hormis les guetteurs armés qui, jusqu'au retour de la lumière, veilleraient pour parer à une éventuelle surprise, chacun rentra chez soi pour compter ses provisions et prier Dieu de sauver la ville et ses habitants de la rapacité des loups du Gévaudan. Seuls les notables se dirigèrent vers le château où le conseil allait se réunir.

Comme cela se produisait régulièrement chaque mois, ils se retrouvèrent dans la grande salle dont les tapisseries d'Arras et d'Aubusson excitaient si fort la convoitise de Bérault d'Apchier, autour du banc seigneurial, où, naguère encore, Arnaud de Montsalvy, en pourpoint de daim noir, une chaîne d'or au cou, les accueillait d'une plaisanterie ou d'un énorme coup de gueule suivant l'humeur du moment ou les circonstances. Cela se passait en général vers la fin de la matinée, autour d'un feu clair, et messire Arnaud ne manquait jamais de faire circuler quelques pots de vin aux herbes pour qu'en sortant les gens de sa bonne cité eussent meilleur cœur à l'ouvrage.

Ce soir, il en allait autrement. Certes, le feu flambait comme de coutume dans l'immense cheminée, mais les ombres de la nuit emplissaient les voûtes de la grande salle, au-dessus de la rangée de bannières qui formaient à mi-hauteur une haie mouvante et colorée, là où la lumière des quelques torches plantées dans leurs crocs de fer n'atteignait point.

Au-dehors, ce n'était plus le tintamarre matinal du château avec ses rires de servantes et ses piaillements de volailles, c'était le silence d'une nuit lourde de menaces et si le banc seigneurial était toujours occupé, ce n'était plus par les six pieds de muscles et d'énergie du chevalier, mais par la silhouette bleue d'une jeune femme qui jamais ne leur avait paru si mince et si fragile.

Auprès d'elle, bien sûr, il y avait la robe noire de l'abbé Bernard, sa tête rase et son étroit visage méditatif. Il était mince comme une lame et l'on savait son âme trempée comme le meilleur acier. Mais c'était un homme d'Église, un homme de prière pour qui le renoncement et l'amour du prochain étaient les armes suprêmes, tandis que l'heure présente appartenait à la force brutale.

De son côté, la dame de Montsalvy les regardait entrer l'un après l'autre, s'étonnant de les trouver à la fois si semblables à leur personnage de chaque jour et si différents tout à coup. Ses yeux s'attachaient à chacune de ces figures recuites par tant de soleils, de neiges et de grands vents. C'étaient des figures larges et colorées, faites pour l'effort patient de chaque jour, avec des traits si accusés qu'ils semblaient retenir dans leurs sillions un peu de leur rude terre auvergnate. Ce soir, dans leurs blouses noires des jours de fête qu'ils passaient toujours pour «monter» au château, avec leurs longs cheveux et leurs épaisses moustaches où s'abritaient si bien le sourire du contentement et les dents du carnassier, ils ressemblaient étonnamment à leurs ancêtres, à ces Arvernes qui avaient fondé un empire, inventé le mot « indépendance » et, plus tard, choisi à jamais la fidélité.

Les hommes de Luern et de Bituit, les empereurs arvernes, qui s'en allaient au combat montés sur des chars d'argent et suivis d'une meute de chiens, devaient avoir ces visages et ces carrures taillées pour les laves et les schistes dont ils bâtissaient leurs oppidums.

Un à un, la châtelaine regarda ces visages, s'arrêtant un instant sur chacun d'entre eux. Il y avait là Félicien Puech, le meunier, rond comme une barrique avec sa bedaine qui faisait craquer les coutures de sa blouse et ses mains épaisses dont une seule levait aisément le sac de farine ; Auguste Malvezin, le cirier, qui faisait les meilleures chandelles et les plus beaux cierges de tout le Carladès et dont les joues vernies semblaient toujours conserver un peu de ses produits ; le gigantesque Antoine Couderc, sorte de cyclone hirsute, aux bras interminables, qui cumulait les fonctions de maréchal- ferrant et de charron et dont les yeux avaient l'air de deux bleuets miraculeusement poussés dans la suie. Il y avait encore les deux frères Cairou, les tisserands de toile ; Martin, l'aîné, le père de la pauvre petite Bertille, morte d'amour, et Noël, l'époux de Gauberte, la langue la plus agile de Montsalvy. Tous deux étaient de taille moyenne et se ressemblaient malgré une différence de six ans : mêmes figures maigres aux méplats accusés, mêmes moustaches tombantes qui donnaient à leurs bouches serrées un pli de tristesse dédaigneuse, mêmes dos arrondis à force de se courber sur le métier. Mais la placidité de Noël était devenue, chez son aîné, violence latente et sourde, âpre désir de vengeance pour le mauvais gars à cause duquel sa petite « s'était périe et damnée à la face du Ciel »...

Ensuite, venait Joseph Delmas, le chaudronnier, un bon vivant qui chantait tout le jour bourrées, « grandes » ou « regrets », en tapant sur ses chaudrons. Seulement, ce soir, le Joseph ne chantait pas :

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