Maximilien Robespierre - Discours par Maximilien Robespierre 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792 стр 2.

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Ce n'est pas tout: comme si ce n'était point assez de ces précautions pour nous assurer ce malheur, les Comités ne nous proposent-ils pas encore de restreindre la faculté d'être choisi par le procureur-syndic, à la classe des éligibles aux administrations, c'est-à-dire des citoyens les plus riches et les plus puissants? Est-ce donc là ce que vous appelez être jugé par ses pairs? Ils le seront peut-être, ces citoyens exclusivement appelés aux fonctions d'administrateurs et de jurés; mais ils ne forment pas le quart de la nation: pour les autres, ils le seront de fait par leurs supérieurs; leur sort sera soumis à une classe séparée d'eux par la ligne de démarcation la plus profonde, par toute la distance qui existe entre la puissance politique et judiciaire et la nullité, entre la souveraineté et la sujétion, ou, si vous voulez, la servitude. Et comment la nation retrouverait-elle là, je ne dis pas l'égalité des droits, je ne dis pas les droits imprescriptibles des hommes, mais ce principe fondamental de toute organisation des jurés, ce caractère de justice et d'impartialité qui doit la distinguer? Tous ceux qui seront hors de votre classe privilégiée ne craindront-ils pas de trouver dans ces jurés plus de penchant à l'indulgence, plus d'égards, plus de préventions pour les personnes de leur état, et moins d'humanité, moins de respect pour ceux qu'ils sont accoutumés à regarder comme d'une grande hauteur?

Je suis bien éloigné de vouloir que les accusés soient jugés par les tribunaux. Mais certes, je ne crains pas d'affirmer que ce système serait beaucoup moins dangereux, beaucoup moins contraire aux principes de la liberté que celui qu'on nous propose. Du moins, les citoyens seraient jugés par des magistrats qu'ils auraient eux-mêmes choisis: dans l'autre leur sort est soumis à des hommes nommés par un seul fonctionnaire public, peut-être par leur ennemi.

Dans le premier, l'égalité des droits est au moins respectée, puisque tous sont jugés par ceux que tous ont choisis; mais le second distingue la nation en deux classes, dont l'une est destinée à juger et l'autre à être jugée; la partie la plus précieuse de la souveraineté nationale est transportée à la minorité de la nation; la richesse devient la seule mesure des droits du citoyen, et le peuple français est à la fois avili et opprimé. Enfin, si le système judiciaire, que je mets en parallèle avec celui du Comité, est défectueux, celui du Comité est inique et monstrueux.

Que dirai-je de cette autre disposition qui porte que les deux tiers des jurés seront pris dans la ville où sera établi le tribunal criminel? Que dirai-je de cette partialité injuste et injurieuse aux citoyens des campagnes, dont il est impossible de calculer les suites funestes? de cet oubli inconcevable des premiers principes de la raison et de l'ordre social?

Ces inconvénients sont si frappants que je n'ai pas même songé à relever une atteinte directe qu'il porte aux premiers principes de notre Constitution, en donnant le droit d'élire des fonctionnaires publics (et quels fonctionnaires) à un autre fonctionnaire public, à un officier que le peuple n'a pas chargé de cette mission, et dont le pouvoir est renfermé dans les bornes des affaires de l'administration. Défions-nous de cette tendance à investir les Directoires de toutes ces prérogatives; elles sont autant d'attentats à l'autorité nationale et à la liberté publique.

Mais je n'ai encore exposé qu'une partie des dangers attachés à l'organisation des jurés dont on nous menace: il faut les voir en action; il faut considérer leur rapport avec ce tribunal criminel auquel on les lie. Vous savez que ce tribunal est composé de deux juges pris dans chaque district; mais ces juges changent tous les trois mois; le président seul reste. Le président est nommé pour douze années; c'est vous dire assez que ce magistrat aura une prodigieuse influence. Mais considérez l'étendue de ses fonctions. Indépendamment de celles qui lui sont communes avec les autres juges, de celle de tirer les jurés au sort, de les convoquer, il fera subir un interrogatoire à l'accusé immédiatement après son arrivée; il assistera, il présidera à toute l'instruction; l'instruction finie, il sera chargé encore de diriger les jurés eux-mêmes dans l'exercice de leurs fonctions, de leur exposer, de leur résumer l'affaire, de leur faire remarquer les principales preuves, même de leur rappeler leur devoir.

C'en serait assez pour vous convaincre que ce président exercera une singulière influence sur la procédure et sur le jugement des jurés. Peut-être aussi serez-vous étonnés de ce qu'en même temps que l'on considère cette dernière espèce de juges comme les seuls capables de protéger suffisamment les droits de l'innocence et la liberté civile, on les mette ainsi sous la tutelle et sous la férule d'un magistrat nommé pour douze ans. Si on les suppose ineptes, ils verront par les yeux du Mentor que les Comités leur donnent; si on les suppose capables de leurs fonctions, pourquoi ne pas leur laisser cette indépendance qui doit caractériser des juges?

Mais ce qui achève de dévoiler l'esprit de ce système, c'est le pouvoir indéfini et arbitraire dont le même président est investi par un autre article. "Le Président du Tribunal criminel, dit-on en propres termes, peut prendre sur lui de faire ce qu'il croira utile pour découvrir la vérité; et la loi charge son honneur et sa conscience d'employer tous ses efforts pour en favoriser la manifestation."

La découverte de la vérité est un motif très beau, c'est l'objet de toute procédure criminelle et le but de tout juge. Mais que la loi donne vaguement au juge le pouvoir illimité de prendre sur lui tout ce qu'il croira utile pour l'atteindre; qu'elle substitue l'honneur et la conscience de l'homme à sa sainte autorité; qu'elle cesse de soupçonner que son premier devoir est, au contraire, d'enchaîner les caprices et l'ambition des hommes toujours enclins à abuser de leur pouvoir; et qu'elle fournisse à notre président criminel un texte précis qui favorise toutes les prétentions, qui pallie tous les écarts, qui justifie tous les abus d'autorité, c'est un procédé absolument nouveau, et dont les Comités nous donnent le premier exemple.

Je ne veux point parcourir les autres vices dont leur projet est entaché; je ne veux pas même parler des fonctions inutiles et dangereuses du Commissaire du Roi qu'ils mêlent à toute l'instruction, ni de l'autorité énorme qu'ils donnent à l'accusateur public, en lui attribuant le droit de mander, de réprimander arbitrairement les juges de paix, les officiers de police; en les mettant dans sa dépendance; en lui conférant une puissance qui répond à celle de nos intendants et des procureurs généraux de nos Parlements; mais comment taire ou qualifier les dispositions par lesquelles ils remettent ensuite au Roi le pouvoir de lui donner des ordres pour la poursuite des crimes?

C'est donc en vain que vous avez retiré des mains du Commissaire du Roi le redoutable ministère de l'accusation publique, pour le confier à un officier nommé par le peuple; voilà que vos Comités osent vous proposer de le remettre indirectement au Roi lui-même, c'est-à-dire de remettre à la Cour et au Ministère la plus dangereuse influence sur le sort des citoyens et des plus zélés partisans de la liberté; de dénaturer, de pervertir l'institution de l'accusateur public, pour en faire un vil instrument des agents du Pouvoir exécutif, pour avilir le peuple lui-même, le souverain, en soumettant à leur empire le magistrat qu'il a choisi pour poursuivre, en son nom, les délits qui troublent la société. Eh! qui ne serait point effrayé de ces voies obliques, par lesquelles on s'efforce sans cesse de ramener tous les jours toute la puissance nationale dans les mains du Roi, et de nous remettre insensiblement sous le joug d'un despotisme constitutionnel, plus redoutable que celui sous lequel nous gémissons!

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