Camille Flammarion - Uranie стр 8.

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Je cherchai Uranie et ne la trouvai plus. Un clair rayon de lune, pénétrant par la fenêtre de ma chambre, venait caresser le bord dun rideau et semblait dessiner vaguement la forme aérienne de mon céleste guide; mais ce nétait quun rayon de lune.

Lorsque je revins le lendemain à lObservatoire, ma première impulsion fut daccourir, sous un prétexte quelconque, dans le cabinet du Directeur et de revoir la Muse charmante qui mavait gratifié dun tel rêve

La pendule avait disparu!

A sa place trônait le buste, en marbre blanc, de lillustre astronome.

Je cherchai en dautres pièces, et, à propos de mille prétextes, jusque dans les appartements, mais elle avait bien disparu.

Pendant des jours, pendant des semaines, je cherchai, sans parvenir à la revoir ni même à savoir ce quelle était devenue.

Javais un ami, un confident, à peu près du même âge que moi, quoique paraissant un peu moins jeune à cause de sa barbe naissante, mais lui aussi fortement épris de lidéal et plus rêveur encore peut-être, le seul dailleurs de tout le personnel de lObservatoire avec lequel je me sois jamais intimement lié. Il partageait mes joies et mes peines. Nous avions les mêmes goûts, les mêmes idées, les mêmes sentiments. Il avait compris et mon adolescente admiration pour une statue, et la personnification dont mon imagination lavait animée, et ma mélancolie davoir ainsi subitement perdu ma chère Uranie au moment même où jy étais le plus attaché. Il avait plus dune fois admiré avec moi les effets de la lumière sur sa céleste physionomie, et souriant de mes extases, comme un grand frère, me taquinant même, un peu vivement parfois, sur ma tendresse pour une idole, allait jusquà mappeler «Camille Pygmalion». Mais, au fond, je voyais bien quil laimait aussi.

Cet ami, qui hélas! devait être emporté quelques années plus tard en pleine fleur de jeunesse, ce bon Georges Spero, éminent esprit et grand cœur, dont le souvenir me restera éternellement cher, était alors secrétaire particulier du Directeur, et son affection si sincère me fut témoignée en cette circonstance par une attention aussi gracieuse quimprévue.

Un jour, en rentrant chez moi, je vis avec une stupéfaction quasi incrédule la fameuse pendule placée sur ma cheminée, là, juste devant moi!..

Cétait bien elle! Mais comment était-elle là? Quel chemin avait-elle pris? Doù venait-elle?

Jappris que lillustre auteur de la découverte de Neptune lavait envoyée à réparer chez lun des principaux horlogers de Paris, que celui-ci avait reçu de Chine une antique pendule astronomique du plus haut intérêt et en avait offert léchange, lequel avait été accepté; et que Georges Spero, chargé de la transaction, avait racheté lœuvre de Pradier pour me loffrir en souvenir des leçons de mathématiques que je lui avais données.

Avec quelle joie je revis mon Uranie! Avec quel bonheur jen rassasiai mes regards! Cette charmante personnification de la Muse du Ciel ne ma jamais quitté depuis. Dans mes heures détude, la belle statue se tenait devant moi, semblant me rappeler le discours de la déesse, mannoncer les destinées de lAstronomie, me diriger dans mes adolescentes aspirations scientifiques. Depuis, des émotions plus passionnées ont pu séduire, captiver, troubler mes sens; mais je noublierai jamais le sentiment idéal que la Muse des étoiles mavait inspiré, ni le voyage céleste dans lequel elle memporta, ni les panoramas inattendus quelle déploya sous mes regards, ni les vérités quelle me révéla sur létendue et la constitution de lunivers, ni le bonheur quelle ma donné en assignant définitivement pour carrière à mon esprit les calmes contemplations de la nature et de la science.

DEUXIÈME PARTIE

Georges Spero

I

LA VIE

Lardente lumière du soir flottait dans latmosphère comme un prodigieux rayonnement dor. Des hauteurs de Passy, la vue sétendait sur limmense cité qui, alors plus que jamais, était non pas une ville, mais un monde. LExposition universelle de 1867 avait réuni en ce Paris impérial toutes les attractions et toutes les séductions du siècle. Les fleurs de la civilisation y brillaient de leurs plus vives couleurs et sy consumaient dans lardeur même de leurs parfums, mourant en pleine fièvre dadolescence. Les souverains de lEurope venaient dy entendre une éclatante fanfare, qui fut la dernière de la monarchie; les sciences, les arts, lindustrie semaient leurs créations nouvelles avec une prodigalité inépuisable. Cétait comme une ivresse générale des êtres et des choses. Des régiments marchaient, musique en tête; des chars rapides sentre-croisaient de toutes parts; des millions dhommes sagitaient dans la poussière des avenues, des quais, des boulevards; mais cette poussière même, dorée par les rayons du soleil couchant, semblait une auréole couronnant la ville splendide. Les hauts édifices, les dômes, les tours, les clochers, silluminaient des reflets de lastre enflammé; on entendait au loin des sons dorchestre mêlés à un murmure confus de voix et de bruits divers, et ce lumineux soir, complétant une éblouissante journée dété, laissait dans lâme un sentiment de contentement, de satisfaction et de bonheur. Il y avait là comme une sorte de résumé symbolique des manifestations de la vitalité dun grand peuple arrivé à lapogée de sa vie et de sa fortune.

Des hauteurs de Passy où nous sommes, de la terrasse dun jardin suspendu comme aux jours de Babylone au-dessus du cours nonchalant du fleuve, deux êtres appuyés à la balustrade de pierre contemplent le bruyant spectacle. Dominant cette surface agitée de la mer humaine, plus heureux dans leur douce solitude que tous les atomes de ce tourbillon, ils nappartiennent pas au monde vulgaire et planent au-dessus de cette agitation, dans latmosphère limpide de leur bonheur. Leurs esprits pensent, leurs cœurs aiment, ou, pour exprimer plus complètement le même fait, leurs âmes vivent.

Dans la juvénile beauté de son dix-huitième printemps, la jeune fille laisse errer son regard rêveur sur lapothéose du soleil couchant, heureuse de vivre, plus heureuse encore daimer. Elle ne songe point à ces millions dêtres humains qui sagitent à ses pieds; elle regarde sans le voir le disque ardent du soleil qui descend derrière les nuées empourprées de lOccident; elle respire lair parfumé des guirlandes de roses du jardin, et ressent dans tout son être cette quiétude de bonheur intime qui chante dans son cœur un ineffable cantique damour. Sa blonde chevelure nimbe son front dune auréole vaporeuse et tombe en touffes opulentes sur sa taille fine et élancée; ses yeux bleus, bordés de longs cils noirs, semblent un reflet de lazur des cieux; ses bras, son cou laissent deviner une chair dune blancheur lactée; ses joues, ses oreilles sont vivement colorées; dans lensemble de sa personne, elle rappelle un peu ces petites marquises des peintres du dix-huitième siècle, qui naissaient à une vie inconnue dont elles ne devaient pas jouir bien longtemps. Elle se tient debout. Son compagnon, qui tout à lheure entourait sa taille de son bras en contemplant avec elle le tableau de Paris, en écoutant avec elle les flots dharmonie répandus dans les airs par la musique de la garde impériale, sest assis à ses côtés. Ses yeux ont oublié Paris et le coucher du soleil, pour ne plus voir que sa gracieuse amie, et, sans sen apercevoir, il la regarde avec une fixité étrange et douce, ladmirant comme sil la voyait pour la première fois, ne pouvant se détacher de ce délicieux profil, lenveloppant de son regard comme dune magnétique caresse.

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