Comme charpentiers des plus habiles étaient les pélicans, qui, de leurs becs, équarrissaient les portes: on eût dit le bruit des haches dans un chantier naval. Et maintenant tout est garni de portes, verrouillé et bien gardé; on fait la ronde, la cloche circule, partout sont posées des sentinelles et des feux allumés sur les tours. Mais je cours vite me laver: à toi à présent de faire le reste.
LE CHOEUREh bien, que fais-tu? Tu t'étonnes de ce que la muraille a été bâtie si vite?
PISTHÉTÆROSOui, par les dieux! et cela en vaut la peine; car, en vérité, tout cela me paraît mensonges. Mais voici un garde qui nous arrive de la ville en messager; il a l'oeil tout en feu.
DEUXIÈME MESSAGERIou Iou! Iou Iou! Iou Iou!
PISTHÉTÆROSQu'y a-t-il?
DEUXIÈME MESSAGERLe plus affreux outrage! Je ne sais quel dieu, envoyé par Zeus, a franchi nos portes et pris son vol en l'air, à l'insu des geais, nos gardes de jour.
PISTHÉTÆROSTerrible affaire, indigne forfait! Mais quel dieu?
DEUXIÈME MESSAGERNous ne savons pas: il avait des ailes, c'est ce que nous savons.
PISTHÉTÆROSIl fallait absolument envoyer des péripoles à sa poursuite!
DEUXIÈME MESSAGERMais nous avons envoyé trente mille éperviers comme archers à cheval; toute la gent aux ongles crochus s'est mise en campagne, crécerelle, buse, vautour, chouette, aigle; leur élan, leurs ailes, leurs battements agitent l'air, à la recherche du dieu. Il n'est pas bien loin, il doit être près d'ici.
PISTHÉTÆROSIl faut donc prendre les frondes et les flèches: que tout serviteur soit ici! Vise, frappe! Donne-moi une fronde.
LE CHOEURUne guerre éclate, guerre indicible, entre moi et les dieux. Que tout le monde garde l'air nuageux, fils de l'Érébos, pour qu'aucun dieu ne le traverse à mon insu; que chacun ait l'oeil au guet à l'entour. Comme s'il planait près d'ici un génie aérien, un bruit d'ailes se fait entendre.
PISTHÉTÆROSHolà! toi, où, où, où voles-tu? Reste tranquille, ne bouge pas, demeure ici: suspends ta course. Qui es-tu? D'où viens-tu? Dis tout de suite d'où part ton essor.
IRISJe viens de chez les dieux de l'Olympos.
PISTHÉTÆROSQuel est ton nom? Navire ou Casquette?
IRISIris la rapide.
PISTHÉTÆROSParalienne ou Salaminienne?
IRISQu'est-ce cela?
PISTHÉTÆROSEst-ce qu'il n'y a pas là, pour la saisir, une buse ailée?
IRISMe saisir? Qu'est-ce donc que cette indignité?
PISTHÉTÆROSTu pousseras de grands soupirs.
IRISC'est quelque chose d'inimaginable.
PISTHÉTÆROSPar quelles portes as-tu franchi la muraille, misérable?
IRISMais je ne sais pas, de par Zeus! par quelles portes.
PISTHÉTÆROSTu l'entends, comme elle raille. T'es-tu présentée aux officiers des geais? Tu ne dis rien? Avais-tu un cachet scellé par les cigognes?
IRISQu'est-ce que cette absurdité?
PISTHÉTÆROSTu n'en avais pas?
IRISEs-tu dans ton bon sens?
PISTHÉTÆROSAucun sauf-conduit ne t'a été donné par un chef des oiseaux?
IRISDe par Zeus! pas un seul ne m'en a donné, pauvre fou.
PISTHÉTÆROSEt c'est comme cela que tu prends ton vol en silence au travers d'une ville étrangère et de l'espace?
IRISEt par quelle autre route doivent voler les dieux?
PISTHÉTÆROSDe par Zeus! je ne sais pas, moi; mais par celle-là, non.
IRISTu me manques d'égards, maintenant.
PISTHÉTÆROSSais-tu que jamais aucune Iris n'aurait été plus justement mise à mort, si l'on te traitait comme tu mérites!
IRISMais je suis immortelle.
PISTHÉTÆROSTu n'en mourrais pas moins. Ce serait, à mon avis, user avec nous d'un procédé des plus étranges, si, quand le reste nous obéit, vous autres dieux vous faisiez les insolents, et ne compreniez pas qu'il vous faut céder, à votre tour, aux plus forts. Mais, dis-moi, où diriges-tu ta navigation aérienne?
IRISMoi? Je vole vers les hommes, de la part de mon père, pour leur dire de sacrifier aux dieux de l'Olympos, d'immoler brebis et boeufs sur les autels, et de remplir les rues de fumée.
PISTHÉTÆROSQue dis-tu? A quels dieux?
IRISA quels dieux? A nous, les dieux du ciel.
PISTHÉTÆROSVous êtes des dieux?
IRISY a-t-il quelque autre dieu?
PISTHÉTÆROSLes oiseaux sont aujourd'hui des dieux pour les hommes: c'est à eux qu'il faut sacrifier, et non à Zeus, de par Zeus!
IRISInsensé, insensé, n'excite pas le courroux terrible des dieux, de peur que la Justice, armée de la cognée de Zeus, n'extermine toute race, et que la flamme ne brûle ton corps et les portiques de tes demeures des mêmes traits que Lykimnios.
PISTHÉTÆROSÉcoute toi-même: cesse ces criailleries: sois tranquille. Voyons, me prends-tu pour un Lydien ou un Phrygien, et penses-tu m'épouvanter avec tes grands mots? Sais-tu que, si Zeus m'ennuie encore, je me jette sur ses palais et sur la demeure d'Amphiôn, avec les aigles porte-feu, et je réduis tout en cendres; puis je détacherai dans le ciel, contre lui, des porphyrions revêtus de peaux de léopard, au nombre de plus de six cents. Un seul porphyrion lui donna, jadis, tant de mal! Quant à toi, sa messagère, si tu me causes quelque ennui, je commence par t'étendre les jambes en l'air, tout Iris que tu es, puis je t'ouvre les cuisses et tu seras étonnée comment un homme si vieux renouvelle, trois fois de suite, son assaut.
IRISPuisses-tu crever, imbécile, avec un pareil langage!
PISTHÉTÆROSNe vas-tu pas te sauver? Décampe vite! Gare les coups!
IRISSi mon père ne met pas fin à tes insultes
PISTHÉTÆROSAh, mais! Est-ce que tu ne t'envoles pas ailleurs en foudroyer de plus novices?
LE CHOEURNous défendons aux dieux, issus de Zeus, de traverser désormais notre ville, et aux mortels de leur envoyer par ici la fumée.
PISTHÉTÆROSIl est étrange que le héraut envoyé par nous aux mortels ne soit pas encore de retour.
LE HÉRAUTO Pisthétæros, ô le fortuné, ô le très sage, ô le très illustre, ô le très sage, ô le très charmant, ô le trois fois heureux, ô souffle-moi donc.
PISTHÉTÆROSQue dis-tu?
LE HÉRAUTD'une couronne d'or, pour ta sagesse, te couronnent et t'honorent tous les peuples.
PISTHÉTÆROSJe l'accepte. Et pourquoi les peuples me font-ils cet honneur?
LE HÉRAUTO fondateur d'une très illustre ville aérienne, tu ne sais pas quelle vénération elle te procure parmi les hommes, et combien tu as de gens passionnés pour ce pays. En effet, avant que tu eusses fondé cette ville, tous les hommes avaient alors la lakonomanie, on laissait croître les cheveux, on jeûnait, on était sale, on sokratisait, on portait des bâtons; aujourd'hui on a changé de mode, on a l'ornithomanie, on se plaît à faire tout à l'instar des oiseaux: et d'abord, dès la pointe du jour, tout le monde déniche, comme nous, pour aller à la pâture; puis on vole droit aux affiches, on y dévore les décrets. L'ornithomanie est si forte, qu'un grand nombre d'entre eux ont pris des noms d'oiseaux. Perdrix est le nom d'un marchand de vin boiteux; Ménippos s'appelle hirondelle; Opontios le borgne, corbeau; Philoklès, alouette; Théagénès, oie-renard; Lykourgos, ibis; Kæréphôn, chauve-souris; Syrakosios, pie; Midias, caille; et c'est bien son nom, car il ressemble à une caille frappée d'un rude coup sur la tête. Tous, dans leur passion pour les oiseaux, se mettent à gazouiller des chansons, où il est question d'hirondelle, de sarcelle, d'oie, de colombe, et puis des ailes ou, pour le moins, un peu de plumes: voilà ce qui se passe là-bas. Je ne te dis plus qu'une chose, c'est que plus de dix milliers d'hommes viennent de là-bas ici te demander des plumes et des serres recourbées; il faut donc que tu t'en procures pour tous ces émigrants.