Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Жюльетта Бенцони страница 4.

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Autour des trois personnages où se centralisait le drame, des émeutiers maîtrisaient à grand-peine plusieurs seigneurs, blessés et sanglants, mais se débattant encore furieusement. Un corps poignardé gisait sur le dallage de marbre noir et blanc, perdant son sang lentement. Et le contraste était saisissant entre l'impassibilité apparente des deux Bourguignons, la fureur des émeutiers et les larmes que versait le Dauphin dont les mains se tendaient maintenant en un geste d'imploration. Au premier rang des furieux Catherine pouvait voir s'agiter Caboche, son chaperon blanc en bataille, la chemise trempée de sueur, contrastant avec la robe noire, les gestes mesurés et le maintien glacial de Pierre Cauchon. C'est ce dernier, si calme, qu'elle jugea effrayant.

Le tumulte était à son comble. Les révoltés s'étaient emparés de plusieurs hommes de tous âges et les entraînaient vers la rue après les avoir étroitement ligotés. Deux d'entre eux s'étaient attaqués à un très jeune homme qui pouvait avoir au plus seize ans. Une jeune femme tentait de lui faire un rempart de son corps malgré les efforts qu'il faisait pour l'écarter. Elle était brune et charmante, enfantine encore malgré la lourde robe de damas mordoré qui l'écrasait un peu et la haute coiffure à deux cornes drapées de mousseline blanche. Elle pleurait en essayant de retenir contre elle le jeune homme, suppliait qu'on le lui laissât. Comme les émeutiers portaient les mains sur elle pour lui faire lâcher prise, la colère du Dauphin éclata. Arrachant son épée du fourreau, il bondit, vif comme la foudre, transperça de deux coups rapides les hommes qui avaient osé toucher son épouse, puis tourna la lame sanglante vers Jean-Sans-Peur.

— Quel misérable êtes-vous donc, mon cousin, pour laisser ainsi rudoyer sous vos yeux ma femme, votre propre fille ? Cette émeute se fait sur votre conseil.et vous ne pouvez vous en défendre car je vois là, avec ces gens, ceux de votre hôtel. Mais soyez sûr qu'une fois il m'en souviendra et que la besogne n'ira pas toujours à votre plaisir.

Philippe de Charolais avait, instinctivement, tiré son épée lui aussi pour se porter au secours de sa sœur. Il s'en servit pour écarter doucement la pointe dardée sur la poitrine de son père. Le duc n'avait pas bronché. Seulement haussé les épaules.

— Quoi que vous en pensiez, Louis, je ne puis rien dans la conjoncture actuelle. Je reconnais que les événements me dépassent et que je ne suis plus maître de ces brutes. Sinon, je sauverais au moins les serviteurs de ma fille...

À l'impuissante fureur de Catherine, fascinée, le jeune homme que voulait défendre la Dauphine avait enfin été capturé. Trouvant le chemin libre, quand les deux-hommes étaient tombés sous la lame du Dauphin, il avait couru vers une fenêtre pour sauter dans le jardin mais trois écorcheurs et deux mégères échevelées s'étaient pendus à lui. Écroulée en travers le lit, la petite duchesse sanglotait éperdument.

— Sauvez-le, mon père, je vous en supplie. Pas lui... pas Michel, c'est mon ami...

Mais le duc eut un geste d'impuissance qui arracha à Catherine un cri indigné. Madame la Dauphine lui plaisait beaucoup, elle eût voulu l'aider. Ce duc qui laissait pleurer sa fille devait vraiment être un mauvais homme... Le comte de Charolais était pâle jusqu'aux lèvres.

Il était lui-même marié à la sœur du Dauphin, la princesse Michelle, et le chagrin de Marguerite lui était pénible. Mais il ne pouvait rien faire. Caboche et son acolyte, Denisot de Chaumont, venaient de mettre eux-mêmes la main au collet du jeune prisonnier. Ils l'enlevèrent à ceux qui étaient occupés à lui lier les mains derrière le dos, le maintinrent debout entre eux deux. D'une secousse, le jeune homme les bouscula. Catherine poussa un cri que nul n'entendit.

C'était, pour son âge, un garçon singulièrement développé et vigoureux que Michel de Montsalvy. Les bouchers écartés une brève seconde, il courut au duc de Bourgogne, se planta devant lui. Sa voix furieuse domina le tumulte.

— Tu n'es qu'un lâche, duc de Bourgogne, traître et félon à ton Roi dont tu laisses souiller la demeure. Et je te déclare indigne de porter les éperons de chevalier...

Revenus de leur surprise, Caboche et Denisot récupéraient leur prisonnier sans douceur. Ils voulurent l'obliger à s'agenouiller devant celui qu'il venait d'insulter. Il se débattit comme un démon malgré ses liens, jouant si vigoureusement des pieds qu'une fois de plus les bouchers s'écartèrent. Il se rapprocha de Jean-Sans-Peur, comme s'il avait encore quelque chose à dire. Celui-ci, le visage crispé, ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais il n'en eut pas le temps. On le vit blêmir, porter la main à son visage au plein duquel Michel de Montsalvy venait de cracher...

Catherine comprit obscurément que le jeune homme venait de signer son arrêt de mort !

— Emmenez-le ! ordonna le duc d'une voix rauque. Faites-en ce que vous voudrez ! Les autres seront conduits à mon hôtel où, pour cette nuit, ils seront mes hôtes. Je vous en réponds, beau-fils.

Sans répondre, le dauphin Louis lui tourna le dos et s'en alla cacher son visage contre le manteau de la cheminée. La petite duchesse sanglotait toujours, refusant les consolations que son frère tentait de lui prodiguer.

— Je ne vous pardonnerai jamais !... Jamais ! balbutiait-elle entre deux sanglots.

Cependant, Caboche et Denisot avaient récupéré à la fois leurs esprits et leur prisonnier, avec l'aide de quelques compagnons. Ils l'entraînaient maintenant vers l'escalier.

Catherine glissa une main tremblante dans celle de Landry, et chuchota :

— Que vont-ils lui faire ?

— Le pendre et un peu vite j'espère ! C'est tout ce qu'il mérite ce sale Armagnac. Tu as vu ? Il a osé cracher au visage de notre duc...

Et, incontinent, Landry se joignit au chœur forcené qui, dans l'escalier criait déjà «À mort !... ». D'une secousse Catherine arracha sa main. Elle était devenue écarlate jusqu'à la racine de ses cheveux blonds.

— Oh !... Tu me dégoûtes, Landry Pigasse !...

Avant que Landry, stupéfait, ait eu le temps de se reconnaître, elle lui avait tourné le dos et s'était perdue dans la foule, ouverte un bref instant pour laisser passer le cortège du captif. Elle se lança dans son sillage.

Au prix de sa vie, Catherine eût été incapable d'expliquer ce qui se passait dans son âme enfantine. Jamais, jusqu'à ce jour, elle n'avait vu Michel de Montsalvy, elle ignorait encore jusqu'à son nom dans l'heure précédente et, cependant, elle avait l'impression de l'avoir toujours connu. Il lui semblait aussi familier, aussi cher que son père Gaucher ou sa sœur Loyse. C'était comme si, tout à coup, des liens mystérieux et invisibles s'étaient tissés entre le jeune noble et la fille de l'orfèvre. Des liens ancrés dans la ; chair et qui pouvaient faire mal... Catherine ne savait qu'une chose : il fallait qu'elle suivît le prisonnier, qu'elle sût, à tout prix, ce qu'il allait advenir de lui. Tout à l'heure, quand les écorcheurs l'avaient lié, et ensuite, quand il avait insulté le duc, elle l'avait vu de tout près, dans la pleine lumière des vitraux. Elle s'était sentie toute bête tandis que de grands cercles rouges passaient devant ses yeux, tout comme le jour où elle avait essayé, par jeu, de regarder le soleil en face. Un garçon pouvait-il vraiment être aussi beau ?

Il l'était, certes, et en démesure avec son visage pur aux traits nets et fins. Des traits qui eussent peut-être été quelque peu féminins sans l'énergie du menton, la bouche serrée et les fiers yeux d'azur qui ne devaient pas se baisser aisément. Les cheveux blonds, coupés très courts au-dessus de la nuque et des oreilles, formaient cette ronde et brillante calotte d'or alors à la mode et qui permettait aisément le port du | casque. Sous la hucque de soie violette, frappée de feuilles d'argent, les épaules se dessinaient, athlétiques tandis que les chausses collantes, mi-partie gris et argent moulaient des cuisses musclées de cavalier. Les mains liées au dos, la tête fièrement redressée, les yeux froids et la lèvre méprisante, il avait l'air entre ses deux bouchers d'un archange aux mains d'esprits malfaisants. Catherine se souvint tout à coup d'une image peinte qu'elle avait admirée un jour dans un bel évangéliaire auquel son père faisait une couverture d'or ciselé. Elle représentait un jeune chevalier blond, vêtu d'une armure d'argent et foulant aux pieds un dragon qu'il transperçait de sa lance. Gaucher avait dit à sa fille que c'était là Monseigneur Saint-Michel terrassant le Malin. C'était à lui que ressemblait le jeune homme... le jeune homme qui s'appelait Michel lui aussi...

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