La Perle de l'Empereur - Жюльетта Бенцони страница 9.

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Fatigué par son expédition nocturne, Aldo s’accorda deux heures de sommeil puis, dans l’ordre, refit quelques ablutions, commanda un solide petit déjeuner qu’il absorba jusqu’à la dernière miette de croissant, se rasa, s’habilla, sortit de l’hôtel par l’entrée de la place Vendôme et, refusant le taxi proposé par le voiturier, partit à pied. Il faisait un petit temps frais et sec propice à la marche. Il n’alla pas plus loin que le coin de la place et de la rue de la Paix où Vauxbrun avait son magasin. Mais il n’était pas là. Seul un élégant vieux monsieur répondant au nom de Bailey régnait sur un admirable assemblage de meubles, de tapisseries, de tableaux et d’objets appartenant presque tous au XVIIIe siècle français dont Vauxbrun était spécialiste. M. Bailey était son assistant depuis de longues années et Morosini le connaissait bien. Il apprit de lui que Vauxbrun ayant une expertise avenue Henri-Martin ne paraîtrait pas avant l’après-midi.

— L’avez-vous vu ce matin ? demanda Morosini.

— Mais… oui. Il est venu vers dix heures.

— Il était en bon état ?

M. Bailey se permit un mince sourire qui était chez lui le signe d’une gaieté extravagante :

— En bon état, je pense… Dans son état normal je ne suis pas certain.

— Comment l’entendez-vous ?

— Il était… comment dire ? Rêveur… c’est cela ! Rêveur et distrait. Il est resté un moment devant ce miroir Régence à se contempler pour finalement me demander si, à mon avis, la moustache lui irait. Une longue moustache.

— Et que lui avez-vous répondu ? fit Morosini amusé.

— Que je n’avais aucune compétence en la matière mais que, pour nous Anglais, et à moins d’appartenir à l’armée des Indes, ces ornements pileux font toujours un peu… désordre. C’est du moins ce que je pense…

— Et je pense comme vous. Avec une moustache il aurait l’air d’un marchand de tapis… Voulez-vous lui dire que je lui téléphonerai ce soir ?

En caressant l’espoir que les amours de Vauxbrun ne le conduisent pas à de plus grandes folies qu’une envie de moustache, Aldo s’en alla prendre un taxi et se fit conduire chez les Vassilievich.

La tribu tzigane habitait – ou plutôt campait – rue de Clignancourt dans un petit bâtiment à deux étages donnant sur la rue par un passage fermé d’une grille près de laquelle pendait une cloche. Agitée d’une main ferme, celle-ci fit accourir un jeune garçon d’une douzaine d’années dont les cheveux et les yeux noirs n’avaient pas besoin de ses habits à la russe pour annoncer qu’il n’était pas né dans le quartier. Il salua l’étranger d’un bref signe de tête en lui demandant ce qu’il voulait.

— Voir Mme Vassilievich. Mme Masha Vassilievich, précisa Morosini. Il faut que je lui parle…

— Vous êtes policier ?

— En aurais-je l’air ?

— Pas vraiment, mais celui qui est venu tôt ce matin n’en avait pas l’air non plus…

— C’est fâcheux ! émit Aldo avec l’ombre d’un sourire. Où allons-nous si les policiers n’ont plus l’air de ce qu’ils sont ? Moi je me contente d’être le prince Morosini. Voici ma carte, ajouta-t-il en tirant un petit bristol de son portefeuille pour le donner au jeune cerbère, qui la refusa :

— Vous auriez dû commencer par le dire ! Venez ! Je ne sais pas si elle va être contente de vous voir mais de toute façon cela ne peut pas lui faire de mal.

Guidé par lui, Aldo pénétra dans une pièce assez vaste qui devait tenir lieu de salon à la famille car, au milieu, sur une table recouverte d’un tapis, trônait un samovar. Un très beau samovar d’ailleurs, qui donna à Morosini l’impression d’être transporté à Moscou ou même plus loin, car il y avait dans cette pièce tant de tentures, de tapis et de coussins qu’elle ressemblait à l’intérieur d’une yourte mongole. Il n’eut guère le temps de s’intéresser au décor : derrière le samovar il y avait Masha et Masha buvait du thé en laissant couler ses larmes et en reniflant de temps en temps.

Voyant entrer son visiteur, elle ne dit rien, se contentant de lui désigner une chaise à côté d’elle puis de lui servir une tasse avant de remplir à nouveau la sienne et d’y tremper les lèvres.

Respectant son silence Morosini en fit autant, se brûla mais se retint de souffler sur le liquide trop chaud dont la température n’avait pas l’air d’incommoder la grosse femme. Enfin, elle parla :

— Cet homme, le policier, est venu me dire que Piotr avait été tué par ces monstres, qu’ils l’ont jeté à l’eau.

— Oui. Le petit Jean Le Bret s’est accroché à la voiture des ravisseurs et ainsi les a suivis jusqu’à Saint-Ouen. Mais dès l’instant où il a été enlevé, on pouvait s’attendre à une fin de ce genre.

— Sans doute, et l’enfant est un brave petit. Racontez-moi ce qui s’est passé après mon départ ! Une femme est venue, paraît-il ?

— Oui, et votre frère avait dû parler : elle savait où chercher la perle. Si j’ai pu la suivre à mon tour, c’est grâce au colonel Karloff qui après vous avoir déposée est revenu m’attendre. C’est vous qui le lui aviez demandé ?

— Non, pourtant ça lui ressemble bien. C’est un vieux grognon mais c’est un Russe et tout ce qui touche au pays l’intéresse.

— Avez-vous une idée de qui peuvent être les ravisseurs de Piotr ? Et qui peut être cette femme ?

Elle eut un mouvement d’épaules traduisant l’ignorance puis ajouta :

— On ne sait rien mais, soyez-en sûr, mon père, mes frères et moi allons chercher et, avec l’aide de Dieu, nous trouverons.

Elle fit trois fois le signe de croix orthodoxe et reprit du thé.

— Je croyais, murmura Morosini, que vous l’aviez rejeté.

L’éclair noir qui fusa des yeux mouillés n’avait rien de rassurant.

— Les hommes l’avaient rejeté vivant mais la mort efface tout. Ce qui reste c’est que l’on a assassiné un Vassilievich et que les meurtriers devront payer le prix du sang. Vous comprenez ?

— Oui, je comprends… et à ce propos, je suis venu vous rapporter ceci.

Il tira la « Régente » du sachet de peau où il l’avait rangée et la posa sur la table. Masha la regarda un instant, sans la prendre. Elle eut même un mouvement de recul :

— Je n’en veux pas. Reprenez-la !

— Par droit d’héritage elle est à vous cependant.

— Héritage ? Piotr l’avait volée.

— On ne vole pas ce qui est abandonné. Le prince Youssoupoff a emporté beaucoup de ses joyaux. Pourquoi pas celui-là ?

— C’est son affaire… Nous, nous n’en voulons pas. Elle est marquée du sang de Piotr : elle nous apporterait le malheur.

— Elle vaut une fortune. Vendez-la !

— Vendez-la vous-même ! C’est votre métier après tout et c’est pour cela que je suis allée vous chercher. Mais ne nous rapportez pas l’argent ! Il serait tout aussi souillé que la perle.

La surprise tint Morosini muet pendant un instant. Quelle étrange femme ! Elle refusait ce qui pour tant d’autres eût été une aubaine et ce n’était pas sans grandeur car, s’ils connaissaient un certain succès, les Vassilievich n’étaient pas riches.

— Que voulez-vous que j’en fasse dans ce cas ?

— Ce que vous voudrez. Donnez-le à une œuvre… ou mieux : servez-vous-en pour assurer l’avenir de ce petit garçon qui a risqué sa vie pour aider Piotr. Le grand-père est vieux. L’enfant pourrait se retrouver seul. Ce serait alors l’orphelinat…

— C’est une idée en effet…

Morosini se leva, remit la perle dans sa poche et s’inclina pour prendre congé, mais Masha le retint :

— Encore un mot s’il vous plaît ! La femme de cette nuit… à quoi ressemblait-elle ?

Aldo s’efforça d’en donner un portrait aussi exact que possible mais sa description n’eut pas l’air d’éveiller un souvenir quelconque chez la chanteuse.

— Cela ne me dit rien, cependant je me souviendrai de ce portrait. De toute façon nous serons peut-être appelés à nous revoir. L’enquête des policiers débute.

— Je n’ai pas besoin d’elle pour avoir envie de vous revoir… si vous le permettez, fit Aldo avec un sourire qui trouva un écho sur le visage impassible et désolé. Je retournerai au Schéhérazade pour vous entendre chanter avant de rentrer à Venise…

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