Le maître rejeta la tête en arrière et poussa un hurlement au moment précis où son corps se voyait complètement déchiré de l'intérieur. Le hurlement cessa brusquement et une fine fumée noire et grisâtre plana un instant dans les airs avant de se disperser avec la brume du matin, et de finalement disparaître dans un dernier sifflement de mépris.
Craven tendit les bras, comme pour réclamer une étreinte. Les âmes qui erraient sur le parking se tournèrent vers lui et replongèrent dans son corps. Une fois la dernière âme disparue de cette dimension, Craven laissa retomber les bras et s'approcha des lambeaux qui restaient des vêtements que le maître des ombres avait porté un peu plus tôt.
En se baissant, il ramassa le médaillon et sortit du parking. Alors qu'il reculait jusque sur le trottoir, Craven leva les yeux et vit de nouveaux mortels qui s'interrogeaient.
Dans les ombres jetées par les immeubles voisins, il repéra quelques démons des ombres qui se faufilaient en douce⦠désormais inutiles sans maître à qui obéir. Les démons des ombres, en temps normal, ne représentaient pas de menace une fois leur maître défait, donc Craven ne s'inquiétait pas sérieusement de l'endroit où ils se rendaient. Levant le médaillon dans la faible lumière diurne qui incendiait peu à peu le brouillard, il sourit de nouveau.
« Bonne journée ! » lança-t-il tranquillement avant de mettre le médaillon Aztèque dans sa poche et de se diriger vers son antre.
Peut-être qu'il allait s'amuser avec ce médaillon porté par le maître des ombres.
Il se mit à apparaître un peu partout à travers la ville à une telle vitesse que lorsqu'il vit la créature aux ailes argentées, ce ne fut qu'après coup. Ralentissant le pas, Craven se retourna et fit à nouveau face au centre-ville, en contemplation. Voilà qui était intéressant... il croyait que toutes les Déchues avaient été arrachées à ce monde à leur naissance.
*****
Carley avait suivi l'Indien, qui porta Tiara dans ses bras tout le temps de son trajet à travers la ville, avant qu'ils ne parviennent enfin au sombre manoir situé dans les collines des alentours. Cet endroit lui filait la frousse... peut-être était-ce à cause des gargouilles et démons qui rampaient sur toute sa façade. L'intérieur de la demeure ne valait pas mieux.
Une fois encore, elle fut soulagée que la plupart des monstres ne puissent la voir. Même s'ils en étaient capables, ils ne pourraient pas lui faire de mal, grâce au sort de Tiara. Cela ne l'empêcha pas de sursauter lorsqu'elle entendit des hurlements monter de la cave... du moins espérait-elle que c'était bien la cave, et non le rez-de-chaussée.
Tentant d'ignorer les cris d'agonie, Carley se dépêcha de suivre l'Indien qui montait au deuxième étage. S'il conduisait Tiara à une sorte de salle de torture, alors elle devait agir vite. Lorsqu'elle pénétra dans la pièce derrière lui, Carley s'arrêta pour regarder l'homme dont le regard était abaissé sur Tiara.
Faucon-de-Nuit affichait un visage soucieux, désireux d'éprouver quelque chose... ne serait-ce qu'une seule étincelle d'émotion tandis qu'il contemplait la belle jeune femme. Elle avait provoqué quelque chose en lui lorsqu'il l'avait rencontrée la première fois, mais cela avait été si bref qu'à présent, il se demandait si cela n'avait pas été qu'une simple illusion. Son regard fut attiré par la terre de cimetière qui salissait encore son corps et son visage.
Carley entra en panique lorsque l'Indien entreprit de déshabiller Tiara.
« Arrêtez ! hurla-t-elle en se glissant entre eux, mais Faucon-de-Nuit tendit un bras qui la traversa. Merde, où sont les héros quand on en a besoin ? » s'impatienta-t-elle.
Carley se rebiffa et fit pleuvoir des coups en rafale sur l'Indien pour tenter de détourner son attention de Tiara et la diriger vers elle. Elle cessa toute tentative quand il lui apparut que c'était inutile.
Elle devait retourner au QG de l'EEP et renseigner Jason et Guy sur la localisation de Tiara, mais elle ne pouvait se décider à partir avant d'être sûre que son amie serait encore vivante lorsqu'ils reviendraient la sauver.
Faucon-de-Nuit se redressa et retira ses propres atours jusque sur son tissu déchiré avant de soulever de nouveau la jeune femme dans ses bras. Une fois dans la salle de bain, il entra dans la grande baignoire à remous et s'agenouilla, attendant manifestement que la cuve se remplisse d'eau chaude pour pouvoir débarrasser le corps de Tiara de l'odeur de son amant. Il n'aimait pas non plus l'odeur du maître Arach qui imprégnait encore sa peau.
Sous l'effet de la détente, Faucon-de-Nuit laissa son esprit vagabonder tandis que le niveau d'eau chaude montait. Il méprisait les nécromanciens parce qu'ils l'avaient transformé en ce qu'il était aujourd'hui⦠il devait même se concentrer sur ce sentiment avant d'en sentir le léger tiraillement. Cette nécromancienne était différente des autres... elle ne voulait pas avoir le contrôle sur les âmes ... elle voulait les délivrer.
En baissant les yeux sur la jeune femme allongée dans ses bras, il n'eut pas à se demander pourquoi ce corps ne lui faisait aucun effet. Son âme était encore piégée dans la tombe et avec elle⦠l'essentiel de ses émotions. Il nâéprouvait aucun besoin d'être aimé ou haï⦠et encore moins de désirer qui que ce soit. Après avoir trouvé le shampoing sur une étagère dâangle, Faucon-de-Nuit savonna avec douceur ses longs cheveux argentés, faisant glisser comme de la soie les mèches entre ses doigts. Ne voyant aucune raison de se hâter, il prit le temps de la laver. Cela faisait longtemps quâil nâavait pas touché quelquâun sans être animé d'une intention malveillante.
Lorsquâil fut satisfait de l'odeur qu'elle dégageait, il rinça ses cheveux et sa peau avant de vider la baignoire. Passant quelques serviettes autour de son corps et de ses cheveux, il recula dans la chambre pour lâallonger sur le lit. Il avait fait ce quâil avait pu pour elle. Puisque lâeau ne lâavait pas réveillée, il savait quâelle était en cet instant plongée dans un profond sommeil et quâelle ne se réveillerait peut-être pas avant un certain temps. Sans la protection adéquate, cette guerre causerait sa perte.
Après avoir enlevé la serviette de ses cheveux, Faucon-de-Nuit souleva délicatement le haut de son corps et passa ses doigts sur la blessure située à lâarrière de sa tête. Il lâavait sentie en lui lavant les cheveux. Au cours de sa première vie, il avait été une sorte de guérisseur⦠un chaman⦠alors il savait que cette blessure ne menaçait pas la vie de la jeune magicienne.
Il laissa son esprit la pénétrer profondément, avec le désir de savoir si elle avait une autre raison de vouloir rester endormie⦠une autre raison dâabandonner ce monde pendant un petit moment. Il nâavait jamais rompu le lien quâelle avait établi avec lui dans ce cimetière plus modeste, et cela lui permettait de retourner cette connexion mentale vers elle. Par le passé, lorsquâun nécromancien avait souhaité se connecter à lui de cette manière, cela lui avait plutôt laissé l'effet d'une prise dâétranglement. Sa connexion avec la jeune femme lui avait semblé celle entre deux mains qui se rejoignaient.