“Madame ?” demanda la fille.
“Je ne m'exprime pas clairement ?” demanda Angelica. “Allez chez mon tailleur.”
La fille partit. C'était étrange de voir comment les gens pouvaient être stupides, parfois. La domestique avait visiblement supposé qu'Angelica n'avait effectué aucune préparation pour son propre mariage alors qu'elle avait commencé à envoyer des messages pour faire commencer les préparations presque dès le moment où elle avait eu l'idée de demander à Rupert de l'épouser. Vu les délais très brefs, il était important que ce mariage ait l'air aussi authentique que possible.
Elle ne pourrait pas avoir de plus grande cérémonie par la suite et c'était dommage mais il y avait un obstacle à cette idée : à ce stade, Rupert serait mort.
La journée d'aujourd'hui avait montré la nécessité de cette mort encore plus clairement qu'Angelica aurait pu le croire. Elle avait cru que Rupert serait un homme qui saurait se contrôler aussi bien qu'elle mais il restait aussi changeant que le vent. Non, le plan qu'elle avait préparé était la seule solution. Elle épouserait Rupert ce soir, le tuerait le lendemain matin et serait couronnée reine avant même qu'on ait eu le temps d'ensevelir son corps.
Alors, Ashton aurait la reine dont elle avait besoin. Angelica régnerait et le royaume s'en porterait mieux qu'avant. Tout allait se passer à merveille. Elle le sentait.
CHAPITRE TROIS
Sophia ne pouvait qu'attendre pendant que la flotte avançait vers Ashton. Sa flotte. Même ici et maintenant, après tout ce qui s'était passé, elle avait de la peine à se souvenir que tout cela était à elle. Toutes les vies qui se trouvaient sur les navires qui l'entouraient, tous les seigneurs qui envoyaient des hommes, toutes les terres d'où ils venaient, relevaient de sa responsabilité.
“Cela fait beaucoup de responsabilités”, murmura Sophia à Sienne. La chatte de la forêt ronronna en se frottant contre les jambes de Sophia et s'enroula autour d'elle par impatience.
Quand ils avaient quitté Ishjemme, ils avaient eu assez de navires pour former une flotte mais, depuis ce moment, de plus en plus de vaisseaux s'étaient joints à eux, arrivant des côtes d'Ishjemme ou des petites îles qui la longeaient, venant même du royaume de la Douairière car ceux qui étaient fidèles à Sophia venaient se joindre à l'attaque.
Il y avait tant de soldats avec elle, à présent. Peut-être y en aurait-il assez pour gagner cette guerre, pour rayer Ashton de la carte si elle le voulait.
Tout se passera bien, lui dit Lucas par télépathie, sentant visiblement son inquiétude.
Des gens vont mourir, répondit Sophia de la même façon.
Mais ils sont ici parce qu'ils l'ont choisi, répondit Lucas. Il avança et lui posa une main sur l'épaule. Honore-les en ne gaspillant pas leur vie mais ne diminue pas ce qu'ils offrent en évitant la bataille.
“Je crois que c'est une de ces choses qui sont plus faciles à dire qu'à faire”, dit Sophia à voix haute. Elle baissa machinalement le bras pour ébouriffer les oreilles à Sienne.
“C'est possible”, admit Lucas. Contrairement à Sophia, il avait l'air prêt à faire la guerre, une épée au flanc et des mousquets à la ceinture. Sophia se dit qu'elle avait l'air incroyablement ronde avec le poids de son enfant à naître, alors qu'elle se tenait là sans arme ni armure.
Mais prête quand même, lui dit Lucas par télépathie. Il fit signe à l'arrière du navire. “Nos commandants attendent.”
Cela signifiait en majorité ses cousins et son oncle. Ils assuraient la cohésion de l'armée avec autant de fermeté que Sophia mais il y avait aussi d'autres hommes : des chefs de clan et des petits seigneurs, des hommes austères qui baissèrent quand même la tête quand Sophia approcha accompagnée par son frère et la chatte de la forêt.
“Sommes-nous prêts ?” demanda-t-elle en regardant son oncle et en essayant de prendre l'apparence de la reine qu'ils avaient tous besoin qu'elle soit.
“Il y a encore des décisions à prendre”, dit Lars Skyddar. “Nous savons ce que nous essayons d'accomplir mais, maintenant, il faut que nous décidions certaines choses spécifiques.”
“Qu'y a-t-il à décider ?” demanda son cousin Ulf du ton direct qu'il employait toujours. “On rassemble les hommes, on bombarde les murailles au canon puis on charge à l'intérieur.”
“Cela en dit long sur la façon dont tu chasses”, dit Frig, la sœur d'Ulf, avec un sourire carnassier. “Nous devrions encercler la ville comme un nœud coulant et approcher.”
“Il faut qu'on soit prêts pour un siège”, dit Hans avec sa prudence habituelle.
Tout le monde semblait avoir son idée personnelle sur la question et une partie de Sophia aurait voulu pouvoir se retirer et laisser des gens plus sages et qui s'y connaissaient plus en guerre qu'elle prendre les décisions à sa place. Pourtant, elle savait qu'elle ne pouvait pas faire ça et que les cousins se disputeraient jusqu'à la fin des temps si elle le leur permettait. Cela signifiait qu'elle était obligée de décider.
“Quand atteindrons-nous la ville ?” demanda-t-elle en essayant de réfléchir.
“Probablement au crépuscule”, dit son oncle.
“Dans ce cas, il sera trop tard pour effectuer un assaut classique”, dit-elle en pensant aux moments qu'elle avait passés dans la ville la nuit. “Je connais les rues d'Ashton. Croyez-moi, si nous essayons de charger dans le noir, ça finira mal.”
“Un siège, alors”, dit Hans, qui eut l'air satisfait par cette perspective ou peut-être parce que c'était son plan qu'on choisissait.
Sophia secoua la tête. “Un siège fait souffrir les gens qui ne le méritent pas et n'aide pas ceux que nous voulons aider. Les vieilles murailles de la ville ne protègent que la partie intérieure de la ville et vous pouvez parier que la Douairière ferait mourir de faim les plus pauvres pour avoir à manger. De plus, plus on attend, plus Sebastian est en danger.”
“On fait quoi, alors ?” demanda son oncle. “As-tu un plan, Sophia ?”
“Quand nous arriverons devant Ashton, nous y jetterons l'ancre”, dit-elle. “Nous enverrons des messages pour leur proposer de se rendre.”
“Ils ne se rendront pas”, dit Hans, “même si nous leur laissons la vie sauve.”
Sophia secoua la tête. Elle le savait. “La Douairière ne croira pas que quelqu'un d'autre puisse avoir plus de pitié qu'elle mais, si nous leur donnons l'illusion de leur donner du temps pour se rendre, cela laissera le temps à la moitié de nos hommes de contourner la ville par la terre. Ils prendront discrètement la périphérie. Les gens qui y habitent n'aiment pas la Douairière.”
“Aimeront-ils plus un envahisseur ?” demanda Lucas.
C'était une bonne question mais son frère était doué pour poser les bonnes questions.
“Je l'espère”, dit Sophia. “J'espère qu'ils se souviendront de qui nous sommes et de la vie telle qu'elle était avant la Douairière.” Elle se tourna vers Hans. “Tu y mèneras les forces. Il me faut quelqu'un qui puisse garantir une discipline parmi les hommes et empêcher qu'ils massacrent les gens ordinaires.”
“Je m'en occuperai”, lui assura Hans. Sophia savait qu'il le ferait.
Sophia se tourna vers Ulf et Frig. “Vous deux, vous emmènerez une petite force près des portes du fleuve. Si les hommes que j'ai envoyés ont réussi à entrer, ces portes s'ouvriront. Votre mission sera de les aider à tenir la position jusqu'à ce que le reste de nos soldats puisse attaquer. La flotte principale accostera et nous avancerons couverts par l'artillerie de nos navires.”
Cela ressemblait à un bon plan, ou du moins elle espérait qu'il l'était. S'il ne l'était pas, cela signifiait qu'elle venait de condamner à mort les hommes qu'elle commandait.
C'est un bon plan, lui dit Lucas par télépathie.
J'espère seulement qu'il marchera, répondit Sophia.