«Mais ce nest pas tout. Cette rénovation dune science antique servirait peu au progrès général de lhumanité, si ces sublimes connaissances, qui développent lesprit, éclairent lâme et laffranchissent des médiocrités sociales, restaient enfermées dans le cercle restreint des astronomes de profession. Ce temps-là va passer aussi. Le boisseau doit être renversé. Il faut prendre le flambeau à la main, accroître son éclat, le porter sur les places publiques, dans les rues populeuses, jusque dans les carrefours. Tout le monde est appelé à recevoir la lumière, tout le monde en a soif, surtout les humbles, surtout les déshérités de la fortune, car ceux-là pensent davantage, ceux-là sont avides de science, tandis que les satisfaits du siècle ne se doutent pas de leur ignorance et sont presque fiers dy demeurer. Oui, la lumière de lAstronomie doit être répandue sur le monde; elle doit pénétrer jusquaux masses populaires, éclairer les consciences, élever les cœurs. Et ce sera là sa plus belle mission; ce sera là son bienfait.»
V
Ainsi parla mon guide céleste. Son visage était beau comme le jour, ses yeux brillaient dun lumineux éclat, sa voix semblait une musique divine. Je voyais les mondes circuler autour de nous dans lespace et je sentais quune harmonie immense régit la nature.
«Maintenant, me dit Uranie en me désignant du doigt la place où notre soleil terrestre avait disparu, revenons sur la Terre. Mais regarde encore. Tu as compris que lespace est infini. Tu vas comprendre que le temps est éternel.»
Nous traversâmes des constellations et revînmes vers le système solaire. Je vis, en effet, reparaître le Soleil sous laspect dune petite étoile.
«Je vais te donner un instant, fit-elle, sinon la vision divine, du moins la vision angélique. Ton âme va sentir les vibrations éthérées qui constituent la lumière et savoir comment lhistoire de chaque monde est éternelle en Dieu. Voir, cest savoir. Vois!»
De même quun microscope nous montre une fourmi de la grosseur dun éléphant; de même que, pénétrant jusquaux infiniment petits, il sait rendre linvisible visible; ainsi, à lordre de la Muse, ma vue acquit soudain une puissance de perception inattendue et distingua dans lespace, à côté du Soleil qui séclipsa, la Terre, qui dinvisible devint visible.
Je la reconnus, et à mesure que je la regardais, son disque sagrandissait, offrant laspect de la lune quelques jours avant la phase de la pleine lune. Bientôt je parvins, dans ce disque grandissant, à distinguer les principaux aspects géographiques, la tache neigeuse du pôle nord, les contours de lEurope et de lAsie, la mer du Nord, lAtlantique, la Méditerranée. Plus je fixais mon attention, et mieux je voyais. Les détails devenaient de plus en plus perceptibles, comme si javais changé graduellement doculaires microtélescopiques. Je reconnus la forme géographique de la France; mais notre belle patrie me parut entièrement verte, du Rhin à lOcéan et de la Manche à la Méditerranée, comme si elle avait été couverte dune seule et immense forêt. Je parvenais cependant à distinguer de mieux en mieux les moindres détails, car les Alpes, les Pyrénées, le Rhin, le Rhône, la Loire, étaient faciles à reconnaître.
«Fixe bien ton attention», reprit ma compagne.
En même temps quelle prononçait ces paroles, elle posait sur mon front lextrémité de ses doigts allongés, comme si elle eût voulu magnétiser mon cerveau et donner à mes facultés de perception une puissance plus grande encore.
Alors je sondai, je pénétrai plus attentivement encore les détails de la vision, et jeus devant les yeux la Gaule du temps de Jules César. Cétait au temps de la guerre de lindépendance animée par le patriotisme de Vercingétorix.
Je voyais ces aspects den haut, comme nous voyons les paysages lunaires au télescope, comme nous voyons une contrée de la nacelle dun ballon; mais je reconnus la Gaule, lAuvergne, Gergovie, le Puy de Dôme, les volcans éteints, et ma pensée se représenta facilement la scène gauloise dont une image abrégée marrivait.
«Nous sommes à une telle distance de la Terre, me dit Uranie, que la lumière emploie pour arriver de là jusquici tout le temps qui nous sépare de lépoque de Jules César. Nous recevons seulement maintenant, ici, les rayons lumineux partis de la Terre à cette époque. Pourtant la lumière voyage dans lespace éthéré avec la vitesse de trois cent mille kilomètres par seconde. Cest rapide, très rapide, mais ce nest pas instantané. Les astronomes de la Terre qui observent maintenant les étoiles situées à la distance où nous sommes, ne les voient pas telles quelles sont actuellement, mais telles quelles étaient au moment où sont partis les rayons lumineux qui arrivent seulement aujourdhui, cest-à-dire telles quelles étaient il y a plus de dix-huit siècles.
«De la Terre, ajouta-t-elle, ni daucun point de lespace, on ne voit jamais les astres tels quils sont, mais tels quils ont été. On est dautant plus en retard sur leur histoire quon en est plus éloigné.
«Vous observez avec les plus grands soins au télescope des étoiles qui nexistent plus. Plusieurs même des étoiles que vous voyez à lœil nu nexistent plus. Plusieurs des nébuleuses dont vous analysez la substance au spectroscope sont devenues des soleils. Plusieurs de vos plus belles étoiles rouges sont actuellement éteintes et mortes: en vous approchant delles vous ne les verriez plus!
«La lumière émanée de tous les soleils qui peuplent limmensité, la lumière réfléchie dans lespace par tous les mondes éclairés par ces soleils, emporte à travers le ciel infini les photographies de tous les siècles, de tous les jours, de tous les instants. En regardant un astre, vous le voyez tel quil était au moment où est partie la photographie que vous en recevez, de même quen entendant une cloche vous recevez le son après quil est parti, et dautant plus longtemps après que vous en êtes plus éloigné.
«Il en résulte que lhistoire de tous les mondes voyage actuellement dans lespace, sans jamais disparaître absolument, et que tous les événements passés sont présents dans le sein de linfini et indestructibles.
«La durée de lunivers sera sans fin. La Terre finira, et ne sera plus un jour quun tombeau. Mais il y aura de nouveaux soleils et de nouvelles terres, de nouveaux printemps et de nouveaux sourires et toujours la vie fleurira dans lunivers sans bornes et sans fin.
«Jai voulu te montrer, fit-elle après un instant de pause, jai voulu te montrer comment le temps est éternel. Tu avais senti linfinité de lespace. Tu avais compris la grandeur de lunivers. Maintenant, ton voyage céleste est accompli. Rapprochons-nous de la Terre et reviens dans ta patrie.
«Pour toi, ajouta-t-elle encore, sache que létude est la seule source de toute valeur intellectuelle; ne sois jamais ni pauvre ni riche; garde-toi de toute ambition comme de toute servitude; sois indépendant; lindépendance est le plus rare des biens, et la première condition du bonheur.»
Uranie parlait de sa douce voix. Mais la commotion produite par tous ces tableaux extraordinaires avait tellement ébranlé mon cerveau que je fus pris soudain dun grand tremblement. Un frisson me parcourut de la tête aux pieds, et cest sans doute ce qui amena mon réveil subit, au milieu dune vive agitation Hélas! ce délicieux voyage céleste était terminé.
Je cherchai Uranie et ne la trouvai plus. Un clair rayon de lune, pénétrant par la fenêtre de ma chambre, venait caresser le bord dun rideau et semblait dessiner vaguement la forme aérienne de mon céleste guide; mais ce nétait quun rayon de lune.