"J'ai pris toutes les précautions utiles. Regarde un peu", ditelle en me tendant une perruque aux longs cheveux blonds ondulés.
Comprenant, je blêmis :"Ce n'est pas vrai ! Tu plaisantes ?"
"Ma chérie, tu es la fille du propriétaire de la moitié de Rockart City. Tu ne peux pas sortir sans attirer l'attention."
"Personne ne sait plus qui je suis. Cela fait deux ans que mon père ne m'inclut plus dans ses interviews et il ne m'invite même pas aux cérémonies dinauguration. Tout le monde pense quil na que deux enfants et pas trois. Mes apparitions à ses côtés sont plus quépisodiques depuis que je suis devenue végétarienne et que jai commencé à parler des droits civiques."
Maya gloussa :Il ne ta pas encore pardonnée dêtre devenue végétarienne ?
Non. Quand nous mangeons ensemble il fait déposer un bifteck dans mon assiette que jéloigne de moi à chaque fois, ce qui lénerve au plus haut point. Maintenant je mange toujours en solitaire dans lannexe où jai été reléguée, lui expliquaije tristement. Il était assez douloureux de se sentir rejetée en permanence par sa famille.
Trop cool ! Là tu es toute seule et tu peux faire tout ce que tu veux !
Si seulement cétait vrai ! Rappelletoi quil y a des caméras de vidéo-surveillance disséminées un peu partout dans la maison. Je nai pas de vie privée et, souvent, je me demande si je réussirai jamais à me détacher de la famille et à vivre pleinement ma vie, trouver un travail et épouser lhomme que jaime...
Cest impossible tant que tu demeureras à Rockart City. Une feuille ne peut pas bouger à lest de la Safe River sans que ton père en soit tenu au courant... Ton unique espoir est de partir loin, très loin dici, là où ton père ne pourra pas parvenir car tu sais parfaitement quil ne te laissera jamais agir de ton propre chef. Il mettra tout en œuvre pour tempêcher de travailler pour subvenir à tes propres besoins, tempêchant de couper ce cordon ombilical qui tenchaîne encore à lui malgré tes vingt-trois ans !
Et à coup sûr, il ne me laisserait jamais épouser qui je veux.
Oublie tout cela, Ginevra ! Pense simplement à toutes les relations amoureuses que tu as eues jusquà présent.
Je nen ai eu quune seule, trois jours durant, pendant ma dernière année de high school.
Daniel Spencer, nest-ce pas ?
Oui. À peine aije pu échanger un premier baiser avec lui avant dapprendre que lui et toute sa famille avaient été exilés de Rockart City pour toujours.
Tout ça pour un baiser... Je nose même pas imaginer ce qui se serait passé si tu avais couché avec lui.
Je ris faiblement : Jaurais atterri dans les oubliettes du château, comme un prisonnier de guerre, même si jétais convaincue que je subirais le même sort. Je navais pas oublié le coup de sang de mon père ni la gifle dont il mavait gratifiée lorsquil avait découvert le béguin que jéprouvais pour le fils de David Spencer, lindividu qui lui avait fait louper une affaire deux ans auparavant.
Edoardo Rinaldi avait la rancune tenace.
Bah, cette fois je te promets quil narrivera rien et ton père nen sera jamais informé, me rassura Maya, passant la perruque blonde sur mes cheveux châtains qui me descendaient sur les épaules.
Je me regardai dans le miroir.
Jeus envie de rire parce que jétais méconnaissable avec cet eye-liner noir et ces cheveux qui marrivaient à la taille. De plus, la robe que mavait faite endosser Maya était à lopposé de mon style bon chic-bon genre habituel.
Cette robe rouge sans épaulettes et cette veste noire aux manches courtes me donnaient une aura de femme cosmopolite, entreprenante et transgressive, tout le contraire de ma personnalité.
Surprise, je mexclamai : Est-il possible que ton père ne remarque rien de tout ces achats ?
Mon père nest pas aussi circonspect que le tien mais il pointe toutes les dépenses effectuées par carte de crédit. Quant à ma mère, elle passe ma garde-robe en revue une fois par mois si mon père se plaint du relevé.
Ta mère est comme la mienne. Comment se fait-il quon ne te reproche pas tous ces achats ?
Ma mère nest pas au courant de ma double vie. Jai un accord avec la vendeuse du magasin de fringues : elle me laisse emporter ces vêtements à la maison pour les essayer pendant vingtquatre heures ; je les lui ramène le lendemain, intacts, lorsque je vais acheter des habits plus conformes aux goûts de ma mère, dit-elle, me dévoilant son stratagème. Ce faisant elle me montra létiquette encore attachée à la robe avant de la cacher dans le décolleté, sous laisselle droite.
Tu es géniale !
Je sais mais souvienstoi de prendre bien soin de cette robe car demain je dois la rapporter en parfait état au magasin.
Promis, juré !
Bon, alors allons-y. Lemployée de maison ma laissé les clés de la voiture qui sert à faire les courses et, ainsi accoutrées, nul ne nous reconnaîtra lorsque nous nous dirigerons vers la sortie. Pas même le garde du corps qui ta conduite ici et qui tattend, garé à lextérieur de la grille.
Je lespère, autrement je suis morte.
Par précaution laissons les téléphones portables ici pour éviter que le signal GPS nous fasse pincer ; enfin nous nemporterons dans nos sacs à main que de largent liquide et le faux document didentité que je tai procuré. Ce soir, rappelletoi que je ne mappelle plus Maya Gerber mais Chelsea Faye ; quant à toi tu nes plus Ginevra Rinaldi mais Mia Madison, de Los Angeles.
Tu as vraiment tout prévu, nest-ce pas ?
Maya pouffa de rire. Ginevra, après cinq années descapades secrètes, je pourrais même mévader dune prison, ditelle, ce qui détendit latmosphère.
Chapitre 2
GINEVRA
Mon cœur battait à tout rompre.
Cétait la première fois que je faisais quelque chose de dingue et jétais morte de trouille.
Je suivis Maya en silence, malgré mes hauts talons.
Tout le monde était parti se coucher et la maison était déserte.
Nous sortîmes par la porte de derrière et nous nous dirigeâmes vers la voiture garée à proximité immédiate, daprès les ordres donnés par mon amie.
Nous montâmes à bord dune vieille Toyota Corolla et, linstant daprès, nous démarrions.
Lorsque la voiture franchit la grille dentrée je me cachai afin de ne pas me faire remarquer des occupants du véhicule garé à proximité. Cétait dans cette voiture quon mavait amenée ici et elle ne serait pas repartie sans moi.
Je détestais ce contrôle permanent de tous mes faits et gestes mais je ne savais pas comment me libérer de cette prison sans barreaux.
Le fait dêtre une Rinaldi était ma croix et je la porterais jusquà ma mort.
Je commençai à me détendre lorsque nous empruntâmes la voie rapide. Mais à peine entrevisje la Safe River que ma respiration sarrêta : cétait la première fois que je la voyais réellement.
Aussitot la peur pénétra toutes les cellules de mon corps.
Je magitai nerveusement, voyant que mon amie franchissait le pont qui reliait les quartiers est et ouest de Rockart City : Maya, où allons-nous ?