Коллектив авторов - Европейская аналитика 2018 стр 3.

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Quand la Russie revait dEurope10

Yuri Rubinski

Directeur du Centre détudes françaises à lInstitut de lEurope, Académie des sciences de Russie

Le dernier dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, rêvait defaire du Vieux continent la pierre de touche dun nouvel ordre international. Repoussé aux marges de lEurope après lavoir tant désirée, la Russie assume désormais sa solitude géopolitique et se voit comme un des centres actifs dun monde multipolaire.

Le mirage de la Maison commune

Létat des relations entre la Russie et lEurope se fait parfois sentir à quelques sensations déplaisantes, comme un fourmillement dans les jambes, à force de patienter dans une antichambre du Conseil de la Fédération de Russie. Le sénateur Alekseï Pouchkov se méfie de la presse occidentale. Sil sagit de sélectionner une ou deux citations, vous navez que quinze minutes, prévient-il en nous ouvrant son bureau, et dans un français impeccable. Connu pour animer depuis vingt ans lémission politique Post-scriptum diffusée sur la chaîne de télévision moscovite TV-Centre, cet ancien président de la Commission des affaires étrangères de la Douma (chambre basse) se laissera interroger une heure et demie.

Depuis lépoque oů il écrivait les discours du dernier secrétaire général du parti communiste soviétique Mikhaïl Gorbatchev, enfermé cinq jours avant chaque voyage à létranger dans une datcha avec une dizaine dautres plumes, de leau a coulé sous les ponts. Il juge rétrospectivement que son ancien mentor, qui nétait que spécialiste des questions agricoles au sein du parti avant darriver au pouvoir, a fait preuve de naïveté. M. Pouchkov est considéré comme un des plus ardents défenseurs de la politique extérieure du président russe et figure, depuis la crise ukrainienne de 2014, sur la liste des personnalités interdites dentrée sur les territoires américain, canadien et britannique.

De M. Gorbatchev à M. Poutine, sa trajectoire résume celle de la Russie. Le dernier secrétaire général du parti communiste soviétique espérait voir son pays faire son retour au sein de la grande famille des nations européennes. Il sinscrit ainsi dans les pas des courants occidentalistes qui cherchent à arrimer depuis le 18ème siècle la Russie à lEurope, à linverse des slavophiles prônant une voie spécifique pour leur pays11. À la fin des années 1980, ce tropisme vers lOuest devait revêtir une portée plus générale: lavènement dun ordre international débarrassé des logiques de blocs. Difficile de comprendre le comportement actuel de la Russie, sans revenir sur léchec de ce rêve européen et sur les conclusions quelle en a tirées.

Lhistoire commence avec larrivée à la tête de lUnion soviétique en 1985 de Mikhaïl Gorbatchev. Lors de son premier déplacement à létranger, à Paris, il lance sa formule de maison commune européenne à destination des dirigeants ouest européens. Le choix de le capitale française nest pas un hasard. Le président Charles de Gaulle avait défendu lidée dune Europe de lAtlantique à lOural: une Europe des nations, indépendantes de toute tutelle, dans laquelle la Russie aurait renoncé au communisme, que le général prenait pour une lubie passagère. A lépoque, Moscou navait guère pris au sérieux la proposition du général: lUnion soviétique tenait fermement au maintien de la division de lEurope, à commencer par lAllemagne, la matérialisation de sa présence au coeur du vieux continent.

Le slogan de la maison commune européenne nest pas non pas dénué de motivation tactique. Il vise à favoriser un certain découplage entre Washington et ses alliés du Vieux continent, pour pousser les États-Unis à négocier. Vu de Moscou, la fin de la course aux armements prend un caractère durgence, en raison du coűt insoutenable des dépenses militaires. La parité stratégique, garante de la coexistence pacifique, demeure un point déquilibre précaire. À deux reprises, le monde vient de friser lanéantissement: en septembre 1983, Stanislav Petrov, un officier de la force antiaérienne basée près de Moscou déjoue une fausse alerte nucléaire, puis en novembre 1983 les Soviétiques saffolent devant lexercice Able Archer de lOtan pensant quil camoufle une vraie attaque. Les scientifiques venaient dinventer le concept terrifiant dhiver nucléaire, se remémore M. Pouchkov. Je faisais partie de ceux qui voulaient en finir avec la guerre froide. Lors dune .première rencontre pourtant difficile à Genève en novembre 1985, le président américain Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev tombent daccord pour faire le constat quune guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais avoir lieu. En octobre 1986 à Reykjavik, le secrétaire général du parti communiste dUnion soviétique fait une proposition très audacieuse: supprimer 50 % des arsenaux nucléaires dans les cinq années à venir et leur liquidation complète dans les cinq années suivantes. Le président américain Reagan acquiesce, mais sobstine à obtenir le champ libre pour son Initiative de défense stratégique (IDS), qui est vue par les Soviétiques comme la recherche dune supériorité militaire12 et qui ne verra jamais le jour Pour surmonter le gouffre de défiance, M. Gorbatchev fait des concessions unilatérales. Le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire du 8 décembre 1987, permet ainsi lélimination de 1836 missiles soviétiques, deux fois plus que la contrepartie américaine.

Au cours de lannée 1988, sous la pression des difficultés internes au bloc socialiste, la maison commune européenne prend une consistance stratégique. Léconomie soviétique traverse une zone de turbulences, que M. Gorbatchev ne pense pouvoir surmonter quen introduisant une dose supplémentaire de propriété privée et de marché dans le système de planification soviétique. En Europe de lEst, les revendications démocratiques confortent le dirigeant soviétique dans sa conviction: louverture politique va dans le sens de lhistoire, vouloir la contenir serait sopposer à un courant trop puissant. La confrontation idéologique remisée, lobjectif nest plus de coopérer de bloc à bloc, mais de les fondre dans une Europe élargie sur la base de valeurs communes: liberté, droits de lhomme, démocratie et souveraineté. La diplomatie soviétique prend alors des accents gaullistes: cest un retour vers lEurope <>, civilisation à la périphérie de laquelle nous sommes longtemps restés selon les mots du diplomate Vladimir Loukine13.

Le système était à bout de souffle et il fallait se débarrasser, sans aucun doute, du communisme convient aujourdhui Alexandre Samarine, premier conseiller à lambassade de Russie à Paris, qui rappelle que son pays, membre de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1998, est désormais capitaliste et opposé au protectionnisme. Tout le monde sentait que nous étions dans une impasse, abonde un diplomate à la retraite souhaitant garder lanonymat. Mais, sempresse-t-il dajouter, personne ne pensait quil fallait faire des concessions unilatérales.

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