Edmond About - Le nez dun notaire стр 2.

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Charmant homme au demeurant, comme presque tous les égoïstes; estimé au Palais, au cercle, à la chambre des notaires, à la conférence de Saint-Vincent de Paul et à la salle darmes; beau tireur de pointe et de contre-pointe; beau buveur, amant généreux, tant quil avait le cœur pris; ami sûr avec les hommes de son rang; créancier des plus gracieux, tant quil touchait les intérêts de son capital; délicat dans ses goûts, recherché dans sa toilette, propre comme un louis neuf, assidu le dimanche aux offices de Saint-Thomas dAquin, les lundis, mercredis et vendredis au foyer de lOpéra, il eût été le plus parfait gentleman de son temps au physique comme au moral, sans une déplorable myopie qui le condamnait à porter des lunettes. Est-il besoin dajouter que ses lunettes étaient dor, et les plus fines, les plus légères, les plus élégantes quon eût fabriquées chez le célèbre Mathieu Luna, quai des Orfèvres?


Il ne les portait pas toujours, mais seulement à létude ou chez le client, lorsquil avait des actes à lire. Croyez que les lundis, mercredis et vendredis, lorsquil entrait au foyer de la danse, il avait soin de démasquer ses beaux yeux. Aucun verre biconcave ne voilait alors léclat de son regard. Il ny voyait goutte, jen conviens, et saluait quelquefois une marcheuse pour une étoile; mais il avait lair résolu dun Alexandre entrant à Babylone. Aussi les petites filles du corps de ballet, qui donnent volontiers des sobriquets aux personnes, lavaient-elles surnommé Vainqueur. Un bon gros Turc, secrétaire à lambassade, avait reçu le nom de Tranquille, un conseiller dÉtat sappelait Mélancolique; un secrétaire général du ministère de, vif et brouillon dans ses allures, se nommait Mr Turlu. Cest pourquoi la petite Élise Champagne, dite aussi Champagne IIe, reçut le nom de Turlurette lorsquelle sortit des coryphées pour sélever au rang de sujet.


Mes lecteurs de province (si tant est que ce récit dépasse jamais les fortifications de Paris) vont méditer une minute ou deux sur le paragraphe qui précède. Jentends dici les mille et une questions quils adressent mentalement à lauteur. «Quest-ce que le foyer de la danse? Et le corps de ballet? Et les étoiles de lOpéra? Et les coryphées? Et les sujets? Et les marcheuses? Et les secrétaires généraux qui ségarent dans un tel monde, au risque dy attraper des sobriquets? Enfin par quel hasard un homme posé, un homme rangé, un homme de principes, comme maître Alfred LAmbert, se trouvait-il trois fois par semaine au foyer de la danse?»


Eh! chers amis, cest précisément parce quil était un homme posé, un homme rangé et un homme de principes. Le foyer de la danse était alors un vaste salon carré, entouré de vieilles banquettes de velours rouge et peuplé de tous les hommes les plus considérables de Paris. On y rencontrait non seulement des financiers, des conseillers dÉtat, des secrétaires généraux, mais encore des ducs et des princes, des députés, des préfets, et les sénateurs les plus dévoués au pouvoir temporel du pape; il ny manquait que des prélats. On y voyait des ministres mariés, et même les plus complètement mariés entre tous nos ministres. Quand je dis on y voyait, ce nest pas que je les aie vus moi-même; vous pensez bien que les pauvres diables de journalistes nentraient pas là comme au moulin. Un ministre tenait en main les clefs de ce salon des Hespérides; nul ny pénétrait sans laveu de son excellence. Aussi fallait-il voir les rivalités, les jalousies et les intrigues! Combien de cabinets on a culbutés sous les prétextes les plus divers, mais au fond parce que tous les hommes dÉtat veulent régner sur le foyer de la danse! Nallez pas croire au moins que ces personnages y fussent attirés par lappât des plaisirs défendus! Ils brûlaient dencourager un art éminemment aristocratique et politique.


La marche des années a peut-être changé tout cela, car les aventures de maître LAmbert ne datent point de cette semaine. Elles ne remontent pourtant pas à lantiquité la plus reculée. Mais des raisons de haute convenance me défendent de préciser lannée exacte où cet officier ministériel échangea son nez aquilin contre un nez droit. Cest pourquoi jai dit vaguement en ce temps-là, comme les fabulistes. Contentez-vous de savoir que laction se place, dans les annales du monde, entre lincendie de Troie par les Grecs et lincendie du palais dÉté à Pékin par larmée anglaise, deux mémorables étapes de la civilisation européenne.


Un contemporain et un client de maître LAmbert, Mr le marquis dOmbremule, disait un soir au café Anglais:


 Ce qui nous distingue du commun des hommes, cest notre fanatisme pour la danse. La canaille raffole de musique. Elle bat des mains aux opéras de Rossini, de Donizetti et dAuber: il paraît quun million de petites notes mises en salade a quelque chose qui flatte loreille de ces gens-là. Ils poussent le ridicule jusquà chanter eux-mêmes de leur grosse voix éraillée, et la police leur permet de se réunir dans certains amphithéâtres pour écorcher quelques ariettes. Grand bien leur fasse! Quant à moi, je nécoute point un opéra, je le regarde: jarrive pour le divertissement, et je me sauve après. Ma respectable aïeule ma conté que toutes les grandes dames de son temps nallaient à lOpéra que pour le ballet. Elles ne refusaient aucun encouragement à MM. les danseurs. Notre tour est venu; cest nous qui protégeons les danseuses: honni soit qui mal y pense!


La petite duchesse de Biétry, jeune, jolie et délaissée, eut la faiblesse de reprocher à son mari les habitudes dOpéra quil avait prises.


 Nêtes-vous pas honteux, lui disait-elle, de mabandonner dans ma loge avec tous vos amis pour courir je ne sais où?


 Madame, répondit-il, lorsquon espère une ambassade, ne doit-on pas étudier la politique?


 Soit; mais il y a, je pense, de meilleures écoles dans Paris.


 Aucune. Apprenez, ma chère enfant, que la danse et la politique sont jumelles. Chercher à plaire, courtiser le public, avoir lœil sur le chef dorchestre, composer son visage, changer à chaque instant de couleur et dhabit, sauter de gauche à droite et de droite à gauche, se retourner lestement, retomber sur ses pieds, sourire avec des larmes plein les yeux, nest-ce pas en quelques mots le programme de la danse et de la politique?


La duchesse sourit, pardonna, et prit un amant.


Les grands seigneurs comme le duc de Biétry, les hommes dÉtat comme le baron de F, les gros millionnaires comme le petit Mr St, et les simples notaires comme le héros de cette histoire se coudoient pêle-mêle au foyer de la danse et dans les coulisses du théâtre. Ils sont tous égaux devant lignorance et la naïveté de ces quatre-vingts petites ingénues qui composent le corps de ballet. On les appelle MM. les abonnés, on leur sourit gratis, on bavarde avec eux dans les petits coins, on accepte leurs bonbons et même leurs diamants comme des politesses sans conséquence et qui nengagent à rien celle qui les reçoit. Le monde simagine bien à tort que lOpéra est un marché de plaisir facile et une école de libertinage.


On y trouve des vertus en plus grand nombre que dans aucun autre théâtre de Paris: et pourquoi? parce que la vertu y est plus chère que partout ailleurs.

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