MARGUERITE
Tu es sûr qu’ils meurent, qu’ils ne souffrent plus?
JACQUES
Très sûr, puisqu’ils ne bougent plus.
MARGUERITE
Mais, Jacques, tu n’as pas besoin de moi pour arranger tes papillons?
JACQUES
Oh! ma petite Marguerite, tu es si bonne, je t’aime tant! je m’amuse tant avec toi et je m’ennuie tant tout seul!
LÉON
Et pourquoi veux-tu avoir Marguerite pour toi tout seul? Nous voulons aussi l’avoir; quand nous pêcherons, elle viendra avec nous.
JACQUES
Vous êtes déjà cinq! Laissez-moi ma chère Marguerite pour m’aider à arranger mes papillons…
MARGUERITE
Écoute, Jacques. Je t’aiderai pendant une heure; ensuite nous irons pêcher avec Léon.»
Jacques grogna un peu. Léon et Jean se moquèrent de lui. Camille et Madeleine l’embrassèrent et lui firent comprendre[11] qu’il ne fallait pas être égoïste, qu’il fallait être bon camarade et sacrifier quelquefois son plaisir à celui des autres. Jacques avoua qu’il avait tort, et il promit de faire tout ce que voudrait sa petite amie Marguerite.
Le goûter était fini; les enfants demandèrent la permission d’aller se promener et partirent en courant à qui arriverait le plus vite au jardin de Camille et de Madeleine. Ils le trouvèrent plein de fleurs, très bien bêché et bien cultivé.
JEAN
Il vous manque une petite cabane pour mettre vos outils, et une autre pour vous mettre à l’abri de la pluie, du soleil et du vent.
CAMILLE
C’est vrai, mais nous n’avons jamais pu réussir à en faire une; nous ne sommes pas assez fortes.
LÉON
Eh bien, pendant que nous sommes ici, Jean et moi nous bâtirons une maison.
JACQUES
Et moi aussi, j’en bâtirai une pour Marguerite et pour moi.
LÉON, riant
Ha! ha! ha! Voilà un fameux ouvrier! Est-ce que tu sauras comment t’y prendre?
JACQUES
Oui, je le saurai, et je la ferai.
MADELEINE
Nous t’aiderons, mon petit Jacques, et je suis bien sûre que Léon et Jean t’aideront aussi.
JACQUES
Je veux bien que tu m’aides, toi, Madeleine, et Camille aussi, et Sophie aussi; mais je ne veux pas de Léon, il est trop moqueur.
JEAN, riant
Et moi, Jacques, Ta Grandeur voudra-t-elle accepter mon aide?
JACQUES, fâché
Non, monsieur, je ne veux pas de toi non plus; je veux te montrer que Ma Grandeur est bien assez puissante pour se passer de toi[12].
SOPHIE
Mais comment feras-tu, mon pauvre Jacques, pour atteindre au haut d’une maison assez grande pour nous tenir tous?
JACQUES
Vous verrez, vous verrez; laissez-moi faire: j’ai mon idée.»
Et il dit quelques mots à l’oreille de Marguerite, qui se mit à rire et lui répondit bas aussi:
«Très bien, très bien, ne leur dis rien jusqu’à ce que ce soit fini.»
Les enfants continuèrent leur promenade; on mena les cousins au potager, où ils passèrent en revue tous les fruits, mais sans y toucher, puis à la ferme, où ils visitèrent la vacherie, la bergerie, le poulailler, la laiterie; ils étaient tous heureux; ils riaient, ils couraient, grimpant sur des arbres, sautant des fossés, cueillant des fleurs pour en faire des bouquets qu’ils offraient à leurs cousines et à leurs amies. Jacques donnait les siens à Marguerite. Ceux de Jean étaient pour Madeleine et Sophie; Léon réservait les siens à Camille. Ils ne rentrèrent que pour dîner. La promenade leur avait donné bon appétit; ils mangèrent à effrayer leurs parents. Le dîner fut très gai. Aucun d’eux n’avait peur de ses parents: pères, mères, enfants riaient et causaient gaiement. Après le dîner, on fit tous ensemble une promenade dans les champs, et l’on rapporta une quantité de bluets[13]; le reste de la soirée se passa à faire des couronnes pour les demoiselles; Léon, Jean, Jacques aidaient; ils coupaient les queues trop longues, préparaient le fil, cherchaient les plus beaux bluets. Enfin arriva l’heure du coucher des plus jeunes. Sophie, Marguerite et Jacques, puis des plus grands, et enfin l’heure du repos pour les parents. Le lendemain on devait commencer les cabanes, attraper des papillons, pêcher à la pièce d’eau, lire, travailler, se promener; il y avait de l’occupation pour vingt-quatre heures au moins.
II. Les cabanes
Les enfants étaient en vacances, et tous avaient congé; les papas et les mamans avaient déclaré que, pendant six semaines, chacun ferait ce qu’il voudrait du matin au soir, sauf deux heures réservées au travail.
Le lendemain de l’arrivée des cousins, on s’éveilla de grand matin[14].
Marguerite sortit sa tête de dessous sa couverture et appela Sophie, qui dormait profondément; Sophie se réveilla en sursaut et se frotta les yeux.
«Quoi? qu’est-ce? Faut-il partir? Attends, je viens.»
En disant ces mots, elle retomba endormie sur son oreiller.
Marguerite allait recommencer, lorsque la bonne, qui couchait près d’elle, lui dit:
«Taisez-vous donc, mademoiselle Marguerite; laissez-nous dormir; il n’est pas encore cinq heures; c’est trop tôt pour se lever.
Dieu! que la nuit est longue aujourd’hui! quel ennui de dormir!»
Et, tout en songeant aux cabanes et aux plaisirs de la journée, elle aussi se rendormit.
Camille et Madeleine, éveillées depuis longtemps, attendaient patiemment que la pendule sonnât sept heures et leur permît de se lever sans déranger leur bonne, Elisa, qui, n’ayant pas de cabane à construire, dormait paisiblement.
Léon et Jean s’étaient éveillés et levés à six heures; ils finissaient leur toilette et leur prière lorsque leurs cousines se levaient.
Jacques avait eu, avant de se coucher, une conversation à voix basse avec son père et Marguerite; on les voyait causer avec animation; on les entendait rire; de temps en temps, Jacques sautait, battait des mains et embrassait son papa et Marguerite; mais ils ne voulurent dire à personne de quoi ils avaient parlé avec tant de chaleur et de gaieté. Le lendemain, quand Léon et Jean allèrent éveiller Jacques, ils trouvèrent la chambre vide.
JEAN
Comment! déjà sorti! À quelle heure s’est-il donc levé?
LÉON
Écoute donc; un premier jour de vacances on veut s’en donner des courses, des jeux, des promenades. Nous le retrouverons dans le jardin. En attendant mes cousines et nos amies, allons faire un tour à la ferme; nous déjeunerons avec du bon lait tout chaud et du pain bis.»
Jean approuva vivement ce projet; ils arrivèrent au moment où l’on finissait de traire les vaches[15]. La fermière, la mère Diart, les reçut avec empressement. Après les premières phrases de bonjour et de bienvenue, Léon demanda du lait et du pain bis[16].
La mère Diart s’empressa de les servir.
«Allons, la grosse, cria-t-elle à une lourde servante qui apportait deux seaux pleins de lait, donne du lait tout chaud à ces messieurs. Passe-le.... Plus vite donc! Est-elle pataude! Pardon, messieurs, elle n’est pas prompte, voyez-vous.... Pose tes seaux; j’aurai plus tôt fait que toi.... Cours chercher un pain dans la huche.... Voilà, messieurs; à votre service tout ce qu’il vous plaira de demander.»
Léon et Jean remercièrent la fermière et se mirent à manger avec délices ce bon lait tout chaud et ce pain de ménage, à peine sorti du four et tiède encore.
«Assez, assez, Jean, dit Léon. Si nous étouffons, nous ne serons plus bons à rien. N’oublie pas que nous avons nos cabanes à commencer. Nous aurons fini les nôtres avant que ce petit vantard de Jacques[17] ait pu seulement commencer la sienne.
JEAN
Hé! hé! Je ne dis pas cela, moi. Jacques est fort; il est très vif et intelligent; il est résolu, et, quand il veut, il veut ferme.
LÉON
Laisse donc! ne vas-tu pas croire qu’il saura faire une maison à lui tout seul, aidé seulement par Sophie et Marguerite?
JEAN
Je n’en sais rien; nous verrons.
LÉON
C’est tout vu d’avance, mon cher. Il fera chou blanc[18].
JEAN
Ou chou pommé[19]. Tu verras, tu verras.
LÉON
Ce que tu dis là est d’une niaiserie pommée. Ha! ha! Un petit gamin de sept ans architecte, maçon.