« Devrions-nous abandonner nos navires alors ? Comment pourrons-nous fuir cet endroit ? Retourner dans les Îles Méridionales ? »
Erec secoua lentement la tête et soupira.
« Il se pourrait que nous ne le puissions pas », répondit-il avec honnêteté. « Aucune quête d’honneur n’est sûre. Et est-ce que cela nous a déjà arrêtés, toi ou moi ? »
Strom se tourna vers lui et sourit.
« C’est ce pour quoi nous vivons », répondit-il.
Erec sourit et se tourna pour voir Alistair venir de l’autre côté, tenant le bastingage et regardant au loin la rivière, qui se rétrécissait pendant qu’ils naviguaient. Ses yeux étaient vitreux et avaient un air distant, et Erec pouvait sentir qu’elle était perdue dans un autre monde. Il avait remarqué que quelque chose d’autre avait changé à propos d’elle, aussi – il n’était pas sûr de quoi, comme s’il y avait un secret qu’elle retenait. Il mourait d’envie de lui demander, mais il ne voulait pas s’immiscer.
Un chœur de cors sonna, et Erec, alarmé, se tourna et regarda en arrière. Son cœur s’arrêta en voyant ce qui se profilait.
« EN APPROCHE RAPIDE ! » cria un marin depuis le sommet du mât, pointant du doigt frénétiquement. « LA FLOTTE DE L’EMPIRE ! »
Erec courut à travers le pont, retourna à la poupe, accompagné par Strom, se précipitant à travers tous ses hommes, tous prêts à se battre, apprêtant leurs arcs, se préparant mentalement.
Erec atteignit la poupe, agrippa le bastingage puis regarda au loin, et vit que c’était vrai : là, à un méandre de la rivière, à seulement quelques centaines de mètres, se trouvait une rangée de navires de l’Empire, déployant leurs voiles noires et dorées.
« Ils ont dû trouver notre piste », dit Strom à côté de lui.
Erec secoua la tête.
« Ils nous suivaient pendant tout ce temps », dit-il, en s'en rendant compte. « Ils attendaient juste pour se montrer. »
« Attendaient quoi ? » demanda Strom.
Erec se tourna et regarda par-dessus son épaule, vers le haut de la rivière.
« Ça », dit-il.
Strom pivota et étudia le cours d’eau qui se rétrécissait.
« Ils ont attendu jusqu’au point le plus étroit de la rivière », dit Erec. « Jusqu’à ce que nous soyons obligés de naviguer en une seule ligne et trop avancés pour pouvoir faire demi-tour. Ils nous ont exactement là où ils nous veulent. »
Erec regarda à nouveau la flotte, et tandis qu’il se tenait là, il éprouva une incroyable concentration, comme souvent quand il menait ses hommes et se trouvait dans un temps de crise. Il sentit un autre sens s’activer et, comme cela se produisait souvent à des moments similaires, une idée lui vint à l’esprit.
Erec se tourna vers son frère.
« Occupe-toi de ce navire à côté de nous », ordonna-t-il. « Reprends l’arrière de notre flotte. Fais en sortir chaque homme – fais les embarquer sur le navire à côté. Tu m’entends ? Vide ce navire. Quand ce sera fait, tu seras le dernier à le quitter. »
Strom le dévisagea, confus.
« Quand le navire sera vide ? » répéta-t-il. « Je ne comprends pas. »
« Je projette de provoquer son naufrage. »
« De lui faire faire naufrage ? » demanda Strom, sidéré.
Erec opina.
« Au point le plus étroit, où les berges de la rivière se rejoignent, tu mettras le navire de travers et l’abandonnera. Cela créera un blocage – le barrage dont nous avons besoin. Personne ne sera capable de nous suivre. Maintenant pars ! » cria Erec.
Strom se mit en action, suivant les ordres de son frère, à son crédit, qu’il soit d’accord avec ou non. Erec plaça son navire le long des autres et Strom bondit d’un bastingage à l’autre. Quand il eut atterri sur la dernière embarcation, il commença à aboyer des ordres, et les hommes se mirent en mouvement, tous sautèrent, un à la fois, de leur bateau à celui d’Erec.
Erec était inquiet alors qu’il voyait qu’ils commençaient à s’éloigner un de l’autre.
« Utilisez les cordes ! » cria Erec à ses hommes. « Utilisez les grappins – maintenez les navires ensemble ! »
Ses hommes suivirent ses ordres, coururent vers le flanc du navire, soulevèrent les grappins et les lancèrent dans les airs, les accrochant au navire à côté d’eux et tirant de toutes leurs forces pour qu’ils cessent de s’éloigner. Cela accéléra le processus, et des dizaines d’hommes bondirent d’un bastingage à l’autre, tous saisissant leurs armes alors qu’ils abandonnaient en hâte leur navire.
Strom supervisait, hurlait des ordres, s’assurait que chaque homme quitte le navire, les rassemblant jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne à bord.
Strom saisit le regard d’Erec, tandis que ce dernier observait avec approbation.
« Et qu’en est-il des provisions du navire ? » cria Strom par-dessus le tapage. « Et son surplus d’armement ? »
Erec secoua la tête.
« Laisse-le », cria-t-il en retour. « Occupe-toi juste de nos arrières et détruit ce navire. »
Erec se tourna et courut vers la proue, menant sa flotte tandis qu’ils le suivaient tous et naviguaient vers le goulot d’étranglement.
« UNE SEULE LIGNE ! »
Tous ses navires se mirent en rang derrière lui alors que la rivière se rétrécissait jusqu’à son point le plus étroit. Erec passa à travers avec sa flotte, et ce faisant, il vit la flotte de l’Empire se rapprocher rapidement, maintenant à peine à une centaine de mètres. Il observa les centaines de troupes de l’Empire prendre leurs arcs et préparer leurs flèches en y mettant feu. Il savait qu’ils étaient presque à portée ; il y avait peu de temps à perdre.
« MAINTENANT ! » hurla Erec à Strom, juste quand le navire de ce dernier, le dernier de la flotte, passait le point le plus étroit.
Strom, qui observait et attendait, leva son épée et trancha la moitié des cordes attachant son bateau à celui d’Erec, au même moment il bondit du navire aux côtés d’Erec. Il les coupa juste quand l’embarcation abandonnée traversait le goulot d’étranglement, et il tourna immédiatement, à la dérive.
« TOURNEZ-LE SUR LE CÔTÉ ! » ordonna Erec à ses hommes.
Ses hommes tendirent tous les mains, empoignèrent les cordes qui restaient sur un côté du navire et tirèrent aussi fort qu’ils le pouvaient, jusqu’à ce que le bateau, grinçant en réaction, tourne lentement à l’oblique contre le courant. Finalement, le courant le portant, il se logea fermement dans les rochers, coincé entre les deux berges de la rivière, son bois gémi et commença à craquer.
« TIREZ PLUS FORT ! » hurla Erec.
Ils tirèrent et tirèrent et Erec se hâta de les rejoindre, tous grognant tandis qu’ils tiraient de toutes leurs forces. Lentement, ils parvinrent à tourner le navire, le tenant fermement tandis qu’il se logeait de plus en plus profondément dans les rochers.
Alors que le bateau arrêtait de bouger, fermement coincé, Erec fut enfin satisfait.
« COUPEZ LES CORDES ! » cria-t-il, sachant que c’était maintenant ou jamais, sentant son propre navire commencer à vaciller.
Les hommes d’Erec tranchèrent les cordes restantes, dégageant son embarcation – et il était temps.
Le navire abandonné commença à craquer et à s’effondrer, son naufrage bloquant solidement la rivière – et un instant après, le ciel fut noirci par une nuée de flèches enflammées de l’Empire descendant sur la flotte d’Erec.
Erec avait manœuvré ses hommes hors du danger juste à temps : les flèches atterrirent toutes sur le navire abandonné, tombant à vingt mètres de la flotte d’Erec, et ne servirent qu’à mettre le feu à l’embarcation, créant un autre obstacle entre eux et l’Empire. Désormais, la rivière serait infranchissable.
« DROIT DEVANT À PLEINE VOILE ! » cria Erec.
Sa flotte avança avec tous leurs moyens, prenant le vent, mettant de la distance entre eux et leur blocus, et naviguant de plus en plus vers le nord, sans danger hors de portée des flèches de l’Empire. Une autre volée de flèches vint, et celles-là atterrirent dans l’eau, éclaboussant et sifflant tout autour du navire en pénétrant dans l’eau.