– Oui, répondis-je en riant. C’était un singulier document. La philosophie, l’astronomie et la politique étaient notées d’un zéro, je me le rappelle. La botanique, médiocre; la géologie, très sérieuse en ce qui concerne les taches de boue de n’importe quelle région située dans un périmètre de cinquante miles autour de Londres; la chimie, excentrique; l’anatomie, sans méthode; la littérature passionnelle et les annales du crime, uniques. Je vous appréciais encore comme violoniste, boxeur, épéiste, homme de loi, et aussi pour votre auto-intoxication par la cocaïne et le tabac. C’étaient là, je crois, les principaux points de mon analyse.
La dernière remarque fit rire mon ami.
– Eh bien! dit-il, je répète aujourd’hui, comme je le disais alors, qu’on doit garder sa petite mansarde intellectuelle garnie de tout ce qui doit vraisemblablement servir et que le reste peut être relégué dans les débarras de la bibliothèque, où on peut les trouver quand on en a besoin. Or, dans un cas comme celui que l’on nous a soumis ce soir, nous avons certainement besoin de toutes nos ressources! Ayez donc la bonté de me passer la lettre K de l’
– Mais de quelle société?
– Vous n’avez jamais entendu parler du Ku Klux Klan?
Et Sherlock, se penchant en avant, baissait la voix.
– Jamais.
Holmes tourna les pages du livre sur ses genoux.
– Voici! dit-il bientôt. «Ku Klux Klan. Nom dérivé d’une ressemblance imaginaire avec le bruit produit par un fusil qu’on arme. Cette terrible société secrète fut formée par quelques anciens soldats confédérés dans les États du Sud après la guerre civile et elle forma bien vite des branches locales dans différentes parties du pays, particulièrement dans le Tennessee, la Louisiane, les Carolines, la Géorgie et la Floride. Elle employait sa puissance à des fins politiques, principalement à terroriser les électeurs nègres et à assassiner ou à chasser du pays ceux qui étaient opposés à ses desseins. Ses attentats étaient d’ordinaire précédés d’un avertissement à l’homme désigné, avertissement donné d’une façon fantasque mais généralement aisée à reconnaître, quelques feuilles de chêne dans certains endroits, dans d’autres des semences de melon ou des pépins d’orange. Quand elle recevait ces avertissements, la victime pouvait ou bien renoncer ouvertement à ses opinions ou à sa façon de vivre, ou bien s’enfuir du pays.
«Si, par bravade, elle s’entêtait, la mort la surprenait infailliblement, en général d’une façon étrange et imprévue. L’organisation de la société était si parfaite, ses méthodes si efficaces, qu’on ne cite guère de personnes qui aient réussi à la braver impunément ou de circonstances qui aient permis de déterminer avec certitude les auteurs d’un attentat.
Pendant quelques années, cette organisation prospéra, en dépit des efforts du gouvernement des États-Unis et des milieux les mieux intentionnés dans la communauté du Sud. Cependant, en l’année 1869, le mouvement s’éteignit assez brusquement, bien que, depuis lors, il y ait eu encore des sursauts spasmodiques.»
«Vous remarquerez, dit Holmes en posant le volume, que cette soudaine éclipse de la société coïncide avec le moment où Openshaw est parti d’Amérique avec leurs papiers. Il se peut fort bien qu’il y ait là un rapport de cause à effet. Rien d’étonnant donc, que lui et les siens aient eu à leurs trousses quelques-uns de ces implacables caractères. Vous pouvez comprendre que ce registre et ce journal aient pu mettre en cause quelques personnalités de tout premier plan des États du Sud et qu’il puisse y en avoir pas mal qui ne dormiront pas tranquilles tant qu’on n’aura pas recouvré ces papiers.