Les Joyaux de la sorcière - Жюльетта Бенцони страница 4.

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Chemin faisant, il repassa dans son esprit les moments qu’il venait de vivre chez les Dostel en se livrant à un examen de conscience. Tout à l’heure, il s’était donné les gants de la galanterie en consentant quelques recherches pour faire plaisir à une charmante créature empêtrée d’un mari impossible mais il était bien obligé, face à lui-même, d’admettre qu’aucune force humaine ne l’aurait empêché de se lancer à la chasse d’ornements aussi extraordinaires que ceux qu’il venait de voir. Il était sûr de les avoir déjà vus, peut-être bien sur un autre portrait. Mais quand et où ? L’époque de création et la provenance ne faisaient aucun doute pour lui : le XVIe siècle et très certainement Florence mais sa mémoire, si fiable habituellement, se refusait à l’emmener plus loin. Peut-être parce qu’elle était encombrée par l’affaire qui l’avait amené à Paris ce printemps à la demande du Commissaire Langlois dont il avait fait la connaissance l’année précédente lors du vol de la « Régente (2) » : la découverte ! de l’activité occulte d’une personnalité en vue de la haute société parisienne morte dans les réjouissantes conditions qui avaient fait la gloire du Président Félix Faure. À cette différence près que la dame était une demi-mondaine des plus douteuses dont les accointances avec la pègre ne faisaient aucun doute. On s’était aperçu alors que la demeure de ce célibataire élégant, disert, cultivé, riche et introduit dans les meilleures maisons servait de cadre à une collection de bijoux glanés un peu partout en Europe et qui, tous, sans la moindre exception, avaient disparu un beau jour ou une belle nuit de leur domicile habituel. Certains – et non des moindres ! – posant problème, le chef de la Sûreté Nationale avait fait appel aux connaissances approfondies de son ancien suspect, Aldo Morosini, avec lequel il entretenait à présent les meilleures relations. Et, de fait, Aldo avait pu identifier certaines pièces disparues depuis fort longtemps quelquefois d’écrins augustes ou amis. Mais cela l’avait contraint à une gymnastique cérébrale assez éprouvante. D’où ce trou de mémoire désagréable au possible…

Arrivé à destination, il paya la course en y ajoutant comme de coutume un généreux pourboire et s’engouffra avec allégresse dans l’hôtel particulier de sa grand-tante la marquise de Sommières, qui était devenu son point de chute habituel lorsqu’il venait à Paris. C’était entre cour et parc Monceau sur lequel ouvrait une barrière privée l’une de ces vastes demeures construites sous le Second Empire. Celle-là l’avait été pour l’une de ces belles « Lionnes », reines de la fête parisienne, dont s’était épris un oncle de Madame de Sommières. Il l’avait épousée, à l’horreur générale de la famille mais pour son plus grand bonheur car la fortune c’était elle qui l’avait alors que le jeu et les chevaux avaient ruiné ce bel homme dont elle était devenue folle. Et le couple avait vécu paisiblement, honni par la bonne société mais dans une félicité qui ne s’était jamais démentie, malheureusement sans qu’aucun enfant enfin vînt la sanctionner. Aussi, devenue veuve, la baronne de Faucherolles avait-elle institué sa légataire universelle la jeune Amélie, sa nièce par alliance rencontrée un jour au hasard d’une promenade. D’où scandale dans la famille ! Mais Amélie déjà mariée au marquis de Sommières avait trouvé amusant, avec la bénédiction de son époux, de garder, après avoir fait don de l’argent aux œuvres charitables, la maison sur le parc où elle s’était retirée lors du mariage de son fils en lui laissant l’entière disposition de l’hôtel familial du Faubourg Saint-Germain. Depuis elle y vivait en toute liberté avec ses vieux serviteurs et une cousine, beaucoup plus jeune, qui lui servait de dame de compagnie, de lectrice, de confidente, d’esclave et même on aurait pu dire d’âme damnée si Marie-Angéline du Plan-Crépin n’avait été aussi pieuse personne. Entre deux voyages, elles y menaient une vie fort agréable, mêlée souvent pour leur plus grand plaisir – et parfois leur plus grande angoisse ! – aux affaires tumultueuses du prince-antiquaire qui mettaient dans leur existence une sacrée dose de piment.

Pour sa part, Aldo Morosini adorait en bloc – en dépit de la foisonnante surcharge de passementeries, glands, pompons, galons, poufs, tapis, tentures dont l’avait dotée sa constructrice ! – la demeure et ses habitantes.

— Ces dames sont là ? lança-t-il à Cyprien, le vieux maître d’hôtel qui le débarrassait de son chapeau et de ses gants. Je ne suis pas en retard j’espère ?

— Non, Madame la princesse n’est pas encore rentrée…

— Ce qui veut dire qu’elle est sortie ?

— Euh… oui. Quelques achats, je crois…

Pour toute réponse, Aldo se mit à rire. Bien qu’elle ne soit pas dépensière par nature – naissance suisse oblige ! – Lisa sa femme aimait Paris presque autant que Venise, son grand amour cependant avant même qu’elle n’eût rencontré son époux… Deux fois l’an, elle y venait pour les collections des grands couturiers mais aussi pour les petites boutiques, les galeries d’art, les ateliers de peintres et les salles des ventes car elle s’y connaissait en antiquités presque aussi bien qu’un mari dont elle avait été la secrétaire pendant deux ans (3). Elle était douée, comme disait Aldo, d’un « flair de chien de chasse » et il n’était pas exceptionnel qu’elle lui apporte des objets dignes des salles d’exposition du palais Morosini à Venise où se ruaient collectionneurs et amateurs de choses anciennes venus du monde entier.

Sachant bien où trouver « ces dames » à cette heure de la journée, Aldo piqua droit sur le jardin d’hiver, une grosse bulle de vitraux japonisants consacrés par l’artiste à la cueillette et au parcours du thé reliant le jardin proprement dit à la maison. Y régnait un agréable fouillis de lauriers-roses, de bambous, de rhododendrons, de yuccas, de palmiers et des inévitables aspidistras au milieu desquels Madame de Sommières aimait à se tenir beaucoup plus souvent que dans les salons jugés par elle assommants… Tandis qu’Aldo les arpentait l’écho d’une voix mécontente lui parvint sans l’émouvoir : la marquise et « Plan-Crépin » adoraient ces joutes oratoires qui les opposaient sur les sujets les plus divers allant du choix d’une lecture aux divagations de la politique européenne en passant par les dernières nouvelles apportées par le courrier sans compter les potins récoltés le matin à la première messe à Saint-Augustin dont Marie-Angéline était l’un des plus solides piliers. Sa « patronne » pour sa part, d’humeur quelque peu voltairienne, bornait ses relations avec le Seigneur à la messe de onze heures le dimanche où elle se rendait toujours sous grand pavois comme il convenait à une noble dame rendant visite à un voisin plus titré qu’elle.

Ce jour-là le débat semblait rouler autour d’une invitation sur laquelle on n’était pas d’accord. La parole était à Madame de Sommières :

— Vous n’êtes pas un peu malade, Plan-Crépin ? Que voulez-vous qu’à mon âge, j’aille faire chez les sauvages ?

— Toujours des exagérations ! Nous n’avions cependant pas l’air, l’été dernier à Baden-Baden, de considérer Mrs Van Buren comme échappée d’un tipi iroquois ? Il me semble me souvenir que nous la trouvions d’un commerce agréable et je ne vois pas pourquoi une invitation de sa part nous fait monter sur nos grands chevaux ? clama l’interpellée qui ne s’adressait jamais à la marquise autrement qu’à la première personne du pluriel. Ce qui l’avait d’abord agacée mais qui, à la longue, finissait par lui convenir.

— Commerce agréable ? Où allez-vous chercher des formules pareilles ? Nous ne sommes plus sous Louis XIV que je sache ?

— Nous sommes surtout de mauvaise humeur… et de mauvaise foi ! Il est plus facile de chipoter mon langage que d’admettre que j’ai raison.

— En quoi ?

Estimant qu’il en avait assez entendu, Morosini fit son entrée découvrant ce à quoi il s’attendait : « Tante Amélie » trônant dans son grand fauteuil de rotin blanc garni de coussins en chintz imprimé de roses devant une table légère où s’entassait le courrier du matin – infatigable épistolière elle entretenait des relations postales avec une bonne moitié de l’Europe – et Marie-Angéline, arpentant le sol de marbre couvert de nattes fines en brandissant une lettre d’épais papier crème.

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