София Сегюр - Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке стр 6.

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«Nous voici près du fameux chêne où j’ai laissé ma poupée, dit Marguerite; je n’oublierai jamais le chagrin que j’ai éprouvé lorsque, en me couchant, je me suis aperçue que ma poupée, ma jolie poupée, était restée dans le bois pendant l’orage.

– Quelle poupée? dit Jean; je ne connais pas cette histoire-là.

– Il y a longtemps de cela, dit Marguerite. La méchante Jeannette me l’avait volée.

JEAN

Jeannette la meunière?

MARGUERITE

Oui, précisément, et sa maman l’a bien fouettée, je t’assure; nous l’entendions crier à plus de deux cents pas.

JACQUES

Oh! raconte-nous cela, Marguerite. Voilà maman, papa, ma tante et mes oncles pour quelque temps; nous pouvons entendre ton histoire.»

Marguerite s’assit sur l’herbe, sous ce même chêne où sa poupée était restée oubliée par elle; elle leur raconta toute l’histoire et comment la poupée avait été retrouvée chez Jeannette, qui l’avait volée.

«Cette Jeannette est une bien méchante fille, dit Jacques, qui avait écouté avec une indignation croissante, les narines, gonflées, les yeux étincelants, les lèvres serrées. Je suis enchanté que sa maman l’ait si bien corrigée. Est-elle devenue bonne depuis?

SOPHIE

Bonne! Ah oui! C’est la plus méchante fille de l’école.

MARGUERITE

Maman dit que c’est une voleuse.

CAMILLE

Marguerite! Marguerite! Ce n’est pas bien, ce que tu dis là. Tu fais tort à une pauvre fille qui est peut-être honteuse et repentante de ses fautes passées.

MARGUERITE

Ni honteuse ni repentante, je t’en réponds.

CAMILLE

Comment le sais-tu?

MARGUERITE

Parce que je vois bien à son air impertinent, à son nez en l’air[40] quand elle passe devant nous, parce qu’à l’église elle se tient très mal, elle se couche sur son banc, elle bâille, elle cause, elle rit; et puis elle a un air faux et méchant.

MADELEINE

Cela, c’est vrai, je l’ai même dit à sa mère.

LÉON

Et que lui a dit la mère Léonard?

MADELEINE

Rien, je pense, puisqu’elle a continué comme avant.

SOPHIE

Et tu ne dis pas que la mère t’a répondu: «Qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle?[41] Je ne me mêle pas de vos affaires: ne vous occupez pas des nôtres.»

JEAN

Comment! elle a osé te répondre si grossièrement? Si j’avais été là, je l’aurais joliment rabrouée[42] et sa Jeannette aussi.

MADELEINE, souriant

Heureusement que tu n’étais pas là. La mère Léonard se serait prise de querelle[43] avec toi et t’aurait dit quelque grosse injure.

JEAN

Injure! Ah bien! je lui aurais donné une volée de coups de poing et de coups de pied; je suis fort sur la savate[44], va! Je l’aurais mise en marmelade[45] en moins de deux minutes.

LÉON, levant les épaules

Vantard, va! C’est elle qui t’aurait rossé[46].

JEAN

Rossé! moi! veux-tu que je te fasse voir si je sais donner une volée en moins de rien?»

Et Jean se lève, ôte sa veste et se met en position de bataille. Jacques lui offre de lui servir de second.

Tous les enfants se mettent à rire. Jean se sent un peu ridicule, remet son habit et rit de lui-même avec les autres. Léon persifle Jacques, qui riposte en riant; Marguerite le soutient; Léon commence à devenir rouge et à se fâcher. Camille, Madeleine, Sophie et Jean se regardent du coin de l’œil et cherchent par leurs plaisanteries à arrêter la querelle commençante; leurs efforts ne réussissent pas; Jacques et Marguerite taquinent Léon, malgré les signes que leur sont Camille et Madeleine.

Léon se lève et veut chasser Jacques, qui, plus leste que lui, court, tourne autour des arbres, lui échappe toujours et revient toujours à sa place. Léon s’essuie le front, il est en nage et tout à fait en colère.

«Viens donc m’aider, dit-il à Jean. Tu es là comme un grand paresseux à me regarder courir.

JEAN

À ton aide, pour quoi faire?

LÉON

Pour attraper ce mauvais gamin, pardi[47]!

JEAN, froidement

Et après?

LÉON

Après…, après…, pour m’aider à lui donner une leçon.

JEAN, de même

Une leçon de quoi?

LÉON

De respect, de politesse pour moi, qui ai presque le double de son âge.

JEAN

De respect! Ha! ha! ha! Quel homme respectable tu fais en vérité!

MARGUERITE

Ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi?[48]

JEAN

Dans tous les cas, lors même que Jacques t’aurait offensé, je serais honteux de me mettre avec toi contre lui, pauvre petit qui a, comme tu le dis très bien, la moitié de ton âge. Ce serait un peu lâche, dis donc, Léon, comme trois ou quatre contre un?

LÉON

Tu es ennuyeux, toi, avec tes grands sentiments, ta sotte générosité.

JEAN

Tu appelles grands sentiments et générosité que deux grands garçons de treize ans et de onze ans ne se réunissent pas pour battre un pauvre enfant de sept ans qui ne leur a rien fait?

LÉON

Ce n’est rien, de me taquiner comme il le fait depuis un quart d’heure?

JEAN

Ah bah! Tu l’as taquiné aussi. Défends-toi tout seul. Tant pis pour toi, s’il est plus fort que toi à la course et au coup de langue.»

Jacques avait écouté sans mot dire. Sa figure intelligente et vive laissait voir tout ce qui se passait en son cœur de reconnaissance et d’affection pour Jean, de regret d’avoir blessé Léon. Il se rapprocha petit à petit, et au dernier mot de Jean il fit un bond vers Léon et lui dit:

«Pardonne-moi, Léon, de t’avoir fâché; j’ai eu tort, je le sens; et j’ai entraîné Marguerite à mal faire, comme moi; elle en est bien fâchée, comme moi aussi: n’est-ce pas, Marguerite?

MARGUERITE

Certainement, Jacques, j’en suis bien fâchée; et Léon voudra bien nous excuser en pensant que, toi et moi étant les plus petits, nous nous sentons les plus faibles, et qu’à défaut de nos bras nous cherchons à nous venger par notre langue des taquineries des plus forts.»

Léon ne dit rien, mais il donna la main à Marguerite, puis à Jacques.

Les papas et les mamans, qui étaient assis et causaient plus loin, se levèrent pour continuer la promenade. Les enfants les suivirent; Jacques s’approcha de Jean et lui dit avec tendresse:

«Jean, je t’aime, et je t’aimerai toujours.

MARGUERITE

Et moi aussi, Jean, je t’aime, et je te remercie d’avoir défendu mon cher Jacques contre Léon.»

Et elle ajouta tout bas à l’oreille de Jean: «Je n’aime pas Léon».

Jean sourit, l’embrassa et lui répondit tout bas:

«Tu as tort; il est bon, je t’assure.

MARGUERITE

Il fait toujours comme s’il était méchant.

JEAN

C’est qu’il est vif, il ne faut pas le fâcher.

MARGUERITE

Il se fâche toujours.

JEAN

Avoue que, Jacques et toi, vous vous amusez à le taquiner.»

Jacques et Marguerute se regardèrent, sourirent, et avouèrent que Léon les agaçait avec son air moqueur, et qu’ils aimaient à le contrarier[49].

«Eh bien, dit Jean, essayez de ne pas le contrarier, et vous verrez qu’il ne se fâchera pas et qu’il ne sera pas méchant.»

Tout en causant, on approcha du moulin; les enfants virent avec surprise une foule de monde assemblée tout autour; une grande agitation régnait dans cette foule; on allait et venait, on se formait en groupes, on courait d’un côté, on revenait avec précipitation de l’autre. Il était clair que quelque chose d’extraordinaire se passait au moulin.

« Serait-il arrivé un malheur, et d’où peut venir cette agitation? dit Mme de Rosbourg.

– Approchons, nous saurons bientôt ce qui en est», répondit Mme de Fleurville.

Les enfants regardaient d’un œil curieux et inquiet. En approchant on entendit des cris, mais ce n’étaient pas des cris de douleur, c’étaient des explosions de colère, des imprécations, des reproches. Bientôt on put distinguer des uniformes de gendarmes; une femme, un homme et une petite fille se débattaient contre deux de ces braves militaires qui cherchaient à les maintenir. La petite fille et sa mère poussaient des cris aigus et lamentables; le père jurait, injuriait tout le monde. Les gendarmes, tout en y mettant la plus grande patience, ne les laissaient pas échapper. Bientôt les enfants purent reconnaître le père Léonard, sa femme et Jeannette.

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