J'ai fait des vers pour votre Néphélokokkygia, nombre de beaux dithyrambes et de parthénies dans le goût de Simonidès.
PISTHÉTÆROSEt quand les as-tu faits? depuis combien de temps?
LE POÈTEIl y a longtemps, longtemps, que je chante cette cité.
PISTHÉTÆROSMais je célèbre à l'instant même son dixième jour, et je viens de la nommer comme on fait pour les petits enfants.
LE POÈTELa parole des Muses est rapide; elle vole comme les coursiers. Et toi, vénérable fondateur d'Ætna, toi de qui le nom rappelle les sacrifices sacrés, fais-nous tel don que tu voudrais pour ta personne; que ta bienveillance nous l'accorde.
PISTHÉTÆROSCe maudit poète va nous donner de la tablature, si nous ne lui octroyons quelque chose qui nous en débarrasse. Holà! toi qui as une casaque par-dessus ta tunique, quitte-la et fais-en présent à ce poète habile. Prends cette casaque: tu m'as l'air tout transi.
LE POÈTEMa Muse chérie reçoit volontiers ce présent; mais toi, prête-moi une oreille attentive à ce chant pindarique.
PISTHÉTÆROSCet homme ne nous délivrera pas de lui!
LE POÈTEParmi les Skythes nomades erre Stratôn, qui n'a pas même un léger tissu pour se vêtir: il s'en va sans gloire, sans casaque et sans tunique. Tu comprends ce que je dis?
PISTHÉTÆROSJe comprends que tu veux recevoir la tunique. Dépouille-toi; il faut rendre service au poète. Prends et va-t'en.
LE POÈTEJe m'en vais, et, en m'en allant, je composerai ces vers pour honorer la ville: «Dieu au trône d'or, célèbre la cité frissonnante et glacée: j'ai parcouru des plaine neigeuses et fécondes. Tra la la la!»
PISTHÉTÆROSMais, de par Zeus! te voilà maintenant à l'abri du froid, avec la tunique que tu as reçue. Par Zeus! je ne pensais pas que ce maudit homme eût si promptement entendu parler de notre ville. Reprends l'aspersoir et fais le tour de l'autel.
LE PRÊTREFaites silence!
UN DISEUR D'ORACLESNe touche pas au bouc.
PISTHÉTÆROSQui es-tu?
LE DISEUR D'ORACLESQui? Un diseur d'oracles.
PISTHÉTÆROSVa-t'en gémir.
LE DISEUR D'ORACLESMalheureux! ne traite pas légèrement les choses divines. Il y a un oracle de Bakis, qui concerne directement Néphélokokkygia.
PISTHÉTÆROSPourquoi, alors, n'as-tu pas énoncé cet oracle avant que j'eusse bâti la ville?
LE DISEUR D'ORACLESLe ciel m'en empêchait.
PISTHÉTÆROSMais il n'y a rien de tel que d'entendre les paroles mêmes.
LE DISEUR D'ORACLES«Quand les loups et les vieilles corneilles habiteront ensemble l'espace qui sépare Korinthos de Sikyôn»
PISTHÉTÆROSQu'est-ce que les Korinthiens ont de commun avec moi?
LE DISEUR D'ORACLESPar ces mots, Bakis désigne l'air. « Que d'abord on immole à Pandôra un bélier à la toison blanche; et que celui qui, le premier, sera le prophète de vraies paroles, on lui donne un manteau propre et des chaussures neuves.»
PISTHÉTÆROSY a-t-il aussi les chaussures?
LE DISEUR D'ORACLESPrends le papyrus. «Qu'on lui donne aussi une fiole et une large part des entrailles.»
PISTHÉTÆROSY a-t-il aussi le don des entrailles?
LE DISEUR D'ORACLESPrends le papyrus. «Et si tu fais, jeune homme, ce que je te prescris, tu seras aigle dans les nuées; mais si tu ne le fais pas, tu ne seras ni tourterelle, ni aigle, ni pivert.»
PISTHÉTÆROSY a-t-il encore cela?
LE DISEUR D'ORACLESPrends le papyrus.
PISTHÉTÆROSCet oracle, assurément, ne ressemble en rien à celui que j'ai écrit sous la dictée d'Apollôn: «Si un charlatan vient, sans être appelé, gêner les sacrificateurs et réclamer une part des entrailles, il faut, à l'instant même, lui caresser les côtes.»
LE DISEUR D'ORACLESTu divagues, je crois.
PISTHÉTÆROSPrends le papyrus. «Et ne le ménage pas, fût-ce un aigle dans les nuées, fût-ce Lampôn ou le grand Diopithès.»
LE DISEUR D'ORACLESY a-t-il cela?
PISTHÉTÆROSPrends le papyrus et va-t'en aux corbeaux!
LE DISEUR D'ORACLESMalheur à moi!
PISTHÉTÆROSCours tout de suite ailleurs débiter tes oracles.
MÉTÔNJe viens auprès de vous.
PISTHÉTÆROSAutre fâcheux! Que viens-tu faire ici? Quel est ton dessein? l'idée de ton voyage? ta démarche de porteur de kothurne?
MÉTÔNJe veux toiser l'air et vous le partager en rues.
PISTHÉTÆROSAu nom des dieux, quel homme es-tu?
MÉTÔNQui je suis? Métôn, que connaissent la Hellas et Kolônos.
PISTHÉTÆROSDis-moi, qu'est-ce que tu as avec toi?
MÉTÔNDes mesures de l'air. Sache, en effet, tout d'abord, que l'air dans son entier est absolument semblable à un four. A l'aide de cette règle courbe, tombant d'en haut, et en y ajustant le compas Comprends-tu?
PISTHÉTÆROSJe n'y comprends rien.
MÉTÔNJ'applique une règle droite, de manière à ce que tu aies un cercle tétragone; au centre est l'Agora, les rues qui y conduisent sont droites et convergentes au centre, ainsi que d'un astre, qui est rond de sa nature, partent des rayons droits qui brillent dans tous les sens.
PISTHÉTÆROSCet homme est un Thalès Métôn?
MÉTÔNQu'est-ce donc?
PISTHÉTÆROSTu sais combien je t'aime, moi? Mais, si tu veux m'en croire, rebrousse chemin.
MÉTÔNQuel danger y a-t-il?
PISTHÉTÆROSLe même qu'à Lakédæmôn: la xénélasia; il y pleut nombre de coups à travers la ville.
MÉTÔNEst-ce que vous êtes en sédition?
PISTHÉTÆROSNon pas, de par Zeus!
MÉTÔNComment, alors?
PISTHÉTÆROSNous avons pris la résolution unanime de balayer tous les charlatans.
MÉTÔNJe m'esquive.
PISTHÉTÆROSJe ne sais pas trop si tu n'es pas en retard: l'orage approche: il est là.
MÉTÔNMalheur à moi!
PISTHÉTÆROSNe l'avais-je pas dit depuis longtemps? Va-t'en prendre tes mesures ailleurs!
UN INSPECTEUROù sont les proxènes?
PISTHÉTÆROSQuel est ce Sardanapalos?
L'INSPECTEURJe viens ici en qualité d'Inspecteur, élu par la fève, pour surveiller Néphélokokkygia.
PISTHÉTÆROSEn qualité d'Inspecteur? Et qui t'envoie ici?
L'INSPECTEURUn mauvais décret de Téléas.
PISTHÉTÆROSVeux-tu, moyennant salaire, ne rien faire et décamper?
L'INSPECTEUROui, au nom des dieux. Je pourrais, en effet, assister à l'assemblée, si je restais là-bas. Je suis chargé d'une affaire pour Pharnakès.
PISTHÉTÆROSVa-t'en avec ceci: c'est ton salaire. (Il le bat.)