Catherine et le temps d'aimer - Жюльетта Бенцони страница 4.

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Maintenant que j'ai Madame de Brazey je n'ai plus besoin de personne

! Et nous avons à parler !

L'hospitalière, congédiée ainsi cavalièrement, pinça les lèvres mais s'inclina et sortit sans ajouter un mot. La porte qui claqua derrière elle donna, seule, la mesure de son mécontentement. La comtesse la regarda sortir, haussa les épaules, puis se déplaça lourdement dans le lit qui cria sous son poids pour faire place à son amie.

— Venez vous asseoir là, ma mie, et causons ! Cela fait combien de temps que vous m'avez quittée pour prendre d'assaut la ville d'Orléans ?

— Cinq ans, dit Catherine. Déjà cinq ans ! Le temps passe vite.

— Cinq ans, reprit Ermengarde, que je cherche en vain à savoir ce qu'est devenue certaine dame de Brazey. La dernière fois que j'ai eu de vos nouvelles, vous étiez à Loches, dame de parage de la reine Yolande. Vous n'avez pas honte ?

— Si, admit Catherine, mais les jours ont coulé sans que je m'en aperçoive. Et puis, chère Ermengarde, il faudra vous déshabituer de m'appeler Brazey. Ce n'est plus mon nom...

— Lequel, alors ?

— Le plus beau de tous : Montsalvy ! fit la jeune femme avec tant d'orgueil que la vieille comtesse ne put s'empêcher de sourire.

— Ainsi, vous avez gagné ? Il est écrit, quelque part, que vous me surprendrez toujours, Catherine ! De quelle alchimie avez-vous usé pour amener à composition l'intraitable messire Arnaud ?

Le sourire de Catherine, au nom de son époux, s'effaça. Un pli de douleur creusa sa bouche tendre, elle détourna les yeux.

— C'est une longue histoire... murmura-t-elle. Une cruelle histoire...

La dame de Châteauvillain garda le silence un instant. Elle observait son amie, émue de cette douleur qui venait, pour la première fois, de se laisser voir et dont, instinctivement, elle devinait la profondeur. Elle ne savait comment poursuivre le dialogue, craignant de blesser. Au bout d'un instant, elle dit, avec une douceur inhabituelle chez elle :

— Appelez l'une de mes femmes. Elle vous aidera à ôter ces vêtements mouillés, les fera sécher et vous en prêtera d'autres... un peu trop grands mais chauds.

On nous apportera à souper et vous me direz tout. Vous semblez exténuée...

— C'est que je le suis ! admit Catherine avec un faible sourire.

Mais, auparavant, il me faut m'occuper de l'une de mes compagnes, celle qui avait tant besoin d'une chambre.

— Je vais donner des ordres...

— Non, coupa Catherine. Il faut que j'y aille. Mais je reviens tout de suite.

Elle sortit dans le couloir juste au moment où l'on amenait Gillette dans la pièce voisine, délaissée par les deux chambrières d'Ermengarde. La femme qui avait promis à Catherine de s'occuper de la malade était là, elle aussi... Elle sourit à la jeune femme.

— On dit que vous avez retrouvé une amie dans cette maison, dit-elle. Si vous voulez, je m'occuperai cette nuit de notre compagne. Elle n'est ni exigeante ni encombrante.

— Mais, dit Catherine, je ne voudrais pas... Vous avez besoin de repos !

L'autre se mit à rire.

— Je suis plus solide que je n'en ai l'air, allez ! Je peux dormir n'importe où, sur une pierre, sous la pluie... ou même debout !

Catherine la considéra avec intérêt. C'était une jeune femme d'une trentaine d'années, petite, brune et mince, mais sa peau, hâlée par le vent et le soleil, avait un air de santé encore relevé par ses solides dents blanches. Elle était pauvrement mais proprement vêtue. Quant à son visage, le nez légèrement retroussé et la grande bouche mobile lui donnaient une expression de gaieté qui plut à la jeune femme.

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle doucement.

— Margot ! Mais on m'appelle Margot la Déroule... je... je ne suis pas quelqu'un de très recommandable ! ajouta-t-elle avec une franchise humble qui toucha Catherine.

Chut ! fit celle-ci. Les pèlerins sont tous frères et sœurs. Vous valez n'importe lequel d'entre nous... Mais, merci de votre aide ! Je serai dans la chambre voisine. Appelez si vous avez besoin de moi.

— Soyez tranquille, affirma Margot, je saurai bien me tirer d'affaire toute seule. D'ailleurs, la pauvre Gillette a surtout besoin d'une bonne soupe et d'une grande nuit... quoi que puisse en penser notre chef qui souhaite s'en débarrasser !

— Qu'a-t-il dit à son sujet ?

— Qu'il ne la laisserait pas repartir avec nous demain parce qu'il ne veut pas traîner des malades jusqu'à Compostelle.

Catherine fronça les sourcils. Ce Gerbert semblait décidé à imposer à tous sa volonté, mais elle était d'ores et déjà bien déterminée à ne pas le laisser faire.

— C'est ce que nous verrons ! dit-elle. Demain, il fera jour. Et je réglerai cette question avec lui. A moins que notre sœur ne souhaite demeurer, elle partira avec nous !

Elle adressa un dernier sourire à Margot qui la regardait avec admiration et rentra dans la chambre d'Ermengarde.

Il était déjà tard, dans la nuit, lorsque Catherine cessa de parler, mais, dans la cour romane de l'hospice, la cloche des perdus sonnait toujours, donnant au récit de Catherine un étrange contrepoint qui en soulignait le ; côté tragique. Ce récit, Ermengarde l'avait écouté de ; bout en bout sans souffler mot, mais, lorsque Catherine se tut, la vieille dame poussa un soupir et hocha la tête.

— Une autre que vous me raconterait cette histoire, je n'en croirais pas la moitié, dit-elle. Mais il semble que vous ayez été créée et mise au monde pour un destin hors du commun. Et je vous crois capable de venir à bout des pires aventures. Au fond, vous retrouver sous le manteau du pèlerin n'est qu'une simple anecdote !...

Ainsi, vous voilà en route pour Compostelle ? Mais si vous n'y retrouvez pas votre époux ?

— J'irai plus loin encore. Au bout de la terre s'il le faut, car je n'aurai ni trêve ni repos avant de l'avoir retrouvé.

— Et si, loin d'avoir obtenu la guérison, il a vu s'accentuer les ravages de la lèpre ?

— Je m'attacherai tout de même à ses pas. Quand je l'aurai rejoint, rien ni personne ne pourra plus me séparer de lui ! Vous savez bien, Ermengarde, qu'il a toujours été ma seule raison de vivre.

— Hélas ! Je ne le sais que trop ! Depuis le temps que je vous vois vous fourrer dans d'affreuses impasses et vous jeter au-devant des mésaventures les plus sanglantes, je me demande s'il faut tellement remercier le ciel d'avoir placé Arnaud de Montsalvy sur votre chemin.

— Le ciel ne pouvait pas me faire plus merveilleux cadeau !

s'écria Catherine avec tant d'exaltation qu'Ermengarde leva les sourcils et, d'un ton négligent, remarqua :

— Dire que vous pouviez régner sur un empire ! Savez-vous que le duc Philippe ne vous a jamais oubliée ?

Catherine changea de couleur et s'écarta brusquement de son amie.

Ce rappel aux jours d'autrefois lui était pénible.

— Ermengarde, dit-elle calmement, si vous voulez que nous demeurions amies, ne me parlez plus jamais du duc Philippe ! Je veux oublier toute cette partie de ma vie.

— C'est que vous avez une mémoire bigrement accommodante !

Cela ne doit pas être facile !

— Peut-être ! Mais... et le ton de Catherine s'allégea soudainement.

Elle revint s'asseoir auprès d'Ermengarde toujours pelotonnée au fond de son lit et doucement demanda :

Parlez-moi plutôt des miens, de ma mère et de mon oncle Mathieu dont je n'ai plus de nouvelles depuis si longtemps ! Si toutefois vous en avez.

— Naturellement j'en ai, bougonna Ermengarde. Ils vont bien tous deux, mais ils supportent l'absence de nouvelles moins bien que vous !

Je les ai trouvés vieillis la dernière fois que je suis allée à Marsannay.

Mais leur santé est bonne.

— Ma... défection ne leur a pas valu de trop gros ennuis ?

demanda Catherine avec un brin de gêne.

— Il est bien temps de vous en soucier ! remarqua la vieille dame avec un sourire en coin. Non, rassurez- vous, se hâta-t-elle d'ajouter en voyant s'assombrir le visage de Catherine, il ne leur est rien advenu de fâcheux. Le duc n'a tout de même pas l'âme assez basse pour leur faire supporter ses déceptions amoureuses. Je croirais assez... qu'il espère au contraire que le désir de les revoir vous ramènera un jour dans ses États. Il n'allait donc pas commettre la sottise de les exiler pour les perdre de vue. Il désire, selon moi, que vous sachiez quelle grande âme il possède ! Aussi la fortune de votre oncle prospère-t-elle gentiment. Je n'en dirais pas autant de celle des Châteauvillain !

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