Entre temps, l'enseignement de M. Maspero aux Hautes Études et au Collège de France portait ses fruits: une école française, imbue des mêmes principes et agissant sous une même impulsion, s'élevait dans la génération d'alors. Le premier qui se manifesta brillamment fut M. Grébaut, avec sa thèse pour le diplôme des Hautes Études intitulée Hymne à Ammon Râ des papyrus égyptiens du Musée de Boulaq (1875) que suivirent bientôt plusieurs articles, dont le plus important se trouve dans les Mélanges d'archéologie égyptienne (1875). Presque aussitôt après Grébaut, William Berend traduisit la brochure de Lepsius sur les Métaux dans les inscriptions égyptiennes (1877) et soumit à l'examen des juges sa thèse sur les principaux Monuments du Musée égyptien de Florence, dont la première partie consacrée aux Stèles, Bas-reliefs et Fresques a paru seule en 1882, imprimée avec luxe à l'Imprimerie Nationale: malgré l'éclat de ce premier début, Berend renonça à la science sans esprit de retour, puis alla vivre et mourir en Suède. En passant, disons qu'il ne fut pas, tant s'en faut, le seul étranger qui suivit alors, pendant un trimestre ou deux, les cours de l'École des hautes études et du Collège de France: nous vîmes de la sorte se succéder sur les bancs, de 1875 à 1880, MM. Alfred Wiedemann, aujourd'hui professeur d'égyptologie à Bonn; Ernesto Schiaparelli, à présent directeur du Musée de Turin; Karl Piehl, mort en 1904, professeur de langue égyptienne à l'Université d'Upsal; Edwin Wilbour, journaliste américain, qui apprit beaucoup, passa les vingt dernières années de sa vie alternativement en Égypte et en France, puis mourut à Paris en 1897 sans avoir rien publié. Néanmoins le fond de l'École resta français: l'on vit Rochemonteix inaugurer les études du berbère comparé à l'égyptien (1873-1876), et Eugène Ledrain, se dérobant à la vocation ecclésiastique, nous fournir comme thèse pour le diplôme de l'École des hautes études ses Monuments égyptiens de la Bibliothèque nationale (1879-1882).
A ce moment l'École française était en pleine prospérité: M. Maspero en avait réparti les membres entre les domaines les plus variés, dirigeant MM. Loret, Bouriant et Virey vers l'interprétation des manuscrits hiératiques, M. GAYET vers l'archéologie païenne et chrétienne, l'abbé Amélineau vers le copte; d'autre part, M. de Rochemonteix, détaché en Egypte de 1875 à 1878, y relevait les inscriptions et tableaux du grand temple d'Edfou. Il fallait à cette pléiade un moyen aisé de publication, un journal auquel elle pût confier ses travaux à mesure qu'ils se poursuivaient. Déjà, en 1869, l'éditeur Vieweg avait mis en circulation une revue dont il avait confié la préparation à M. Maspero, et dans le premier semestre de 1870, celui-ci avait lancé avec la collaboration de MM. E. de Rougé, Devéria, Pierret, un premier numéro qui avait pour titre: Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes; mais, la guerre survenant presque aussitôt, M. de Rougé l'avait remplacé chez le même éditeur par un nouveau journal, les Mélanges d'archéologie égyptienne et assyrienne, destiné à recevoir les productions de notre École en opposition à la Zeitschrift für Aegyptische Sprache de Berlin qui serait réservée aux Allemands. Après la mort de M. de Rougé, qui coïncida presque avec l'apparition du premier fascicule, ces Mélanges traînèrent péniblement sous la conduite d'un comité de rédaction, où figuraient MM. Jacques de Rougé, Pierret, Maspero, E. Revillout; ils fournirent trois volumes de 1871 à 1878, date où le comité fut dissous et où les Mélanges furent remplacés par deux publications indépendantes l'une de l'autre, le Recueil de travaux, que M. Maspero ressuscita et dont il composa un second numéro en 1879, la Revue égyptologique que M. REVILLOUT édita depuis 1880 jusqu'à sa mort, en 1912.
L'orientation de ces deux publications fut très différente. Tandis que le Recueil s'efforçait de faire oeuvre durable et d'embrasser le domaine entier de l'égyptologie, la Revue, plus irrégulière dans son allure, se consacra de préférence à la critique du moment, qu'elle exerça avec âpreté; en fin de compte, elle devint presque entièrement l'organe exclusif de son directeur. Entré au Musée égyptien du Louvre en 1872, celui-ci s'était voué dès lors avec ardeur au copte, puis au démotique. C'est ainsi qu'il jeta rapidement sur la place, souvent en les autographiant pour marcher plus vite, ses Actes et contrats des musées égyptiens de Boulaq et du Louvre (1876), puis ses Apocryphes coptes du Nouveau testament (1876), ainsi qu'un Mémoire sur la vie et les sentences de Secundus, et un autre sur le Concile de Nicée d'après les textes coptes et les diverses collections canoniques, qui furent insérés au Journal asiatique de 1872 à 1875 et ne furent complétés qu'en 1881; le tout sans préjudice d'une première étude sur les Blemmyes (1874) et de différentes notes sur l'archéologie funéraire copte, qu'il donna aux Mélanges. Ce ne fut là, toutefois, que le moindre de sa besogne. Trouvant dans la riche collection du Louvre une masse alors incomparable de papyrus démotiques, il se livra avec fougue au déchiffrement de l'écriture cursive qu'il avait commencé sous M. Maspero et il en tira bientôt des résultats aussi neufs qu'importants: il y découvrit des contrats de mariage de différente nature, des contrats de location pour maisons et pour terres, des contrats de vente et d'achat, bref une masse d'actes juridiques du plus haut intérêt. Il forma ainsi deux Chrestomathies démotiques dont la nouvelle (1878) parut avant l'ancienne (1880) par une de ces bizarreries qui ne sont pas rares dans son oeuvre. En même temps il traduisait mot à mot le conte démotique de Satni, dont Brugsch avait donné une première interprétation dix années auparavant, mais il attendait plusieurs années encore avant d'y ajouter une introduction et de faire du tout un volume sous le titre: le Roman de Setna, étude philologique et critique (1877-1885). Ce fut sans préjudice d'une foule d'écrits moindres, publiés en brochures indépendantes ou disséminés dans les journaux français et étrangers, Journal asiatique, Revue Archéologique, Proceedings de la Société d'archéologie biblique, Mélanges, etc. Bref, il fit entièrement sa revue, à lui, de la Revue égyptologique, dont il avait produit le premier numéro en 1880 avec CHABAS et Henri BRUGSCH, et dont il remplit presque seul, les quatorze volumes parus de 1880 à 1912, avec ses articles et ses commencements d'articles inachevés sur le copte, sur le démotique et en dernier lieu sur quelques textes hiéroglyphiques.
L'École égyptologique prospérait en France, lorsque les changements provoqués par la mort de Mariette vinrent à la fois en élargir et en compromettre le développement. Depuis l'année de l'Exposition universelle en 1867, qui marqua l'apogée de son crédit en Égypte, Mariette avait dû lutter sans relâche contre l'influence allemande rendue très forte par la victoire de 1870-71, contre la nonchalance et le désordre de l'administration égyptienne, et surtout contre la maladie qui se révéla mortelle pour lui dès 1872. Forcé de renoncer aux grandes fouilles qui avaient illustré les débuts de sa direction à Boulaq, il s'efforça du moins d'en publier les résultats principaux, et, aidé de MM. Louis Vassali et Émile Brugsch d'une part, de M. Maspero de l'autre, il donna toute une série de grands travaux: Abydos, (3 vol. 1869-1880), Dendérah (5 vol. 1869-1875), Deir-el-Bahari (1 vol. 1875), les Papyrus égyptiens du Musée de Boulaq (3 vol. 1870-1871), Karnak, étude topographique et archéologique (1 vol. 1875), Voyage de la Haute Égypte (2 vol. 1878), Monuments divers recueillis en Égypte et en Nubie (1 vol. 1871-1889). Il préparait de concert avec M. Maspero deux oeuvres plus importantes encore, dont les fragments ne furent édités qu'après lui, le Sérapéum de Memphis (1 vol. 1883) et les Mastabas de l'Ancien Empire (Paris, 1889), lorsque son état empira tellement que l'on craignit de le voir disparaître soudain, laissant vacante en Égypte une place que la France avait intérêt à conserver. Déjà, en 1873, M. Maspero avait proposé au gouvernement français de créer au Caire une école analogue à celle qui existait à Athènes pour l'étude des monuments grecs; mais son projet avait été rejeté par M. de Watteville. Il fut repris par M. Xavier Charmes et, à l'instigation de ce dernier, M. Alfred Rambaud, alors chef du cabinet de M. Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique, décida, le 13 novembre 1880, M. Maspero à aller établir une Mission permanente au Caire.