Catherine des grands chemins - Жюльетта Бенцони страница 11.

Шрифт
Фон

Alors seulement les trois isolés se regardèrent.

— Eh bien, dit Frère Étienne avec bonne humeur. Je crois qu'il faut suivre les ordres qu'on nous a donnés. Pardonnez-moi, dame Catherine, mais je vais devoir relever cette robe, peu pratique pour l'escalade.

Joignant le geste à la parole, le petit moine retroussa sa robe dans sa ceinture de corde qu'il serra fortement autour de son ventre, découvrant des jambes grêles et nerveuses au bout desquelles ses larges pieds nus dans leurs sandales semblaient immenses.

Galamment, il aida Sara à escalader les branches du fayard.

Catherine, elle, retrouvant d'un coup son agilité de jadis, grimpa sans aide. Bientôt, ils atteignaient la maîtresse fourche de l'arbre.

L'entrelacement des branches, où demeuraient encore quelques feuilles, roussies et desséchées, cachait presque le sol. Les trois fugitifs devaient être parfaitement invisibles.

— Il nous faut seulement un peu de patience, fit tranquillement Frère Étienne en s'adossant au bois noueux. Je vais en profiter pour dire mon chapelet pour ce brave garçon. J'ai idée qu'il a besoin de prières, même s'il n'y croit pas.

Catherine essaya de faire de même, mais son cœur était lourd d'angoisse et son esprit courait les bois derrière Gauthier. Elle n'osait pas s'interroger sur ce qu'elle éprouverait au cas où il adviendrait malheur au Normand. Il lui était cher, maintenant, ayant conquis, à force de dévouement et de fidélité, une part de son cœur. Comme Sara elle-même, il était tout ce qui la rattachait au passé. Sa force tranquille, son esprit clair et lucide étaient des remparts rassurants contre la vie et la douleur. Et la jeune femme se sentait étrangement démunie et fragile, depuis que la haute silhouette avait disparu sous les arbres.

— Faites, mon Dieu, qu'il ne lui arrive rien ! priât-elle silencieusement, cherchant le ciel à travers les branches. Si vous m'enlevez mon dernier ami, que me restera-t-il ?

Un bruit de chevauchée, d'armes entrechoquées, de voix humaines et d'aboiements de chien se rapprochait. Apparemment, les hommes de Villa-Andrado avaient découvert la piste. Frère Etienne et Sara se signèrent vivement.

— Les voilà, chuchota le petit moine. Ils arrivent !

Le regard de Catherine retourna vers le ciel. Le doute n'était pas possible : la nuit pâlissait légèrement. Le jour allait venir.

La forêt s'agitait de ces imperceptibles bruissements qui annoncent qu'elle va bientôt s'éveiller.

— Pourvu..., commença-t-elle.

Mais elle s'arrêta, empoignant le bras de Frère Étienne qu'elle serra.

Entre les arbres, elle venait de voir luire le casque d'un homme d'armes. L'épaisseur de la neige étouffait les pas des hommes, mais les branches se brisaient sur leur passage. A grands coups d'épée, ils élargissaient le chemin... les réfugiés du fayard retinrent leur souffle...

Les soldats passèrent lentement, lentement, le nez au sol ; une vingtaine d'archers à pied, l'arme à l'épaule, suivis d'une dizaine de cavaliers. C'étaient des Castillans et Catherine ne comprenait pas leur langage. Mais il faisait de plus en plus clair et elle pouvait distinguer des faces olivâtres, aussi peu rassurantes que possible, barrées de longues moustaches noires. Elle vit, avec horreur, que l'un des cavaliers portait à l'arçon de sa selle un chapelet d'oreilles humaines et retint un cri. Comme s'il eût senti cette présence, l'homme s'arrêta juste sous le grand chêne, lança un appel rauque. Un soldat accourut.

Le cavalier lui dit quelque chose et le cœur de Catherine rata un battement. Mais l'homme à l'affreux trophée voulait seulement que l'on resserrât la sangle de son cheval et, ceci fait, se remit en route.

Quelques instants

plus tard, il n'y avait plus personne sous l'arbre. Un triple soupir s'échappa des poitrines contractées des fugitifs. Malgré le froid, Frère Étienne épongea son front ruisselant, rejeta son capuchon en arrière.

— Dieu que j'ai eu peur ! souffla-t-il. Ne bougeons pas encore !

Ils attendirent quelques instants, conformément aux instructions que leur avait données Gauthier. Quand il n'y eut plus, dans le bois, que le cri lointain d'un coq en retard, le moine étira ses membres engourdis, bâilla largement, puis adressa à ses compagnes un sourire encourageant.

— Je crois que nous pouvons descendre. Ces bonnes gens ont si bien piétiné le bois en battant les taillis alentour que nos traces ne risquent plus de nous trahir.

— Oui, fit Catherine en commençant à glisser de branche en branche. Mais saurons-nous trouver notre direction ?

— Faites-moi confiance. Il se trouve que je connais bien ce pays.

Dans ma jeunesse, j'ai passé quelques mois à l'abbaye Saint-Géraud d'Aurillac. Suivez-moi. En allant droit vers le soleil nous devons trouver le prieuré de Vézac où nous prendrons quelque repos. La nuit vient tôt en ce moment. Dès qu'elle tombera nous repartirons.

Les premiers rayons d'un pâle soleil hivernal rendirent courage aux deux femmes. Ce soleil n'était pas chaud, mais, du moins, sa lumière était réconfortante. Quand elles se retrouvèrent au pied du fayard qui leur avait servi de refuge, Catherine se mit à rire en considérant l'étrange aspect que leur conférait leur inhabituel costume.

— Tu sais à quoi nous ressemblons ? dit-elle à Sara. Nous ressemblons à Gédéon, le perroquet que m'avait donné le duc Philippe à Dijon.

— C'est bien possible, grogna Sara en se drapant de son mieux dans le plaid bariolé. Mais j'aimerais cent fois mieux être Gédéon lui-même, bien au chaud au coin de la cheminée de ton oncle Mathieu !

On se remit en marche et bientôt les prévisions de Frère Étienne s'affirmèrent exactes. Le clocher court du prieuré de Vézac apparut quand on atteignit l'orée du bois, rassurant et paisible dans les écharpes de brumes matinales qui l'enveloppaient.

À l'aube du jour suivant, Catherine, Frère Étienne et Sara atteignirent les portes d'Aurillac au moment même où elles allaient s'ouvrir. Une corne sonnait sur la muraille et, déjà, le tintamarre des marteaux des chaudronniers emplissait l'air limpide et vif qui, malgré sa vigueur, ne parvenait pas à effacer l'odeur nauséabonde des tanneries. En dépit du froid, l'on pouvait voir, au bord de la Jordanne et à l'ombre du toit moussu de Notre-Dame des Neiges, des hommes penchés sur d'étranges tables inclinées à travers lesquelles coulait l'eau glaciale.

— L'eau de cette rivière est réputée charrier de l'or, commenta Frère Étienne. Ces hommes la passent sur des tamis recouverts d'une toile à grosse trame pour recueillir les minces parcelles. Voyez, d'ailleurs, comme on les surveille.

En effet, des gardes armés ne perdaient pas un geste des orpailleurs.

Debout sur la berge, à quelques pas des ouvriers qui barbotaient dans l'eau rapide, ils se tenaient là, immobiles, appuyés sur leurs piques, l'œil rivé sur les travailleurs. Ceux-ci étaient maigres et mal vêtus de haillons par les trous desquels apparaissaient les peaux bleuies de froid. Ils formaient avec les soldats, vigoureux et bien équipés, un contraste pénible qui frappa Catherine. L'un des hommes de la rivière, surtout, semblait ne se soutenir qu'avec peine. Il était vieux, courbé par l'âge, et ses mains, nouées de rhumatismes, s'agrippaient douloureusement au tamis. Il tremblait de froid et d'épuisement, ce qui semblait réjouir au plus haut point l'un des soudards. Comme le vieux tentait de remonter sur la berge, il lui allongea un coup, du bois de sa lance, qui le déséquilibra. L'un de ses compagnons, un jeune gars encore vigoureux, se jeta à sa poursuite, mais l'eau roulait vite et, à son tour, il perdit l'équilibre sous les éclats de rire de la troupe.

Une bouffée de colère gonfla le cœur de Catherine. Elle était incapable de supporter un tel spectacle sans rien dire. Sa main nerveuse rencontra, à sa ceinture, la dague d'Arnaud. Avant que Frère Étienne ait pu s'interposer, elle avait dégainé et bondissait, la lame haute, sur l'homme à la lance. Elle ne calculait pas l'infériorité de ses forces ni même le nombre des hommes d'armes. Simplement, elle avait obéi à son impulsion parce qu'elle ne pouvait pas faire autrement... peut-être parce qu'elle n'en pouvait plus de voir toujours le faible malmené et opprimé. Sur le moment elle eut l'avantage de la surprise. La dague s'enfonça dans l'épaule du soldat qui hurla et qui, perdant l'équilibre, roula sur le sol. Catherine, agrippée à lui comme une chatte en colère, tomba par-dessus.

Ваша оценка очень важна

0
Шрифт
Фон

Помогите Вашим друзьям узнать о библиотеке

Похожие книги