Adieu, ma chère amie. Si tu trouves que jaie tort, dis-le moi ; mais je ne crois pas. À mesure que le moment de lui écrire approche, mon cœur bat que ça ne se conçoit pas. Il le faut pourtant bien, puisque je lai promis. Adieu.
Paris, 21 août 17**.
Lettre XIX. Cécile Volanges au Chevalier Danceny
Vous étiez si triste, hier, Monsieur, et cela me faisait tant de peine, que je me suis laissée aller à vous promettre de répondre à la lettre que vous mavez écrite. Je nen sens pas moins aujourdhui que je ne le dois pas : pourtant, comme je lai promis, je ne veux pas manquer à ma parole, et cela doit bien vous prouver lamitié que jai pour vous. À présent que vous le savez, jespère que vous ne me demanderez pas de vous écrire davantage. Jespère aussi que vous ne direz à personne que je vous ai écrit ; parce que sûrement on men blâmerait, et que cela pourrait me causer bien du chagrin. Jespère surtout que vous même vous nen prendrez pas mauvaise idée de moi ; ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je naurais pas eu cette complaisance-là pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus être triste comme vous étiez ; ce qui môte tout le plaisir que jai à vous voir. Vous voyez, Monsieur, que je vous parle bien sincèrement. Je ne demande pas mieux que notre amitié dure toujours ; mais, je vous en prie, ne mécrivez plus.
Jai lhonneur dêtre,
Cécile Volanges
De, 20 août 17**.
Lettre XX. La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Ah ! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous ! Allons, je vous fais grâce : vous mécrivez tant de folies, quil faut bien que je vous pardonne la sagesse où vous tient votre Présidente. Je ne crois pas que mon Chevalier eût autant dindulgence que moi ; il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. Jen ai pourtant bien ri, et jétais vraiment fâchée dêtre obligée den rire toute seule. Si vous eussiez été là, je ne sais où maurait menée cette gaieté : mais jai eu le temps de la réflexion, et je me suis armée de sévérité. Ce nest pas que je refuse pour toujours ; mais, je diffère, et jai raison. Jy mettrais peut-être de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus où lon sarrête. Je serais femme à vous enchaîner de nouveau, à vous faire oublier votre Présidente ; et si jallais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale ! Pour éviter ce danger, voici mes conditions.
Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez men fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous nignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, dune part, je deviendrai une récompense au lieu dêtre une consolation ; et cette idée me plaît davantage ; et de lautre, votre succès en sera plus piquant, en devenant lui-même un moyen dinfidélité. Venez donc, venez au plus tôt mapporter le gage de votre triomphe : semblable à nos preux Chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leur dame les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de voir ce que peut écrire une prude après un tel moment, et quel voile elle met sur ses actions, après nen avoir plus laissé sur sa personne. Cest à vous de voir si je me mets à un prix trop haut ; mais je vous préviens quil ny a rien à rabattre. Jusques-là, mon cher Vicomte, vous trouverez bon que je reste fidèle à mon Chevalier, et que je mamuse à le rendre heureux, malgré le petit chagrin que cela vous cause.
Cependant si javais moins de mœurs, je crois quil aurait, dans ce moment, un rival dangereux ; cest la petite Volanges. Je raffole de cet enfant : cest une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cœur se développer, et cest un spectacle ravissant. Elle aime déjà son Danceny avec fureur ; mais elle nen sait encore rien. Lui-même, quoique très amoureux, a encore la timidité de son âge, et nose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-à-vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret ; particulièrement depuis quelques jours je len vois vraiment oppressée, et je lui aurais rendu un grand service de laider un peu : mais je noublie pas que cest un enfant, et je ne veux pas me compromettre. Danceny ma parlé un peu plus clairement ; mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas lentendre. Quant à la petite, je suis souvent tentée den faire mon élève ; cest un service que jai envie de rendre à Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilà en Corse jusquau mois doctobre. Jai dans lidée que jemploierai ce temps-là, et que nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente pensionnaire. Quelle est donc en effet linsolente sécurité de cet homme, qui ose dormir tranquille, tandis quune femme, qui a à se plaindre de lui, ne sest pas encore vengée ? Tenez, si la petite était ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas.
Adieu, Vicomte ; bonsoir et bon succès : mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous navez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu.
De, ce 20 août 17**.
Lettre XXI. Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
Enfin, ma belle amie, jai fait un pas en avant, mais un grand pas, et qui, sil ne ma pas conduit jusquau but, ma fait connaître au moins que je suis dans la route, et a dissipé la crainte où jétais de mêtre égaré. Jai enfin déclaré mon amour ; et quoiquon ait gardé le silence le plus obstiné, jai obtenu la réponse peut-être la moins équivoque et la plus flatteuse : mais nanticipons pas sur les événements, et reprenons de plus haut.
Vous vous souvenez quon faisait épier mes démarches. En bien ! jai voulu que ce moyen scandaleux tournât à lédification publique, et voici ce que jai fait. Jai chargé mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eût besoin de secours. Cette commission nétait pas difficile à remplir. Hier après-midi, il me rendit compte quon devait saisir aujourdhui, dans la matinée, les meubles dune famille entière qui ne pouvait payer la taille. Je massurai quil ny eût dans cette maison aucune femme ou fille dont lâge et la figure pussent rendre mon action suspecte ; et, quand je fus bien informé, je déclarai à souper mon projet daller à la chasse le lendemain. Ici je dois rendre justice à ma Présidente : sans doute elle eut quelques remords des ordres quelle avait donnés ; et, nayant pas la force de vaincre sa curiosité, elle eut au moins celle de contrarier mon désir. Il devait faire une chaleur excessive ; je risquais de me rendre malade ; je ne tuerais rien, et me fatiguerais en vain ; et pendant ce dialogue, ses yeux, qui parlaient peut-être plus quelle ne voulait, me faisaient assez connaître quelle désirait que je prisse pour bonnes ces mauvaises raisons. Je navais garde de my rendre, comme vous pouvez croire, et je résistai de même à une petite diatribe contre la chasse et les chasseurs, et à un petit nuage dhumeur qui obscurcit, toute la soirée, cette figure céleste. Je craignis un moment que ses ordres ne fussent révoqués, et que sa délicatesse ne me nuisît. Je ne calculais pas la curiosité dune femme ; aussi me trompais-je. Mon chasseur me rassura dès le soir même, et je me couchai satisfait.
Au point du jour je me lève et je pars. A peine à cinquante pas du château, japerçois mon espion qui me suit. Jentre en chasse, et marche à travers champs vers le village où je voulais me rendre, sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drôle qui me suivait, et qui, nosant pas quitter les chemins, parcourait souvent, à toute course, un espace triple du mien. A force de lexercer, jai eu moi-même une extrême chaleur, et je me suis assis au pied dun arbre. Na-t-il pas eu linsolence de se couler jusque derrière un buisson qui nétait pas à vingt pas de moi, et de sy asseoir aussi ? Jai été tenté un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donné une leçon suffisante sur les dangers de la curiosité : heureusement pour lui, je me suis ressouvenu quil était utile et même nécessaire à mes projets ; cette réflexion la sauvé.