La collection Kledermann - Жюльетта Бенцони страница 9.

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À peine eut-il posé la question qu’il se la reprocha mais elle était partie toute seule. Cette fois ce fut l’infirmière qui répondit, rassurante :

— Elle n’est pas encore arrivée mais cela peut se comprendre si elle vient de Venise ! Sans doute ne tardera-t-elle pas ? acheva-t-elle avec un bon sourire auquel Aldo s’efforça de répondre.

Le chemin était long en effet… surtout il avait fallu déjà le parcourir en sens inverse et dans quelles circonstances ! Et à condition que Lisa soit rentrée, mais elle avait pu aussi bien se rendre à Zurich, chez son père, ou à Vienne chez sa grand-mère où elle avait dû conduire les enfants ! Et plus encore quand on représente une page de vie que l’on a décidé de tourner ! Et pour qui ?

Bien qu’il essayât de la repousser, l’affreuse image s’imposait de nouveau à lui, la dernière que son regard eût enregistrée avant qu’il ne s’écroule : Lisa courant dans les bras d’un autre homme qui l’attendait là, aussi naturellement que si elle n’était qu’une visiteuse au château.

Ils s’étaient embrassés avant qu’elle ne monte dans la voiture dont l’homme avait repris le volant pour reculer dans le bois. Qui était-il cet homme vers qui elle avait couru comme vers un refuge ?

Son instinct répondait : Gaspard Grindel. Le cousin qui aimait Lisa depuis l’enfance et qui le détestait, lui Aldo. N’allait-il pas jusqu’à faire suivre le mari exécré quand il se trouvait à Paris ? Il y dirigeait la succursale de la puissante banque Kledermann et il n’était pas difficile de deviner d’où provenait le sac de dollars que Lisa avait jeté aux pieds du ravisseur de son époux. Avec quel mépris puisque cet argent était censé racheter aussi Pauline Belmont, sa « maîtresse ». Lui, elle l’avait à peine regardé, sinon pour lui signifier qu’elle ne voulait plus le voir avant de se précipiter dans les bras de son rival !

À l’amère jalousie qu’il ressentait se mêlait la colère. Pour s’être trouvé à point nommé aux alentours de la Croix-Haute, il fallait que l’homme eût pris le risque de suivre la voiture de ceux qui avaient dû cueillir Lisa à sa descente de train en gare de Lyon, mettant ainsi en péril non seulement les otages, ce qui était de bonne guerre, mais aussi Lisa elle-même, ce qui l’était moins ! Et avait bien failli réussir puisque la folie meurtrière de Lucrezia Torelli avait condamné tout de monde à mourir dans l’enfer du château ravagé par l’incendie ! Drôle d’amour en vérité ! Comment Lisa, si fine cependant, ne l’avait-elle pas compris ?… Et si… Mais non, ce serait trop insupportable !

Il comprit qu’il pleurait en sentant une main légère essuyer ses larmes et rouvrit les yeux pensant voir l’infirmière auprès de lui, mais il s’agissait d’Adalbert et il grogna :

— Drôle de spectacle que je t’offre.

— Bah ! Ce n’est pas si affligeant ! Tu es rasé, propre comme un sou neuf !

— Et je pleure comme un gamin…

— Ne te gêne pas pour moi ! C’est plutôt rassurant !

— Ah, tu trouves ?

— Bien sûr ! Ça prouve seulement que tout fonctionne normalement là-dedans, fit Adalbert en posant un doigt léger sur le pansement qui enveloppait la tête de son ami. Ce n’était pas évident au départ ! D’après ton chirurgien – qui entre parenthèses est un maître ! –, ta chance a l’air de tenir bon.

— Ma chance ? Avec ma vie en miettes, une femme qui me méprise autant qu’elle me déteste… et qui peut-être m’a déjà remplacé ? Et par un homme qui vient d’essayer de me tuer ?

Comprenant que le temps des plaisanteries réconfortantes n’était plus au programme, Adalbert attira une chaise pour être plus près du lit et s’assit :

— Je ne pensais pas en venir aux explications si vite mais je devrais te connaître mieux. Qu’as-tu vu en sortant du château ?

— Un homme a appelé ma femme et elle a couru à sa rencontre. Ils sont partis après s’être embrassés et moi je n’ai plus rien vu du tout…

— J’étais derrière toi et j’en ai vu à peu près autant…

— Sais-tu d’où est parti le coup de feu ?

— Pas de la voiture, bien sûr, mais ça en était proche.

— D’où tu conclus ?

— Rien encore mais je me suis donné à tâche de retrouver le tireur. J’aimerais d’ailleurs savoir comment l’homme à la voiture…

— Je crois qu’on peut, sans risque de se tromper, l’appeler Gaspard Grindel !

— L’amoureux obstiné qui gère la banque de ton beau-père à Paris ? Ce serait assez logique si l’on part du principe que c’est lui qui a dû être chargé de réunir l’argent et peut-être de l’apporter mais, ce qui me paraît plus difficile, c’est de se lancer sur la trace des ravisseurs de Lisa… plus dangereux aussi ! Et pourquoi pas en embarquant le tireur avec lui ? Et le tout sans se faire repérer ? Il faudrait être non seulement rusé mais aussi un as du volant possédant des yeux de chat…

— Pour ce qui est du volant, il l’est ! C’est sa passion : il court les Vingt-Quatre Heures du Mans chaque année. Il a même gagné une fois !

— Et Lisa t’a préféré ce héros ?…

L’entrée de l’infirmière en chef interrompit le dialogue :

— Je vous avais accordé dix minutes ! Et à condition de ne pas le fatiguer ! rappela-t-elle sévèrement.

— Ça ne doit pas faire beaucoup plus… et je m’en vais ! Quant à l’avoir fatigué, je crois lui avoir surtout changé les idées…

— En tout cas, priez les dames de la famille de bien vouloir attendre à demain…

— Oh non ! gémit Aldo.

— Oh si ! Déjà je n’aurais pas dû permettre à votre ami d’entrer mais comme il campe pratiquement dans la salle d’attente, il m’a fait pitié !

— Inspirer la pitié, lui ? C’est bien la première fois que ça lui arrive !

— Il y a un commencement à tout ! lança l’intéressé du seuil de la chambre. Mais soyons raisonnables ! À demain… et merci encore, madame !

En rentrant à l’hôtel, Adalbert se hâta de délivrer sa bonne nouvelle : Aldo avait refait surface et, cette fois, c’était pour de bon : le docteur Lhermitte en répondait.

— Dès demain vous pourrez le voir tout à votre aise !… Mais où est Marie-Angéline ?

— Où voulez-vous qu’elle soit ? À la cathédrale bien évidemment. Sa splendeur lui est apparue comme seule digne de recevoir ses prières. En outre, elle désire faire la connaissance de saint Gatien qui en est le protecteur. Au cas où il aurait une spécialité intéressante !

Adalbert ne put s’empêcher de rire :

— Elle ne laisse rien passer ! Aucune nouvelle de Venise ? Lisa n’est toujours pas rentrée ?

Le visage de Mme de Sommières se rembrunit :

— Non. En revanche on sait où elle est !

— À Vienne sans doute ? Auprès des enfants ?

— Non, à Zurich ! Guy Buteau m’a dit au téléphone qu’elle y était arrivée avant-hier juste à temps pour se faire hospitaliser…

— Mon Dieu ! Elle a eu un accident ?

— Oui… et inattendu : elle était enceinte de plus de cinq mois ! Elle est tombée et elle a perdu l’enfant. Et je ne vous cache pas – surtout si Aldo n’est plus en danger – que j’ai l’intention de m’y rendre. Je ne m’attarderai pas puisque Aldo doit passer sa convalescence chez moi mais cela me permettra peut-être de remettre les pendules à l’heure.

— Il est certain que, dans sa clinique, elle aura du mal à vous échapper !

— Adalbert ! s’indigna la marquise. Comment pouvez-vous être à ce point dépourvu de compassion ? Perdre un enfant, même à l’état d’ébauche, est un véritable drame pour une femme ! Particulièrement pour elle, car de plus maternelle je n’en connais pas ! J’espère seulement ramener un peu de paix dans ce couple qui est en train de se déchirer. En souhaitant qu’il ne soit pas trop tard ! Nous rentrons à Paris tout à l’heure avec Plan-Crépin et demain nous prendrons la direction de Zurich.

— Savez-vous où elle est hospitalisée ?

— Non, mais on trouvera !

— Et qu’est-ce que je vais raconter à Aldo, moi ? Il regrettait déjà de ne pas vous voir aujourd’hui ! Alors s’il ne vous voit pas demain !…

— Que j’ai pris froid, que je tousse, que j’éternue, toutes activités prohibées là où il est. De toute façon, nous ne serons pas absentes bien longtemps, juste l’aller et retour… Ah, vous voilà ! ajouta-t-elle à l’adresse de Marie-Angéline qui rentrait. Descendez donc demander l’heure d’un train pour Paris après déjeuner puis revenez faire les valises.

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