Volusia sourit avec délectation. Ce souverain suprême n’était plus qu’une mare de sang entre ses orteils. Les orteils de Volusia, la femme qui l’avait tué.
Un feu et une puissance nouvelle pulsaient maintenant dans les veines de Volusia – un feu qui pourrait tout détruire sur son passage. Sa destinée l’attendait. Son heure était venue. Elle sut qu’elle règnerait un jour sur l’Empire, tout comme elle avait su qu’elle tuerait sa mère de ses propres mains.
– Vous avez tué notre maître ! s’écria une voix tremblante. Vous avez tué le Grand Romulus !
Volusia se tourna vers le commandant de Romulus, qui le contemplait avec un mélange de stupéfaction, de peur et d’émerveillement.
– Vous avez tué, dit-il d’un air abattu, l’Homme Qui Ne Peut Être Tué.
Volusia lui renvoya un regard froid et dur. Derrière lui, les soldats de Romulus se rassemblaient par centaines, tous sanglés dans leurs armures luisantes, alignés sur le navire, dans l’attente d’une réaction de la part de Volusia. Ils étaient prêts à se battre. Ils attendaient les ordres de leur commandant.
Volusia savait que, derrière elle, ses milliers d’hommes attendaient également les ordres. Le navire de Romulus, quoique magnifique, ne faisait pas le poids. Les hommes de Romulus étaient encerclés, pris au piège. C’était ici le territoire de Volusia et tous le savaient. Toute attaque et toute fuite auraient été futiles.
– Je ne peux pas ignorer ce geste, poursuivit le commandant. Un million d’hommes fidèles à Romulus se trouvent en ce moment dans l’Anneau. Et un million de plus dans le sud, dans la capitale impériale. Quand le monde apprendra ce que vous avez fait, ils se mobiliseront et viendront. Vous avez peut-être tué le Grand Romulus, mais vous n’avez pas tué ses hommes. Et votre troupe, même si elle nous est supérieure en nombre aujourd’hui, ne résistera pas devant des millions. Ils crieront vengeance. Ils l’obtiendront.
– Vraiment ? dit Volusia en souriant et en s’approchant d’un pas.
Elle s’imagina en train d’ouvrir la gorge de son interlocuteur et se réjouit d’avance.
Le commandant baissa les yeux vers la lame que Volusia tenait encore entre ses mains, celle qui avait tué Romulus. Il avala sa salive avec difficulté, comme s’il lisait dans ses pensées. La peur envahit son regard.
– Laissez-nous partir, lui dit-il. Laissez mes hommes s’en aller. Ils ne vous ont rien fait. Donnez-nous un navire plein d’or et nous tiendrons notre langue. Je me rendrai à la capitale en leur compagnie et nous leur dirons que vous êtes innocente. Nous dirons que Romulus a essayé de vous attaquer. Ils vous laisseront tranquille et vous resterez en paix. Ils trouveront un autre Commandant Suprême.
Le sourire de Volusia s’élargit.
– Mais votre nouveau Commandant Suprême n’est-il pas devant vous ? demanda-t-elle.
Le commandant lui adressa un regard stupéfait, avant d’éclater d’un rire moqueur.
– Vous ? dit-il. Vous n’êtes qu’une gamine et vos milliers d’hommes n’y changent rien. Parce que vous avez tué un homme, vous pensez vraiment pouvoir écraser l’armée de Romulus ? Vous auriez de la chance d’en réchapper, après ce que vous avez fait. Je vous fais une offre sérieuse. Arrêtons de discutailler. Acceptez ma proposition avec gratitude et laissez-nous partir, avant que je ne change d’avis.
– Et si je n’ai pas l’intention de vous laisser repartir ?
Le commandant croisa son regard et avala sa salive.
– Vous pouvez tous nous tuer, dit-il. C’est votre choix. Mais ce serait signer votre arrêt de mort. L’armée vous écraserait.
– Il dit la vérité, commandante, murmura une voix à l’oreille de Volusia.
Elle se tourna vers Soku, son commandant général, un homme de haute taille, aux yeux verts, à la mâchoire volontaire et aux cheveux roux, courts et bouclés.
– Renvoyez-les, dit-il. Donnez-leur l’or. Vous avez tué Romulus. Vous devez leur proposer une trêve. Nous n’avons pas le choix.
Volusia se tourna vers l’homme de Romulus. Elle le détailla du regard, en savourant l’instant.
– Je vais faire ce que tu me demandes, dit-elle, et te renvoyer dans ta chère capitale.
Le commandant sourit, satisfait. Il était sur le point de partir quand Volusia fit un pas en avant et ajouta :
– Mais pas pour cacher ce que j’ai fait, dit-elle.
Il s’arrêta brusquement et lui jeta un regard confus.
– Je vais t’envoyer à la capitale pour délivrer mon message : que je suis le nouveau Commandant Suprême de l’Empire. Que je leur laisserai la vie sauve s’ils me prêtent allégeance.
Le commandant resta bouche bée, puis secoua lentement la tête en souriant.
– Vous êtes aussi folle que votre mère, dit-il.
Il tourna les talons et remonta la passerelle qui menait jusqu’au pont supérieur.
– Chargez l’or dans les cales, ordonna-t-il, sans prendre la peine de la regarder dans les yeux.
Volusia se tourna vers le commandant des archers, qui attendait patiemment ses ordres. Elle lui adressa un bref hochement de tête.
Le commandant fit signe à ses hommes et, soudain, dix mille flèches enflammées fusèrent.
Elles emplirent le ciel, en décrivant un arc, avant de s’abattre sur le navire de Romulus. Tout se passa si vite que les hommes n’eurent pas le temps de réagir. Bientôt, le vaisseau prit feu, les matelots se mirent à hurler, surtout leur commandant. Plusieurs tentèrent d’étouffer les flammes.
En vain. Volusia hocha à nouveau les têtes et plusieurs volées de flèches rejoignirent les précédentes, engloutissant le navire sous les flammes. Percés de projectiles, des soldats poussèrent des cris. D’autres dégringolèrent par-dessus le bastingage. C’était un massacre. Il n’y aurait pas de survivants.
Volusia resta debout, souriante, pendant que le vaisseau brûlait lentement de la coque jusqu’au mât. Bientôt, il ne resta plus que coquille noircie.
Les hommes de Volusia gardèrent le silence, patients, dans l’attente de ses ordres.
Volusia tira son épée et trancha la corde qui retenait le navire au port. Elle le poussa ensuite du bout du pied.
Le navire parti à la dérive, emporté par le courant qui le conduirait vers le sud, vers la capitale. Tous sauraient en voyant ce navire calciné, le corps de Romulus, les flèches volusiennes qu’elle était responsable du massacre. Ils sauraient qu’elle leur avait déclaré la guerre.
Volusia se tourna vers Soku, qui restait bouche bée. Elle sourit.
– Et voilà, dit-elle, comment je propose la paix.
CHAPITRE QUATRE
Gwendolyn s’agenouilla sur le pont, agrippée au bastingage. Elle rassembla ses forces pour se redresser et regarder vers l’horizon. Tout son corps tremblait, affaibli par la faim. Debout, elle eut un vertige. Elle fit un dernier effort pour admirer la vue qui s’étendait devant ses yeux.
Gwendolyn plissa les paupières pour voir à travers la brume. Elle se demanda si ce qu’elle voyait n’était qu’un mirage.
Là, à l’horizon, s’étendait un rivage interminable. Au milieu, un port battait comme un cœur, encadré par des piliers dorés étincelants, qui s’élevaient vers le ciel. Sous les rayons mouvants du soleil, les piliers et la ville prenaient une teinte jaune-vert. Les nuages se déplaçaient rapidement par ici, constata Gwen. Cela voulait-il dire que le ciel était différent dans cette partie du monde ? Ou n’était-ce là qu’une hallucination provoquée par la faim ?
Un millier de fiers vaisseaux se dressaient sur les flots, devant le port. Gwen n’avait jamais vu de mâts aussi hauts et tous étaient plaqués d’or. C’était probablement la ville la plus prospère et la plus riche que Gwen ait jamais vue. Construite sur le rivage, elle s’étendait aussi loin que portait le regard, balayée seulement par les vagues. À côté d’elle, la Cour du Roi aurait eu l’air d’un village. Gwen n’aurait jamais cru que tant de bâtiments pouvaient s’élever au même endroit. Quel peuple vivait ici ? Ce devait être une grande nation, songea-t-elle. La nation de l’Empire.