Le jour même, une plainte en vol qualifié était déposée par le baron de Cahorn contre Arsène Lupin, détenu à la Santé !
* * *
Cette plainte, le baron la regretta souvent quand il vit le Malaquis livré aux gendarmes, au procureur, au juge dinstruction, aux journalistes, à tous les curieux qui sinsinuent partout où ils ne devraient pas être.
Laffaire passionnait déjà lopinion. Elle se produisait dans des conditions si particulières, le nom dArsène Lupin excitait à tel point les imaginations, que les histoires les plus fantaisistes remplissaient les colonnes des journaux et trouvaient créance auprès du public.
Mais la lettre initiale dArsène Lupin, que publia lÉcho de France (et nul ne sut jamais qui en avait communiqué le texte), cette lettre où le baron Cahorn était effrontément prévenu de ce qui le menaçait, causa une émotion considérable. Aussitôt des explications fabuleuses furent proposées. On rappela lexistence des fameux souterrains. Et le parquet influencé poussa ses recherches dans ce sens.
On fouilla le château du haut en bas. On questionna chacune des pierres. On étudia les boiseries et les cheminées, les cadres des glaces et les poutres des plafonds. À la lueur des torches, on examina les caves immenses où les seigneurs du Malaquis entassaient jadis leurs munitions et leurs provisions. On sonda les entrailles du rocher. Ce fut vainement. On ne découvrit pas le moindre vestige de souterrain. Il nexistait point de passage secret.
Soit, répondait-on de tous côtés, mais des meubles et des tableaux ne sévanouissent pas comme des fantômes. Cela sen va par des portes et par des fenêtres, et les gens qui sen emparent, sintroduisent et sen vont également par des portes et des fenêtres. Quels sont ces gens ? Comment se sont-ils introduits ? Et comment sen sont-ils allés ?
Le parquet de Rouen, convaincu de son impuissance, sollicita le secours dagents parisiens. M. Dudouis, le chef de la Sûreté, envoya ses meilleurs limiers de la brigade de fer. Lui-même fit un séjour de quarante-huit heures au Malaquis. Il ne réussit pas davantage.
Cest alors quil manda linspecteur principal Ganimard dont il avait eu si souvent loccasion dapprécier les services.
Ganimard écouta silencieusement les instructions de son supérieur, puis, hochant la tête, il prononça :
Je crois que lon fait fausse route en sobstinant à fouiller le château. La solution est ailleurs.
Et où donc ?
Auprès dArsène Lupin.
Auprès dArsène Lupin ! Supposer cela, cest admettre son intervention.
Je ladmets. Bien plus, je la considère comme certaine.
Voyons, Ganimard, cest absurde. Arsène Lupin est en prison.
Arsène Lupin est en prison, soit. Il est surveillé, je vous laccorde. Mais il aurait les fers aux pieds, des cordes aux poignets et un bâillon sur la bouche, que je ne changerais pas davis.
Et pourquoi cette obstination ?
Parce que, seul, Arsène Lupin est de taille à combiner une machine de cette envergure, et de la combiner de telle façon quelle réussisse comme elle a réussi.
Des mots, Ganimard !
Qui sont des réalités. Mais voilà, quon ne cherche pas de souterrain, de pierres tournant sur un pivot, et autres balivernes de ce calibre. Notre individu nemploie pas des procédés aussi vieux jeu. Il est daujourdhui, ou plutôt de demain.
Et vous concluez ?
Je conclus en vous demandant nettement lautorisation de passer une heure avec lui.
Dans sa cellule ?
Oui. Au retour dAmérique nous avons entretenu, pendant la traversée, dexcellents rapports, et jose dire quil a quelque sympathie pour celui qui a su larrêter. Sil peut me renseigner sans se compromettre, il nhésitera pas à méviter un voyage inutile.
Il était un peu plus de midi lorsque Ganimard fut introduit dans la cellule dArsène Lupin. Celui-ci, étendu sur son lit, leva la tête et poussa un cri de joie.
Ah ! ça, cest une vraie surprise. Ce cher Ganimard, ici !
Lui-même.
Je désirais bien des choses dans la retraite que jai choisie mais aucune plus passionnément que de vous y recevoir.
Trop aimable.
Mais non, mais non, je professe pour vous la plus vive estime.
Jen suis fier.
Je lai toujours prétendu : Ganimard est notre meilleur détective. Il vaut presque, vous voyez comme je suis franc ! il vaut presque Sherlock Holmes. Mais, en vérité, je suis désolé de navoir à vous offrir que cet escabeau. Et pas un rafraîchissement ! pas un verre de bière ! Excusez-moi, je suis là de passage.
Ganimard sassit en souriant, et le prisonnier reprit, heureux de parler :
Mon Dieu, que je suis content de reposer mes yeux sur la figure dun honnête homme ! Jen ai assez de toutes ces faces despions et de mouchards qui passent dix fois par jour la revue de mes poches et de ma modeste cellule, pour sassurer que je ne prépare pas une évasion. Fichtre, ce que le gouvernement tient à moi !
Il a raison.
Mais non ! je serais si heureux quon me laissât vivre dans mon petit coin !
Avec les rentes des autres.
Nest-ce pas ? Ce serait si simple ! Mais je bavarde, je dis des bêtises, et vous êtes peut-être pressé. Allons au fait, Ganimard ! Quest-ce qui me vaut lhonneur dune visite ?
Laffaire Cahorn, déclara Ganimard, sans détour.
Halte-là ! une seconde Cest que jen ai tant daffaires ! Que je trouve dabord dans mon cerveau le dossier de laffaire Cahorn Ah ! voilà, jy suis. Affaire Cahorn, château du Malaquis, Seine-Inférieure Deux Rubens, un Watteau, et quelques menus objets.
Menus !
Oh ! ma foi, tout cela est de médiocre importance. Il y a mieux ! Mais il suffit que laffaire vous intéresse Parlez donc, Ganimard.
Dois-je vous expliquer où nous en sommes de linstruction ?
Inutile. Jai lu les journaux de ce matin. Je me permettrai même de vous dire que vous navancez pas vite.
Cest précisément la raison pour laquelle je madresse à votre obligeance.
Entièrement à vos ordres.
Tout dabord ceci : laffaire a bien été conduite par vous ?
Depuis A jusquà Z.
La lettre davis ? le télégramme ?
Sont de votre serviteur. Je dois même en avoir quelque part les récépissés.
Arsène ouvrit le tiroir dune petite table en bois blanc qui composait avec le lit et lescabeau tout le mobilier de sa cellule, y prit deux chiffons de papier et les tendit à Ganimard.
Ah ! ça mais, sécria celui-ci, je vous croyais gardé à vue et fouillé pour un oui ou pour un non. Or vous lisez les journaux, vous collectionnez les reçus de la poste
Bah ! ces gens-là sont si bêtes ! Ils décousent la doublure de ma veste, ils explorent les semelles de mes bottines, ils auscultent les murs de cette pièce, mais pas un naurait lidée quArsène Lupin soit assez niais pour choisir une cachette aussi facile. Cest bien là-dessus que jai compté.
Ganimard, amusé, sexclama :
Quel drôle de garçon vous faites ! Vous me déconcertez. Allons, racontez-moi laventure.
Oh ! oh ! comme vous y allez ! Vous initier à tous mes secrets vous dévoiler mes petits trucs Cest bien grave.
Ai-je eu tort de compter sur votre complaisance ?
Non, Ganimard, et puisque vous insistez
Arsène Lupin arpenta deux ou trois fois sa chambre, puis sarrêtant :
Que pensez-vous de ma lettre au baron ?
Je pense que vous avez voulu vous divertir, épater un peu la galerie.
Ah ! voilà, épater la galerie ! Eh bien, je vous assure, Ganimard, que je vous croyais plus fort. Est-ce que je mattarde à ces puérilités, moi, Arsène Lupin ! Est-ce que jaurais écrit cette lettre si javais pu dévaliser le baron sans lui écrire ? Mais comprenez donc, vous et les autres, que cette lettre est le point de départ indispensable, le ressort qui a mis toute la machine en branle. Voyons, procédons par ordre, et préparons ensemble, si vous voulez, le cambriolage du Malaquis.
Je vous écoute.
Donc, supposons un château rigoureusement fermé, barricadé, comme létait celui du baron Cahorn. Vais-je abandonner la partie et renoncer à des trésors que je convoite, sous prétexte que le château qui les contient est inaccessible ?