Les Larmes De Marie-Antoinette - Жюльетта Бенцони страница 10.

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— Dès l’instant où l’on montrait une copie du fameux collier, remarqua Morosini, il n’y avait aucune raison de ne pas accepter en effet. D’autant que Chaumet a dû en voir d’autres, comme tous les grands joailliers…

— Oui, mais s’imaginer qu’un voleur ou un acheteur se manifesterait était peut-être un peu léger.

— Pas tellement. La vanité des collectionneurs est sans limite. Qu’un quidam ose se prétendre possesseur de la merveille qu’il détient lui est insupportable. J’en sais quelque chose, soupira-t-il en accordant une pensée à la Rose d’York, le vieux diamant qui avait fait couler tant de sang. Il ne peut s’empêcher de se manifester – plus ou moins ouvertement sans doute – mais il n’y manque pas. Cela dit, Chaumet vous a donné, j’imagine, l’adresse de la demoiselle ? Vrai ou faux, on lui a volé sa « larme » : il faut la prévenir…

— Tout ce que l’on peut faire, c’est mettre une convocation dans sa boîte aux lettres à tout hasard. Elle habite une vieille maison assez solitaire et passablement en mauvais état à la limite du Chesnay. Et comme elle l’avait annoncé, il n’y a personne.

— Pas de domestiques ? Pas de voisins ?

— Absolument rien ! grogna Lemercier, qu’Aldo commençait à agacer. Elle n’a pas l’air de rouler sur l’or, on peut comprendre qu’elle ait envie de retrouver les vraies pierres…

— Cela vous ennuierait… de me donner cette adresse ?

Oui, ça l’ennuyait ! Devenu soudain rouge brique, le commissaire aboya :

— Pour que vous vous mêliez de ce qui ne vous regarde pas ? Pas question !… Tenez, il y a là deux taxis en station ! Prenez-en un et rentrez chez vous ! Je vous ai assez vu pour aujourd’hui !

— Et… pour les jours à venir ?

— Restez tranquille et surtout ne quittez pas Paris. N’oubliez pas que vous êtes témoin… au minimum. Alors, restez à ma disposition ! Et, au fond, je me demande si vous ne feriez pas mieux de vous installer ici le temps de l’enquête ?

— Mais c’est que je n’ai pas que ça à faire, moi ! Je suis commerçant et je ne suis venu que pour quelque jours…

— Désolé mais j’aime mieux vous avoir sous la main. Vous êtes, paraît-il, un homme précieux, un connaisseur dans les affaires de bijoux…

— Je préfère « expert » coupa sèchement Morosini. C’est mon titre officiel…

Lemercier balaya la mise au point d’une main désinvolte :

— Je ne vois pas la différence ! Quoi qu’il en soit, vous êtes une sorte de champion dans votre partie c’est du moins ce que prétend mon collègue Langlois. Il lui serait même arrivé de faire appel à vos talents ! Ça le regarde ! Personnellement, je ne vous connais pas mais puisque vous êtes tellement intéressant je ne suis pas disposé à vous courir après jusqu’à Venise. Et ce, même jusqu’à Paris, au cas où j’aurais besoin de vous dans l’instant. En outre, la plupart des gens de votre comité habitent Versailles. Ils ne manquent pas de place et il y en aura certainement un qui se fera une joie de vous offrir l’hospitalité !

— Je déteste déranger ! protesta Morosini. Si je dois rester, ce sera à l’hôtel…

— Justement nous en avons un excellent : le Trianon Palace. À moins qu’il ne soit pas dans vos moyens ? ricana Lemercier sans imaginer un seul instant que sa victime mourait d’envie de lui aplatir le nez. « Maintenant, descendez ! »

Et sans lui laisser le temps de respirer, il l’embarqua dans le premier taxi en lançant au chauffeur :

— À Paris !

Un vague grognement en guise d’adieu et l’on se sépara. Aldo avec une certaine satisfaction : il avait besoin de réfléchir et le voisinage de ce policier hargneux avec lequel il ne savait trop sur quel pied danser n’y était pas favorable. Une chose était sure : Lemercier ne l’aimait pas et, Dieu sait pourquoi, il adorerait pouvoir lui mettre sur le dos cette bizarre affaire de vengeance posthume suscitée sans doute par l’exposition de Trianon. Il n’aurait sûrement pas hésité si Langlois ne s’en était mêlé et sa dernière crise de mauvaise humeur venait peut-être de ce qu’en le convoquant à son bureau il lui avait fourni un alibi parfait pour le second meurtre.

Quant à lui-même, Aldo reconnaissait qu’il avait fait un pas de clerc en demandant l’adresse de Mlle Autié : c’était annoncer justement qu’il avait l’intention de se « mêler de ce qui ne le regardait pas ». Alors qu’il aurait été tellement plus simple de la demander à Chaumet.

Il en était à ce stade de ses cogitations quand la vitre coulissante qui le séparait du chauffeur s’ouvrit et il entendit une voix de basse-taille teintée d’un solide accent russe :

— C’est grand, Paris ! Nous allons rue Alfred de Vigny ou rue Jouffroy ?

— Quai des Orfèvres, répondit-il machinalement avant de réaliser ce qu’il venait d’entendre : « Mais… d’où sortez-vous ces deux adresses ?

Le chauffeur arrêta sa voiture et se retourna, montrant un visage barbu grisonnant et hilare sous la casquette à visière vernie : Aldo l’identifia aussitôt :

— Le colonel Karloff ! C’est ce qu’un Anglais appellerait un « morceau de chance ». Mais que faites-vous à Versailles ? demanda-t-il en se hâtant de descendre pour venir s’installer à côté de l’ancien officier de cosaques. Les deux hommes se serrèrent vigoureusement la main. Aldo était incroyablement heureux de retrouver ce – bon ! – compagnon d’une de ses plus dangereuses aventures : celle où il avait été à deux doigts de laisser sa peau {2}.

— Je viens juste de déposer un client américain à l’hôtel des ventes. C’était fermé mais il a voulu rester. Peut-être pour attendre que ça ouvre ? Ces gens-là s’imaginent toujours que le gouvernement français continue à brader le mobilier du château. Quant à moi, si je ne vous avais pas reconnu sur l’instant, j’aurais claqué mon drapeau au nez de ce foutu policier…

— Vous le connaissez ?

— Plutôt, oui ! J’ai toujours eu l’impression qu’il détestait le genre humain en entier mais avec un petit plus pour les Russes. Il faut vous dire : j’habite maintenant, pas loin d’ici, une modeste maison que ma femme a héritée d’un oncle qui la lui a fait attendre jusqu’à l’an dernier ! Cent trois ans qu’il avait le bougre quand il a vidé sa dernière bouteille de vodka ! Alors on a quitté Saint-Ouen pour s’y installer. Ça me complique bien un peu l’existence à cause de l’éloignement et je ne fais plus la nuit pour ne pas laisser Liouba seule, le coin étant retiré, mais elle est si contente d’avoir un jardin ! Moi aussi d’ailleurs ! Voisiner avec les plants de fraisiers c’est plus agréable qu’avec le marché aux Puces. Et puis je me suis fait une clientèle avec le Trianon Palace… Mais au fait, vous voulez vraiment aller quai des Orfèvres ?

— Vous avez quelque chose contre ?

— N… on ! sauf que je garde l’impression tenace que le commissaire Langlois me prend pour un vieux fou depuis qu’avec votre ami Vidal… machin, on a déboulé chez lui au petit matin après une mémorable virée à Saint-Cloud.

— Vous aviez fait un tel travail qu’il ne vous en a pas voulu longtemps. À propos, avez-vous vu Adalbert ces jours-ci ?

— Pas depuis mon déménagement. Pourquoi me le demandez-vous ? Vous ne savez pas où il est ?

— Je sais qu’il est en Belgique, sans plus ! Je ne suis arrivé qu’il y a deux jours, pour l’exposition de Trianon…

— De Trianon ?… Par saint Vladimir, vous ne changerez jamais ? s’écria Karloff en partant d’un rire homérique sous lequel tremblèrent les vitres de son taxi…

— Vous trouvez ça drôle ? Vous savez qu’il y a eu un mort… et même deux, sans compter un vol ?

Le rire s’arrêta net :

— Deux ? Ça commence bien mais si je riais c’est parce que cela ne m’étonne pas. Vous et Vidal… machin…

— Pellicorne ! Ce n’est pas si difficile !

— Si vous voulez ! Toujours est-il que vous deux avez un vrai talent pour vous fourrer dans des histoires incroyables. Qui est mort cette fois ?

— Un jardinier… mais il paraît que c’était une erreur.

Et Aldo relata tout ce qui s’était passé depuis la cérémonie d’inauguration.

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