Sganarelle -
Qu'est-ce donc? me voilà.
La suivante -
Ma maîtresse se meurt.
Sganarelle -
Quoi! ce n'est que cela ?
Je croyais tout perdu, de crier de la sorte.
Mais approchons pourtant. Madame, êtes-vous morte ?
Ouais! Elle ne dit mot.
La suivante -
Je vais faire venir
Quelqu'un pour l'emporter; veuillez la soutenir.
Sganarelle -
(en passant la main sur le sein de Célie.)
Elle est froide partout, et je ne sais qu'en dire.
Approchons-nous pour voir si sa bouche respire.
Ma foi! je ne sais pas; mais j'y trouve encor, moi,
Quelque signe de vie.
La femme de Sganarelle -
(regardant par la fenêtre.)
Ah! qu'est-ce que je voi ?
Mon mari dans ses bras Mais je m'en vais descendre ;
Il me trahit sans doute, et je veux le surprendre.
Sganarelle -
Il faut se dépêcher de l'aller secourir ;
Certes, elle aurait tort de se laisser mourir.
Aller en l'autre monde est très grande sottise,
Tant que dans celui-ci l'on peut être de mise.
(Il l'emporte avec un homme que la suivante amène.)
SCÈNE V. La femme de SganarelleLa femme de Sganarelle -
Il s'est subitement éloigné de ces lieux,
Et sa fuite a trompé mon désir curieux.
Mais de sa trahison je ne suis plus en doute,
Et le peu que j'ai vu me la découvre toute.
Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur
Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur :
Il réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres,
Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres.
Voilà de nos maris le procédé commun ;
Ce qui leur est permis leur devient importun.
Dans le commencements ce sont toutes merveilles,
Ils témoignent pour nous des ardeurs nonpareilles ;
Mais les traîtres bientôt se lassent de nos feux,
Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux.
Ah! que j'ai de dépit que la loi n'autorise
A changer de mari comme on fait de chemise !
Cela serait commode; et j'en sais telle ici
Qui comme moi, ma foi, le voudrait bien aussi.
(En ramassant le portrait que Célie avait laissé tomber.)
Mais quel est ce bijou que le sort me présente ?
L'émail en est fort beau, la gravure charmante.
Ouvrons.
Sganarelle -
(se croyant seul.)
On la croyait morte, et ce n'était rien.
Il n'en faut plus qu'autant: elle se porte bien.
Mais j'aperçois ma femme.
La femme de Sganarelle -
(se croyant seule.)
O ciel! c'est miniature !
Et voilà d'un bel homme une vive peinture !
Sganarelle -
(à part, et regardant par-dessus l'épaule de sa femme.)
Que considère-t-elle avec attention ?
Ce portrait, mon honneur, ne vous dit rien de bon.
D'un fort vilain soupçon je me sens l'âme émue.
La femme de Sganarelle -
(sans apercevoir son mari.)
Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue ;
Le travail plus que l'or s'en doit encor priser.
Oh! que cela sent bon !
Sganarelle -
(à part.)
Quoi! peste, le baiser ?
Ah! j'en tiens !
La femme de Sganarelle -
(poursuit.)
Avouons qu'on doit être ravie
Quand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie,
Et que, s'il en contait avec attention,
Le penchant serait grand à la tentation.
Ah! que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine !
Au lieu de mon pelé, de mon rustre
Sganarelle -
(lui arrachant le portrait.)
Ah! mâtine !
Nous vous y surprenons en faute contre nous,
Et diffamant l'honneur de votre cher époux.
Donc, à votre calcul, ô ma trop digne femme,
Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien Madame ?
Et, de par Belzébut, qui vous puisse emporter,
Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter ?
Peut-on trouver en moi quelque chose à redire ?
Cette taille, ce port que tout le monde admire,
Ce visage, si propre à donner de l'amour,
Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour ;
Bref, en tout et partout, ma personne charmante
N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente ?
Et, pour rassasier votre appétit gourmand,
Il faut au mari le ragoût d'un galant ?
La femme de Sganarelle -
J'entends à demi-mot où va la raillerie.
Tu crois par ce moyen
Sganarelle -
A d'autres; je vous prie.
La chose est avérée, et je tiens dans mes mains
Un bon certificat du mal dont je me plains.
La femme de Sganarelle -
Mon courroux n'a déjà que trop de violence,
Sans le charger encor d'une nouvelle offense.
Écoute, ne crois pas retenir mon bijou,
Et songe un peu
Sganarelle -
Je songe à te rompre le cou.
Que ne puis-je, aussi bien que je tiens la copie,
Tenir l'original !
La femme de Sganarelle -
Pourquoi ?
Sganarelle -
Pour rien, ma mie.
Doux objet de mes voeux; j'ai grand tort de crier,
Et mon front de vos dons vous doit remercier.
(Regardant le portrait de Lélie.)
Le voilà! le beau-fils, le mignon de couchette,
Le malheureux tison de ta flamme secrète,
Le drôle avec lequel
La femme de Sganarelle -
Avec lequel poursuis.
Sganarelle -
Avec lequel, te dis-je et j'en crève d'ennuis.
La femme de Sganarelle -