Thor tendit le bras et posa sa paume sur le torse de Reece, et ce faisant, Selese posa sa main par-dessus la sienne. Il pouvait sentir la chaleur et le pouvoir courir à travers sa paume, sur sa main, et à l’intérieur de la blessure de Reece.
Elle ferma les yeux et commença à fredonner, et Thor sentit une vague de chaleur s’élever dans le corps de son ami. Thor pria de toutes ses forces pour que son frère revienne à lui, pour qu’il soit pardonné pour cette folie qui l’avait conduit à faire cela.
Pour le plus grand soulagement de Thor, Reece ouvrit doucement les yeux. Il cilla et regarda vers le ciel, puis s’assit lentement.
Thor observa, stupéfait, Reece battre des paupières, et baissa les yeux sur sa plaie : elle était complètement guérie. Thor était sans voix, bouleversé, admiratif face aux pouvoirs de Selese.
« Mon frère ! » s’écria Thor.
Il tendit les bras et l’étreignit, et Reece, désorienté, l’enlaça lentement en retour, tandis que Thor l’aidait à se remettre sur pieds.
« Tu es vivant ! » s’exclama Thor, osant à peine y croire, serrant son épaule. Thor pensa à toutes les batailles dans lesquelles ils avaient été impliqués ensemble, à toutes leurs aventures, et il n’aurait pu supporter l’idée de le perdre.
« Et pourquoi ne le serais-je pas ? », dit Reece en clignant des yeux, confus. Il regarda tout autour de lui les visages interrogatifs de la Légion, et parut perplexe. Les autres s’avancèrent et l’étreignirent, un par un.
Pendant que les autres approchaient, Thor parcourut les environs du regard, fit le point, et se rendit soudain compte, avec horreur, que quelqu’un manquait : O’Connor.
Thor se précipita jusqu’au bastingage et chercha frénétiquement dans les eaux, se rappelant qu’O’Connor, à l’apogée de sa folie, avait bondi du navire dans les courants tumultueux.
« O’Connor ! » hurla-t-il.
Les autres se hâtèrent à ses côtés et scrutèrent les eaux, eux aussi. Thor gardait les yeux fixés vers le bas, et tendit le cou pour regarder vers le Détroit, dans les eaux en furie, épaisses de sang – et ce faisant, il vit O’Connor, qui se débattait, en train d’être emporté juste au bord du Détroit.
Thor ne perdit pas de temps ; il régit instinctivement et sauta sur le bastingage, puis plongea tête la première par-dessus bord, dans la mer.
Submergé, surpris par sa chaleur, Thor sentit combien cette eau état épaisse, dense, comme s’il nageait dans du sang. Nager dans l’eau, qui était si chaude, était comme nager dans de la boue.
Il fallut toute la force de Thor pour progresser à travers l’eau visqueuse, jusqu’à la surface. Il braqua son regard vers O’Connor, qui commençait à couler, et il pouvait voir la panique dans ses yeux. Il pouvait aussi voir, alors qu’O’Connor passait la frontière avec la haute mer, la folie commencer à le quitter.
Cependant, alors qu’il se démenait, il commençait à couler, et Thor sut que s’il ne l’atteignait pas bientôt, il sombrerait au fond du Détroit et ne serait jamais retrouvé.
Thor redoubla d’efforts, nageant de toutes ses forces, malgré la douleur intense et l’épuisement qu’il ressentait dans ses épaules. Et pourtant, juste quand il se rapprochait, O’Connor commença à s’enfoncer dans l’eau.
Thor eut une poussée d’adrénaline en voyant son ami disparaître sous la surface, et sut que c’était maintenant ou jamais. Il se jeta en avant, plongea sous l’eau, et donna un grand coup de pied. Il nagea sous l’eau, luttant pour ouvrir les yeux et voir à travers l’épais liquide ; il ne le pouvait pas. Ils piquaient trop.
Thor ferma les yeux et fit appel à son instinct. Il invoqua une part profonde en lui qui pouvait voir sans regarder.
Avec un autre mouvement désespéré, Thor tendit les bras, tâtonnant dans les eaux devant lui, et sentit quelque chose : une manche.
Ravi, il empoigna O’Connor et le tint fermement, stupéfait par son poids tandis qu’il coulait.
Thor tira avec force tout en se retournant et, de toutes ses forces, visa à remonter à la surface. Il était à l’agonie, chaque muscle de son corps protestait, tandis qu’il battait des jambes et nageait vers la liberté. Les eaux étaient si denses, maintenaient tant de pression, ses poumons paraissaient être sur le point d’exploser. À chaque coup de sa main, il avait l’impression de tirer l’univers.
Juste quand il pensait qu’il n’y arriverait jamais, qu’il sombrerait à nouveau dans les abîmes avec O’Connor et mourrait ici dans ce lieu terrible, Thor fit soudain surface. Haletant, il se tourna, regarda tout autour où il était et vit, avec soulagement, qu’ils avaient émergé de l’autre côté du Détroit de la Folie, dans les eaux libres. Il vit la tête d’O’Connor apparaître à côté de lui et remarqua que, lui aussi, chercher à reprendre sa respiration, et son soulagement fut complet.
Thor observa la folie quitter son ami et la lucidité lentement revenir dans ses yeux.
O’Connor battit des paupières plusieurs fois, toussant et recrachant l’eau, puis il regarda Thor d’un air interrogateur.
« Que faisons-nous ici ? » demanda-t-il, confus. « Où sommes-nous ? »
« Thorgrin ! » s’écria une voix.
Thor entendit un bruit d’éclaboussure, se tourna et vit une corde lourde atterrir dans l’eau à côté de lui. Il leva les yeux et vit Ange debout là, rejointe par les autres au bastingage du navire, qui avait fait demi-tour pour les rejoindre.
Thor l’agrippa, empoigna O’Connor avec l’autre main, et quand il l’eut fait la corde bougea, Elden la saisit et avec sa grande force les tira tous deux le long de la coque. Les autres membres de la Légion se joignirent à lui et tirèrent, un coup à la fois, jusqu’à ce que Thor sente qu’il s’élevait dans les airs et, enfin, par-dessus bord. Ils atterrirent tous deux sur le pont du navire avec un bruit sourd.
Thor, exténué, à court de souffle, recrachant encore de l’eau de mer, s’étala sur le pont à côté d’O’Connor ; ce dernier se tourna et regarda vers lui, également éreinté, et Thor put voir de la reconnaissance dans ses yeux. Il pouvait voir qu’O’Connor le remerciait. Aucun mot n’avait besoin d’être prononcé – Thor comprenait. Ils avaient un code silencieux. Ils étaient frères de Légion. Se sacrifier les uns pour les autres était ce qu’ils faisaient. C’était ce pour quoi ils vivaient.
Soudain, O’Connor se mit à rire.
Au premier abord Thor fut inquiet, se demandant si la folie pesait encore sur lui, mais ensuite il se rendit compte qu’O’Connor allait bien. Il était simplement à nouveau lui-même. Il riait de soulagement, riait de joie d’être en vie.
Thor commença à rire, lui aussi, le stress était derrière lui, et tous les autres se joignirent à eux. Ils étaient en vie ; contre toute attente, ils étaient en vie.
Les autres membres de la Légion s’avancèrent, empoignèrent O’Connor et Thor et les remirent sur pieds. Ils se serrèrent tous la main, s’étreignirent gaiement, leur navire, enfin, entra dans des eaux dont la navigation s’annonçait douce.
Thor regarda au loin et vit avec soulagement qu’ils s’éloignaient de plus en plus du Détroit, et la lucidité les envahissait tous. Ils avaient réussi ; ils étaient passés à travers le Détroit, bien qu’à un prix lourd. Thor ne pensait pas qu’ils pourraient survivre à une autre traversée.
« Là ! » s’écria Matus.
Thor se tourna avec les autres et suivit son doigt du regard tandis qu’il montrait – et il fut stupéfait par la vue s’offrant à eux. Il vit un tout nouveau panorama s’étendre devant eux à l’horizon, un nouveau paysage dans cette Terre du Sang. C’était une perspective pleine d’obscurité, avec des nuages sombres qui s’attardaient bas à l’horizon, l’eau était encore épaisse de sang – et pourtant à présent, le contour du rivage était plus proche, plus visible. Il était noir, dépourvu d’arbres ou de vie, ressemblait à des cendres et de la boue.