Le jeu, les tuyaux, les demoiselles, les petites fêtes et la grande fête avaient ratissé jusqu'aux moelles le jeune Puyrâleux. Mais c'est gaîment tout de même et sans regrets qu'il «rejoignit» le 112
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Un philosophe optimiste, ce Gaston, avec cette devise: «La vie est comme on la fait».
Et il se chargeait de la faire drôle sa vie, drôle sans relâche, drôle quand même.
Adorant les voitures, raffolant des chevaux, Puyrâleux n'eut aucun mérite à devenir la crème des tringlots.
Son habileté proverbiale tint vite de la légende: il eût fait passer le plus copieux convoi par le trou d'une aiguille sans en effleurer les parois.
Vernon s'entoure de charmants paysages, mais personnellement c'est un assez fâcheux port de mer. Pour ne citer qu'un détail, ça manque de femmes, ô combien! De femmes dignes de ce nom, vous me comprenez?
Entre la basse débauche et l'adultère, Gaston de Puyrâleux n'hésita pas une seconde: il choisit les deux.
Il aima successivement des marchandes d'amour tarifé, des charcutières sentimentales, le tout sans préjudice pour deux ou trois épouses de fonctionnaires et une femme colosse de la foire.
Ajoutons que cette dernière passion demeura platonique et fut désastreuse pour la carrière du jeune et brillant tringlot.
La Belle Ardennaise était-elle vraiment la plus jolie femme du siècle, comme le déclarait l'enseigne de sa baraque? Je ne saurais l'affirmer, mais elle en était sûrement l'une des plus volumineuses....
Son petit mollet aurait pu servir de cuisse à plus d'une jolie femme; quant à sa cuisse, seule une chaîne d'arpenteur aurait pu en évaluer les suggestifs contours.
Sa toilette se composait d'une robe en peluche chaudron qui s'harmonisait divinement avec une toque de velours écarlate. Exquis, vous dis-je!
Et voilà-t-il pas que cet idiot de Gaston se mit à devenir amoureux, amoureux comme une brute de la Belle Ardennaise!
Mais la Belle Ardennaise ne pesait pas tant de kilos pour être une femme légère et Puyrâleux en fut pour ses frais de tendresse et ses effets de dolman numéro 1.
Ce serait mal connaître Puyrâleux que de le croire capable d'accepter une aussi humiliante défaite.
Il s'assura que la Belle Ardennaise couchait seule dans sa roulotte, le barnum et sa femme dormant dans une autre voiture.
Le dessein de Gaston était d'une simplicité biblique.
Par une nuit sombre, aidé de Plumard, son dévoué brosseur, il arriva sur le champ de foire, lequel n'était troublé que par les vagues rugissements de fauves mélancolieux.
En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, il attela à la roulotte de la grosse dame deux chevaux appartenant au gouvernement français, déchaîna les roues, fit sauter les cales....
Et les voilà partis à grande allure vers la campagne endormie.
Rien d'abord ne révéla, dans la voiture, la présence d'âme qui vive.
Mais bientôt, les dernières maisons franchies, une fenêtre s'ouvrit pour donner passage à une grosse voix rauque, coutumière des ordres brefs, qui poussa un formidable: Halte!
Les bons chevaux s'arrêtèrent docilement, et Puyrâleux se déguisa immédiatement en tringlot qui n'en mène pas large.
La grosse voix rauque sortait d'un gosier bien connu à Vernon, le gosier du commandant baron Leboult de Montmachin.
Prenant vite son parti, Puyrâleux s'approcha de la fenêtre, son képi à la main.
À la pâle clarté des étoiles, le commandant reconnut le brigadier:
—Ah! c'est vous, Puyrâleux?
—Mon Dieu, oui, mon commandant!
—Qu'est-ce que vous foutez ici?
—Mon Dieu, mon commandant, je vais vous dire: me sentant un peu mal à la tête, j'ai pensé qu'un petit tour à la campagne!...
Pendant cette conversation un peu pénible des deux côtés, le commandant réparait sa toilette actuellement sans prestige.
La Belle Ardennaise proférait contre Gaston des propos pleins de trivialité discourtoise.
—Vous allez me faire l'amitié, Puyrâleux, conclut le commandant Leboult de Montmachin, de reconduire cette voiture où vous l'avez prise.... Nous recauserons de cette affaire-là demain matin.
Inutile d'ajouter que ces messieurs ne reparlèrent jamais de cette affaire-là, mais Puyrâleux n'éprouva aucune surprise, au départ de la classe, de ne pas se voir promu maréchal des logis.
Et il le regretta bien vivement, car s'étant toujours piqué d'être dans le train, il espérait y fournir une carrière honorable.
L'autographe homicide
J'étais resté absent de Paris pendant quelques mois, fort pris par un voyage d'exploration dans la région nord-ouest de Courbevoie.
Quand je rentrai à Paris, des lettres s'amoncelaient sur le bureau de mon cabinet de travail; parmi ces dernières, une, bordée de noir.
C'est ainsi que j'éprouvai la douloureuse stupeur d'apprendre le décès de mon pauvre ami Bonaventure Desmachins, trépassé dans sa vingt-huitième année.
—Comment, m'écriai-je, Desmachins! Un garçon si bien portant, si vigoureusement constitué!
Mais quand j'appris, quelques heures plus tard, de quoi était mort Desmachins, ma douloureuse stupeur fit alors place à un si vif épatement que j'en tombai de mon haut (2 m 08).
—Comment, me récriai-je, Desmachins! Un garçon si rangé, si vertueux!
Le fait est que la chose paraissait invraisemblable.
Pauvre Desmachins! Je le vois encore si tranquille, si bien peigné, si bien ordonné dans son existence.
Il avait bien ses petites manies, parbleu! mais qui n'a pas les siennes?
Par exemple, il n'aurait pas, pour un boulet de canon, acheté un timbre-poste ailleurs qu'à la Civette du Théâtre-Français. Il prétendait qu'en s'adressant à cette boutique, il réalisait des économies considérables de ports de lettres, les timbres de la Civette étant plus secs, par conséquent plus légers et moins idoines à surcharger la correspondance.
Innocente manie, n'est-il pas vrai?
Si Desmachins n'avait eu que ce petit faible, il vivrait encore à l'heure qu'il est. Malheureusement, il avait une passion d'apparence non dangereuse, mais qui, pourtant, le conduisit à la tombe.
Desmachins collectionnait les autographes.
Il les collectionnait comme la lionne aime ses petits: farouchement.
Et il en avait, de ces autographes! Il en avait! Mon Dieu, en avait-il!
De tout le monde, par exemple: de Napoléon I
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Il est vrai que celui de Charlemagne!... J'en savais la provenance, mais, pour ne point désoler Desmachins, je gardai toujours, à l'égard de ce parchemin faussement suranné, un silence d'or.
(C'était un vieil élève de l'École des chartes, tombé dans une vie d'improbité crapuleuse, qui s'était adonné à la fabrication de manuscrits carlovingiens—ne pas écrire carnovingiens—et qui fournissait à Desmachins des autographes des époques les plus reculées).
L'ami qui m'apprenait le trépas de Desmachins, en tous ses pénibles détails, semblait lutter contre un désir d'aveu.
À la fin, il murmura:—Et ce qu'il y a de plus terrible, c'est que je suis un peu son assassin.
Du coup, ma douloureuse stupeur se teinta d'étonnement.
—Oui continua-t-il, le pauvre Desmachins est mort sur mon conseil!
—Le guillotiné par persuasion, quoi!
—Oh! ne ris pas, c'est une épouvantable histoire, et je vais te la conter.
Je pris l'attitude bien connue du gentleman à qui on va conter une épouvantable histoire, et mon ami—car, malgré tout, c'est encore mon ami—me narra la chose en ces termes:
—Un jour, je rencontrai Desmachins enchanté d'une nouvelle acquisition. Il venait d'acheter un os de mouton sur lequel était inscrit, de la main même du Prophète, un verset du Coran.
«—Et tu as payé ça?... lui demandai-je.
«—Une bouchée de pain, mon cher. C'est un vieux cheik arabe qui me l'a cédé. Comme il avait absolument besoin d'argent, j'ai pu avoir l'objet pour 3000 francs.