La Perle de l'Empereur - Жюльетта Бенцони страница 7.

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— Pourquoi vous arrêtez-vous ? protesta-t-il.

— Y a là-bas un atelier d’emboutissage de chez Citroën qui a été désaffecté à cause d’une inondation. C’est là qu’ils sont entrés, affirma Karloff.

— Vous avez des yeux de lynx, dites donc ?admira Morosini cependant bien partagé sous le rapport de l’acuité visuelle.

— Non, mais j’habite dans le coin et je le connais comme ma poche. Ils ont dû rentrer la bagnole dans la cour. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Je vais y aller bien sûr… Vous ne pourriez pas me rapprocher un peu ?

Par-dessus ses lunettes, le colonel-chauffeur lui jeta un coup d’œil goguenard :

— J’ai déjà porté, moi aussi, des souliers vernis pour le soir et je sais que ce n’est pas l’idéal pour la marche, mais vous avez peut-être remarqué que mon moteur est un rien trop bruyant ? Alors il faut vous résigner et, par saint Wladimir, vous devriez survivre ! Pendant ce temps je pousserai mon taxi pour diminuer la distance en cas de retour brusqué. Ça descend un peu et je devrais y arriver, ajouta-t-il en extirpant de son siège une carcasse qui, dépliée, s’avéra imposante.

— D’accord ! fit Aldo qui descendit en vérifiant le revolver de Masha pour être certain qu’il pourrait lui demander son aide à tout instant.

— Ne vous en faites pas, je ne serai plus bien loin quand vous en sortirez ! assura Karloff en se mettant en devoir de pousser son taxi comme il l’avait annoncé.

— Oh ! Je ne m’en fais pas…

Un jour grincheux et enchifrené se levait, découpant les contours d’une banlieue jadis aimable que l’industrialisation était en train de défigurer. Le joli château, si amoureusement construit et décoré par Louis XVIII pour sa favorite – la dernière de sa corporation, du moins en France ! – la belle Zoé du Cayla, voyait son parc sévèrement amputé par la Société Thomson-Houston qui se consacrait depuis la guerre à la fabrication de transformateurs et d’appareils à haute tension. Quant au château, transformé en hôpital, toujours pendant la guerre, c’était à présent un centre d’apprentissage pour garçons. Triste décor en vérité mais auquel Morosini ne jeta qu’un coup d’œil destiné à évaluer le danger qui pouvait venir de cet enchevêtrement de bâtisses et d’ateliers.

L’arme au poing et avec les précautions d’usage, il pénétra dans une cour encombrée de débris puis dans un vaste atelier délabré dont les vitres, si elles n’étaient pas cassées, étaient noires de poussière. Et là il ne vit rien sinon, dans un coin obscur, bien protégé de murs épais, un assemblage sinistre composé d’un brasero aux braises encore rouges sur lequel étaient appuyées une paire de tenailles et de longues tiges de fer. Il y avait aussi des traces de sang. Une plongée brutale dans le pire Moyen Âge sous une affichette-réclame à demi déchirée vantant les vertus du Viandox !… Mais de la victime pas trace. Tout semblait s’être volatilisé comme par enchantement.

Durant de longues minutes, Aldo examina les lieux, la cour surtout où des marques de pneus apparaissaient pour s’effacer presque aussitôt, faisant place à des empreintes de chaussures variées. Il y avait aussi les fins talons d’un soulier de femme. C’était comme si ces gens avaient uni leurs forces pour soulever la voiture et l’emporter vers une cachette sûre. Ce qui relevait de la pure aberration…

Au fond de la cour, tout de même, Morosini trouva un rideau de fer passablement rouillé en surface mais dont les œuvres vives étaient bien graissées. Mais d’abord il était fermé et ensuite beaucoup trop lourd pour un homme seul. Le prince-antiquaire pensa alors à demander l’aide du colonel Karloff. Celui-là était taillé comme un ours et son passager le voyait très bien suivre les traces du maréchal de Saxe en tordant un fer à cheval entre ses mains.

Il se mit donc à sa recherche mais n’alla pas loin : le taxi était arrêté presque devant la vieille usine. Quant à son conducteur, il le vit assis un peu plus loin près de la Seine, un petit garçon installé à ses côtés. Tous deux regardaient le fleuve couler à leurs pieds. Morosini s’approcha et, l’entendant venir, l’enfant leva sur lui des yeux bleus désolés et des joues rondes où glissaient encore de grosses larmes. C’était un petit garçon d’une dizaine d’années avec des taches de rousseur et des cheveux blonds en désordre bâchés sous une casquette, ressemblant à l’un de ces gamins de Montmartre que dessinait alors Poulbot avec sa longue culotte, ses brodequins et le cache-nez tricoté enroulé autour de son cou ; mais ses vêtements fatigués semblaient de bonne qualité et donnaient une impression de propreté. Il s’adressa au nouveau venu comme s’il le connaissait et trouvait sa présence toute naturelle :

— Ils l’ont jeté à l’eau ici avec une grosse pierre aux pattes ! L’a coulé tout droit…

Et ses larmes recommencèrent à couler tandis que Karloff grognait :

— Ce n’est même plus la peine de chercher votre bonhomme, monsieur. Le petit était là. Il a tout vu…

— C’est justement ce que je voudrais savoir : que faisait-il à cet endroit à une heure pareille ? Dis-moi, ajouta-t-il en pliant les genoux pour être à la hauteur de l’enfant, tu ne t’appellerais pas par hasard Jeannot Le Bret ?

— Si. Qui vous l’a dit ?

— Mon petit doigt. Reste à savoir comment tu es arrivé jusqu’ici ?

— Derrière leur bagnole ! J’les ai entendus monter chez Piotr quand y sont arrivés. Alors je m’suis habillé vite et j’allais monter voir quand j’les ai entendus descendre. Puis j’les ai vus sortir en traînant Piotr après eux. Alors j’ai voulu les suivre et savoir où ils l’emmenaient.

— Ça n’a pas dû être facile ?

— Pas très ! J’étais agrippé à la roue de secours et ils allaient bon train mais ils risquaient pas de me voir parce que le rideau de la glace arrière était baissé. Et puis on est arrivés là-bas et j’ai sauté quand y se sont arrêtés devant l’atelier. Y z’ont emmené Piotr à l’intérieur et j’ai plus rien vu. Mais j’ai entendu, ajouta-t-il avec un ton d’horreur difficile à rendre, en torchant à sa manche son nez où les larmes coulaient de nouveau. Ah, les vaches ! Qu’est-ce qu’y lui en ont fait voir ! Puis j’ai plus bien entendu et une que j’avais pas encore vue est sortie, montée dans la voiture qui est repartie mais sans moi. Je m’étais caché là, derrière le grand bidon d’essence vide. C’est de là que j’ai vu deux hommes sortir. Ils portaient un corps. J’ai tout de suite compris que c’était Piotr et qu’il était mort. Après ils ont attaché la pierre… Moi je suis resté là, des fois que la pierre s’rait mal attachée mais j’ai plus rien vu… plus rien vu !

Et il se remit à sangloter. Morosini posa sa main sur sa tête pour l’apaiser. Il s’adressa au chauffeur de taxi :

— Et vous, à part lui, vous n’avez rien vu d’autre ?

— J’en ai vu autant que vous : la voiture cette fois est entrée dans l’usine et je crois qu’il serait peut-être temps d’aller chercher la police…

— Justement, avant de l’appeler j’ai besoin de votre aide. Il n’y a personne là-dedans et la voiture elle aussi a disparu. Il reste juste les outils dont ils se sont servis pour faire parler Piotr.

— Il y a peut-être une autre issue ?

— C’est ce que je pense et j’ai besoin de vous pour y aller voir.

Jeannot bien entendu les suivit et ils se retrouvèrent tous les trois devant le rideau de fer qui intriguait tant Morosini. En conjuguant leurs efforts ils réussirent à soulever le lourd ruban de tôle ondulée et constatèrent qu’au-delà il n’y avait qu’un étroit boyau terminé par une petite grille, rouillée elle aussi et fermée à clef.

— Pratique ! apprécia Morosini. Voilà les vilains oiseaux envolés. Que faisons-nous à présent ?

— Vous je ne sais pas, bougonna Karloff, mais moi je voudrais bien rentrer au logis. Ma nuit est finie…

— Et comme vous habitez ici, vous n’avez pas envie d’aller plus loin ? Pourtant, il faudrait ramener le petit à son grand-père et moi avec lui… Cela vous fera une course un peu plus longue, voilà tout !

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