Cette charmante figure dUranie, comme elle me poursuivait, avec toutes ses délicieuses expressions de physionomie! Son sourire était si gracieux! Et puis, ses yeux de bronze avaient parfois un véritable regard. Il ne lui manquait que la parole. Or, la nuit suivante, à peine endormi, je la revis devant moi, la sublime déesse, et cette fois elle me parla.
Oh! elle était bien vivante. Et quelle jolie bouche! jaurais baisé chaque parole «Viens, me dit-elle, viens dans le ciel, là-haut, loin de la Terre; tu domineras ce bas monde, tu contempleras limmense univers dans sa grandeur. Tiens, regarde!»
II
Alors je vis la Terre qui tombait dans les profondeurs béantes de limmensité; les coupoles de lObservatoire, Paris illuminé, descendaient vite; tout en me sentant immobile, jeus une impression analogue à celle quon éprouve en ballon lorsquen sélevant dans les airs on voit la Terre descendre. Je montai, je montai longtemps, emporté dans un magique essor vers le zénith inaccessible. Uranie était près de moi, un peu plus élevée, me regardant avec douceur et me montrant les royaumes den bas. Le jour était revenu. Je reconnus la France, le Rhin, lAllemagne, lAutriche, lItalie, la Méditerranée, lEspagne, locéan Atlantique, la Manche, lAngleterre. Mais toute cette lilliputienne géographie se rapetissait très vite. Bientôt le globe terrestre fut réduit aux dimensions apparentes de la lune en son dernier quartier, puis dune petite pleine lune.
«Voilà! me dit-elle, ce fameux globe terrestre sur lequel sagitent tant de passions, et qui enferme dans son cercle étroit la pensée de tant de millions dêtres dont la vue ne sétend pas au delà. Regarde comme toute son apparente grandeur diminue à mesure que notre horizon se développe. Nous ne distinguons déjà plus lEurope de lAsie. Voici le Canada et lAmérique du Nord. Que tout cela est minuscule!»
En passant dans le voisinage de la Lune, javais remarqué les paysages montagneux de notre satellite, les cimes rayonnantes de lumière, les profondes vallées remplies dombre, et jaurais voulu my arrêter pour étudier de plus près ce séjour voisin; mais, dédaignant dy jeter même un simple regard, Uranie mentraînait dun vol rapide vers les régions sidérales.
Nous montions toujours. La Terre, diminuant de plus en plus à mesure que nous nous en éloignions, arriva à être réduite à laspect dune simple étoile, brillant par lillumination solaire au sein de limmensité vide et noire. Nous avions tourné vers le Soleil, qui resplendissait dans lespace sans léclairer, et nous voyions, en même temps que lui, les étoiles et les planètes, que sa lumière neffaçait plus parce quelle néclairait pas léther invisible. Langélique déesse me montra Mercure, dans le voisinage du Soleil, Vénus, qui brillait du côté opposé, la Terre, égale à Vénus comme aspect et comme éclat, Mars dont je reconnus les méditerranées et les canaux, Jupiter avec ses quatre lunes énormes, Saturne, Uranus. «Tous ces mondes, me dit-elle, sont soutenus dans le vide par lattraction du Soleil, autour duquel ils circulent avec vitesse. Cest un chœur harmonieux gravitant autour du centre. La Terre nest quune île flottante, un hameau de cette grande patrie solaire, et cet empire solaire nest lui-même quune province au sein de limmensité sidérale.»
Nous montions toujours. Le Soleil et son système séloignaient rapidement; la Terre nétait plus quun point, Jupiter lui-même, ce monde si colossal, se montra amoindri comme Mars et Vénus, à un petit point minuscule à peine supérieur à celui de la Terre.
Nous passâmes en vue de Saturne, ceint de ses anneaux gigantesques, et dont le témoignage seul suffirait pour prouver limmense et inimaginable variété qui règne dans lunivers, Saturne, véritable système à lui seul avec ses anneaux formés de corpuscules emportés dans une rotation vertigineuse, et avec ses huit satellites laccompagnant comme un céleste cortège!
A mesure que nous montions, notre soleil diminuait de grandeur. Bientôt il descendit au rang détoile, puis perdit toute majesté, toute supériorité sur la population sidérale, et ne fut plus quune étoile à peine plus brillante que les autres. Je contemplais toute cette immensité étoilée au sein de laquelle nous nous élevions toujours, et je cherchais à reconnaître les constellations; mais elles commençaient à changer sensiblement de formes, à cause de la différence de perspective causée par mon voyage. Je crus voir notre soleil, devenu insensiblement une toute petite étoile, se réunir à la constellation du Centaure, tandis quune nouvelle lumière, pâle, bleuâtre, assez étrange, marrivait de la région vers laquelle Uranie memportait. Cette clarté navait rien de terrestre et ne me rappelait aucun des effets que javais admirés dans les paysages de la Terre, ni parmi les tons si changeants des crépuscules après lorage, ni dans les brumes indécises du matin, ni pendant les heures calmes et silencieuses du clair de lune sur le miroir de la mer. Ce dernier effet est peut-être celui dont cet aspect se rapprochait le plus, mais cette étrange lumière était, et elle devenait de plus en plus vraiment bleue, bleue non dun reflet dazur céleste ou dun contraste analogue à celui que produit la lumière électrique comparée à celle du gaz, mais bleue comme si le Soleil lui-même eût été bleu!
Quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsque je maperçus que nous nous approchions, en effet, dun soleil absolument bleu, comme un disque brillant qui eût été découpé dans nos plus beaux ciels terrestres, et se détachant lumineusement sur un fond entièrement noir, tout constellé détoiles! Ce soleil saphir était le centre dun système de planètes éclairées par sa lumière. Nous allions passer tout près de lune de ces planètes. Le soleil bleu sagrandissait à vue dœil; mais, nouveauté aussi singulière que la première, la lumière dont il éclairait cette planète se compliquait dun certain côté dune coloration verte. Je regardai de nouveau dans le ciel et japerçus un second soleil, celui-ci dun beau vert émeraude! Je nen croyais pas mes yeux.
«Nous traversons, me dit Uranie, le système solaire de Gamma dAndromède, dont tu ne vois encore quune partie, car il se compose en réalité, non de ces deux soleils, mais de trois, un bleu, un vert, et un jaune-orange. Le soleil bleu, qui est le plus petit, tourne autour du soleil vert, et celui-ci gravite avec son compagnon autour du grand soleil orangé que tu vas apercevoir dans un instant.»
Aussitôt, en effet, je vis paraître un troisième soleil, coloré de cet ardent rayonnement dont le contraste avec ses deux compagnons produisait la plus bizarre des illuminations. Je connaissais bien ce curieux système sidéral, pour lavoir plus dune fois observé au télescope; mais je ne me doutais point de sa splendeur réelle. Quelles fournaises, quels éblouissements! Quelle vivacité de couleurs dans cette étrange source de lumière bleue, dans cette illumination verte du second soleil, et dans ce rayonnement dor fauve du troisième!
Mais nous nous étions approchés, comme je lai dit, de lun des mondes appartenant au système du soleil saphir. Tout était bleu, paysages, eaux, plantes, rochers, légèrement verdis du côté éclairé par le second soleil, et à peine touchés des rayons du soleil orange qui se levait à lhorizon lointain. A mesure que nous pénétrions dans latmosphère de ce monde, une musique suave et délicieuse sélevait dans les airs, comme un parfum, comme un rêve. Je navais jamais rien entendu de pareil. La douce mélodie, profonde, lointaine, semblait venir dun chœur de harpes et de violons soutenu par un accompagnement dorgues. Cétait un chant exquis, qui charmait dès le premier instant, qui navait pas besoin dêtre analysé pour être compris, et qui remplissait lâme de volupté. Il me semblait que je serais resté une éternité à lécouter: je nosais adresser la parole à mon guide, tant je craignais den perdre une note. Uranie sen aperçut. Elle étendit la main vers un lac et me désigna du doigt un groupe dêtres ailés qui planaient au-dessus des eaux bleues.