Pourquoi, dans cette dernière pièce, supprime-t-on la moitié du rôle de Béralde, sous prétexte qu'une discussion sur la médecine fait longueur, n'arrivant qu'au troisième acte, après la grande scène de MM. Diafoirus père et fils, où le rire atteint son maximum d'intensité? C'est, à mon sens, priver la pièce de ce qu'elle a de plus profond et de plus durable.
GEORGES MONVAL.LE MÉDECIN MALGRÉ LUI
COMÉDIE EN TROIS ACTESLES PERSONNAGESSGANARELLE, mari de Martine.
MARTINE, femme de Sganarelle.
M. ROBERT, voisin de Sganarelle.
VALÈRE, domestique de Géronte.
LUCAS, mari de Jacqueline.
GÉRONTE, père de Lucinde.
JACQUELINE, nourrice chez Géronte, et femme de Lucas.
LUCINDE, fille de Géronte.
LÉANDRE, amant de Lucinde.
THIBAUT, père de Perrin, paysan.
PERRIN, fils de Thibaut, paysan.
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE
SGANARELLE, MARTINE,paroissant sur le théâtre en se querellantSganarelleNon, je te dis que je n'en veux rien faire, et que c'est à moi de parler et d'être le maître.
MartineEt je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines.
SganarelleO la grande fatigue que d'avoir une femme! et qu'Aristote a bien raison quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon!
MartineVoyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote!
SganarelleOui, habile homme. Trouve-moi un faiseur de fagots qui sache, comme moi, raisonner des choses, qui ait servi six ans un fameux médecin, et qui ait su dans son jeune âge son rudiment par cœur.
MartinePeste du fou fieffé!
SganarellePeste de la carogne!
MartineQue maudit soit l'heure et le jour où je m'avisai d'aller dire oui!
SganarelleQue maudit soit le bec cornu3 de notaire qui me fit signer ma ruine!
MartineC'est bien à toi vraiment à te plaindre de cette affaire! Devrois-tu être un seul moment sans rendre grâce au Ciel de m'avoir pour ta femme? et méritois-tu d'épouser une personne comme moi?
SganarelleIl est vrai que tu me fis trop d'honneur et que j'eus lieu de me louer la première nuit de nos noces. Hé! morbleu! ne me fais point parler là-dessus, je dirois de certaines choses
MartineQuoi? que dirois-tu?
SganarelleBaste! laissons là ce chapitre; il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver.
MartineQu'appelles-tu bien heureuse de te trouver? Un homme qui me réduit à l'hôpital, un débauché, un traître qui me mange tout ce que j'ai
SganarelleTu as menti, j'en bois une partie.4
MartineQui me vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis
SganarelleC'est vivre de ménage.5
MartineQui m'a ôté jusqu'au lit que j'avois
SganarelleTu t'en lèveras plus matin.
MartineEnfin, qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison
SganarelleOn en déménage plus aisément.
MartineEt qui, du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer et que boire.
SGANARELLEC'est pour ne me point ennuyer.
MartineEt que veux-tu, pendant ce temps, que je fasse avec ma famille?
SganarelleTout ce qu'il te plaira.
martineJ'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras.
SganarelleMets-les à terre.
MartineQui me demandent à toute heure du pain.
SganarelleDonne-leur le fouet. Quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison.
MartineEt tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même?..
SganarelleMa femme, allons tout doucement, s'il vous plaît.
MartineQue j'endure éternellement tes insolences et tes débauches?..
SganarelleNe nous emportons point, ma femme.
MartineEt que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir?
SganarelleMa femme, vous savez que je n'ai pas l'âme endurante, et que j'ai le bras assez bon.
MartineJe me moque de tes menaces.
SganarelleMa petite femme, ma mie, votre peau vous démange, à votre ordinaire.
MartineJe te montrerai bien que je ne te crains nullement.
SganarelleMa chère moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose.
MartineCrois-tu que je m'épouvante de tes paroles?
SganarelleDoux objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles.
MartineIvrogne que tu es!
SganarelleJe vous battrai.
MartineSac à vin!
SganarelleJe vous rosserai.
MartineInfime!
SganarelleJe vous étrillerai.
MartineTraître, insolent, trompeur, lâche, coquin, pendard, gueux, bélître, fripon, maraut, voleur!..
Sganarelle(Il prend un bâton, et lui en donne.)Ah! vous en voulez donc?
MartineAh! ah! ah! ah!
SganarelleVoilà le vrai moyen de vous apaiser.
SCÈNE II
MONSIEUR ROBERT, SGANARELLE, MARTINEM. RobertHolà! holà! holà! Fi! Qu'est-ce ci? quelle infamie! Peste soit le coquin, de battre ainsi sa femme!
Martine,les mains sur les côtés, lui parle en le faisant reculer, et à la fin lui donne un soufflet.
Et je veux qu'il me batte, moi.
M. RobertAh! j'y consens de tout mon cœur.
MartineDe quoi vous mêlez-vous?
M. RobertJ'ai tort.
MartineEst-ce là votre affaire?
M. RobertVous avez raison.
MartineVoyez un peu cet impertinent qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes!
M. RobertJe me rétracte.
MartineQu'avez-vous à voir là-dessus?
M. RobertRien.
MartineEst-ce à vous d'y mettre le nez?
M. RobertNon.
MartineMêlez-vous de vos affaires.
M. RobertJe ne dis plus mot.
MartineIl me plaît d'être battue.
M. RobertD'accord.
MartineCe n'est pas à vos dépens.
M. RobertIl est vrai.
MartineEt vous êtes un sot de venir vous fourrer où vous n'avez que faire.
M. Robert(Il passe ensuite vers le mari, qui pareillement lui parle toujours en le faisant reculer, le frappe avec le mime bâton et le met en fuite. Il dit à la fin:)