Arthur Conan Doyle
Quand je jette un coup d’œil sur les notes et les résumés qui ont trait aux enquêtes menées par Sherlock Holmes entre les années 82 et 90, j’en retrouve tellement dont les caractéristiques sont à la fois étranges et intéressantes qu’il n’est pas facile de savoir lesquelles choisir et lesquelles omettre. Quelques-unes, pourtant, ont déjà bénéficié d’une certaine publicité grâce aux journaux et d’autres n’ont pas fourni à mon ami l’occasion de déployer ces dons exceptionnels qu’il possédait à un si haut degré et que les présents écrits visent à mettre en lumière. Quelques-unes, aussi, ont mis en défaut l’habileté de son analyse et seraient, en tant que récit, des exposés sans conclusion. D’autres, enfin, n’ayant été élucidées qu’en partie, leur explication se trouve établie par conjecture et hypothèses plutôt qu’au moyen de cette preuve logique absolue à quoi Holmes attachait tant de prix. Parmi ces dernières, il en est une pourtant qui fut si remarquable en ses détails, si étonnante en ses résultats, que je cède à la tentation de la relater, bien que certaines des énigmes qu’elle pose n’aient jamais été résolues et, selon toute probabilité, ne le seront jamais entièrement.
L’année 87 nous a procuré une longue série d’enquêtes d’intérêt variable dont je conserve les résumés. Dans la nomenclature de cette année-là, je trouve une relation de l’entreprise de la Chambre Paradol, un exposé concernant la Société des Mendiants amateurs, un cercle dont les locaux somptueux se trouvaient dans le sous-sol voûté d’un grand magasin d’ameublement, des précisions sur la perte de la barque anglaise
L’homme qui entra était jeune, vingt-deux ans peut-être; très soigné et mis avec élégance, ses manières dénotaient une certaine recherche et une certaine délicatesse. Tout comme le parapluie ruisselant qu’il tenait à la main, son imperméable luisant disait le temps abominable par lequel il était venu. Dans la lumière éblouissante de la lampe, il regardait anxieusement autour de lui, et je pus voir que son visage était pâle et ses yeux lourds, comme ceux d’un homme qu’étreint une immense anxiété.
– Je vous dois des excuses, dit-il, tout en levant son lorgnon d’or vers ses yeux. J’espère que ça ne vous dérange pas, mais j’ai bien peur d’avoir apporté dans cette pièce confortable quelques traces de la tempête et de la pluie.
– Donnez-moi votre manteau et votre parapluie, dit Holmes. Ils seront fort bien là sur le crochet et vous les retrouverez secs tout à l’heure. Vous venez du sud-ouest de Londres à ce que je vois.
– Oui, de Horsham.
– Ce mélange d’argile et de chaux que j’aperçois sur le bout de vos chaussures est tout à fait caractéristique.
– Je suis venu chercher un conseil.
– C’est chose facile à obtenir.
– Et de l’aide.
– Ce n’est pas toujours aussi facile.
– J’ai entendu parler de vous, monsieur Holmes. J’en ai entendu parler par le commandant Prendergast que vous avez sauvé dans le scandale du Tankerville Club.
– Ah! c’est vrai. On l’avait à tort accusé de tricher aux cartes.
– Il dit que vous êtes capable de résoudre n’importe quel problème.
– C’est trop dire.
– Que vous n’êtes jamais battu.
– J’ai été battu quatre fois – trois fois par des hommes et une fois par une femme.
– Mais qu’est-ce que cela, comparé au nombre de vos succès…
– C’est vrai que d’une façon générale, j’ai réussi.
– Vous pouvez donc réussir pour moi.
– Je vous en prie, approchez votre chaise du feu et veuillez me donner quelques détails au sujet de votre affaire.
– Ce n’est pas une affaire ordinaire.
– Aucune de celles qu’on m’amène ne l’est. Je suis la suprême cour d’appel.
– Et pourtant je me demande, monsieur, si dans toute votre carrière, vous avez jamais eu l’occasion d’entendre le récit d’une suite d’événements aussi mystérieux et inexplicables que ceux qui se sont produits dans ma famille.