Où est celui qui donne des ailes aux arrivants?
PISTHÉTÆROSLe voici; mais il faut dire pour quel usage.
LE SYKOPHANTEDes ailes, il me faut des ailes: ne m'en demande pas davantage.
PISTHÉTÆROSEst-ce que tu as l'idée de voler droit à Pellènè?
LE SYKOPHANTENon, de par Zeus! Je suis huissier près les îles, sykophante
PISTHÉTÆROSHeureux métier!
LE SYKOPHANTEEt dénicheur de procès. J'ai donc besoin de prendre des ailes pour rôder autour des villes et faire des assignations.
PISTHÉTÆROSAvec des ailes, assigneras-tu plus adroitement?
LE SYKOPHANTENon, de par Zeus! mais c'est afin que les voleurs ne me molestent pas: avec les grues je reviendrai de là-bas, lesté d'un grand nombre de procès.
PISTHÉTÆROSQuoi! c'est donc là ton métier? Dis-moi, jeune comme tu es, tu dénonces les étrangers?
LE SYKOPHANTEQue ferais-je? Je n'ai pas appris à bêcher.
PISTHÉTÆROSMais il y a, de par Zeus! d'autres occupations honnêtes, où un homme de ton âge pourrait gagner sa vie bien plus loyalement qu'à tramer des procès.
LE SYKOPHANTEMon bon, ne me donne pas des conseils, mais des ailes.
PISTHÉTÆROSEn te parlant ainsi, je te donne des ailes.
LE SYKOPHANTEEt comment, avec des paroles, donnes-tu des ailes à un homme?
PISTHÉTÆROSLes paroles donnent des ailes à tout le monde.
LE SYKOPHANTEA tout le monde?
PISTHÉTÆROSN'entends-tu pas, chaque jour, des pères, chez les barbiers, tenir à des jeunes gens ce langage: «C'est au plus haut point que les discours de Diitréphès ont donné à mon fils des ailes pour l'équitation»? Un autre dit que son fils s'est envolé vers la tragédie sur les ailes de l'esprit.
LE SYKOPHANTEAinsi les discours donnent des ailes?
PISTHÉTÆROSC'est ce que je dis. Les discours font prendre l'essor à la pensée; ils enlèvent l'homme: c'est ainsi que moi je veux te donner des ailes par de sages discours et te tourner vers un métier honorable.
LE SYKOPHANTEMais je ne veux pas!
PISTHÉTÆROSQue feras-tu donc?
LE SYKOPHANTEJe ne ferai pas rougir ma race: la vie de sykophante m'est échue de père en fils. Donne-moi donc des ailes rapides et légères, d'épervier ou de crécerelle, afin que, après avoir assigné les étrangers, je revienne ici soutenir l'accusation et revole vite là-bas.
PISTHÉTÆROSJ'entends. Tu dis: afin que l'étranger soit condamné ici avant d'être arrivé?
LE SYKOPHANTETu entends parfaitement.
PISTHÉTÆROSEt ensuite, pendant qu'il cingle vers nos côtes, toi, tu revoles là-bas pour faire main-basse sur son bien?
LE SYKOPHANTETu as tout compris. C'est absolument comme une toupie.
PISTHÉTÆROSJ'entends! Comme une toupie. Eh bien, j'ai là, de par Zeus! ces très bonnes ailes de Kerkyra.
LE SYKOPHANTEMalheur à moi! Tu tiens un fouet.
PISTHÉTÆROSNon, ce sont des ailes, pour te faire aller aujourd'hui comme une toupie.
LE SYKOPHANTEMalheureux que je suis!
PISTHÉTÆROSEst-ce que tu ne vas pas t'envoler d'ici? Déguerpis, misérable, digne de mille morts: tu sentiras bientôt l'amertume de ta fourberie qui donne des entorses à la justice. Pour nous, ramassons nos ailes et partons.
LE CHOEURBeaucoup d'objets nouveaux et merveilleux se sont produits devant notre vol, et nous avons vu des choses étonnantes. Il y a un arbre extraordinaire privé de coeur: il se nomme Kléonymos; il ne sert à rien: lâche, du reste, et de haute taille. Au printemps, il bourgeonne à point et fleurit en calomnies; l'hiver, pour feuilles, il sème des boucliers.
Il y a au loin, dans la région ténébreuse, un pays dépourvu de lampes, où les hommes dînent et vivent avec les héros, excepté le soir: car, alors, il ne ferait pas bon de les rencontrer. Si quelque mortel rencontrait de nuit le héros Orestès, il serait mis nu par lui, et roué de coups des pieds à la tête.
PROMÈTHEUSInfortuné que je suis! Prenons garde que Zeus ne me voie. Où est Pisthétæros?
PISTHÉTÆROSOh! oh! Qu'est-ce que cela? Un homme voilé?
PROMÈTHEUSVois-tu quelque dieu derrière moi?
PISTHÉTÆROSNon, par Zeus! je ne vois rien. Mais qui es-tu?
PROMÈTHEUSQuelle heure du jour est-il?
PISTHÉTÆROSQuelle heure? Un peu plus de midi. Mais qui es-tu?
PROMÈTHEUSEst-il l'heure de la rentrée des boeufs, ou plus tard?
PISTHÉTÆROSAh! comme je t'ai en horreur!
PROMÈTHEUSQue fait donc Zeus? Dissipe-t-il ou assemble-t-il les nuages?
PISTHÉTÆROSTu vas gémir en grand!
PROMÈTHEUSAlors je me découvre.
PISTHÉTÆROSMon cher Promètheus.
PROMÈTHEUSRetiens-toi, retiens-toi; ne crie pas.
PISTHÉTÆROSQu'y a-t-il?
PROMÈTHEUSSilence, ne prononce pas mon nom: tu me perds, si Zeus me voit ici. Mais si tu veux que je te dise comment vont toutes les affaires là-haut, prends cette ombrelle et tiens-la au-dessus de ma tête, afin que les dieux ne me voient pas.
PISTHÉTÆROSIou! iou! tu as là une idée excellente et digne de Promètheus. Mets-toi vite dessous et parle hardiment.
PROMÈTHEUSÉcoute, alors.
PISTHÉTÆROSJe t'écoute, parle.
PROMÈTHEUSC'en est fait de Zeus.
PISTHÉTÆROSDepuis quand?
PROMÈTHEUSDepuis que vous avez bâti dans l'air. Aucun homme ne sacrifie plus aux dieux, et l'odeur des cuisses n'est plus montée jusqu'à nous depuis ce temps-là. Mais nous jeûnons comme aux Thesmophoria, faute de sacrifices. Les dieux barbares affamés, et hurlant comme des Illyriens, menacent Zeus de faire une descente contre lui, s'il ne fait pas rouvrir les marchés, où l'on mette en vente des quartiers de victimes.
PISTHÉTÆROSY a-t-il donc d'autres dieux que vous, des dieux barbares qui habitent au-dessus de vos têtes?
PROMÈTHEUSNe sont-ils donc point barbares, ceux parmi lesquels Exèkestidès a trouvé un patron?
PISTHÉTÆROSEt quel est le nom de ces dieux barbares?
PROMÈTHEUSLeur nom? Les Triballes.
PISTHÉTÆROSJ'entends. De là vient l'expression: «Sois étripé!»
PROMÈTHEUSAbsolument. Mais je vais te dire une chose certaine. Il va venir ici, pour négocier, des envoyés de Zeus et des Triballes de là-haut. Vous ne consentez à rien si Zeus ne restitue pas le sceptre aux oiseaux et s'il ne te donne pour femme Basiléia.
PISTHÉTÆROSQui est-ce, Basiléia?
PROMÈTHEUSUne très jolie fille qui administre la foudre de Zeus et tout le reste, prudence, équité, sagesse, marine, calomnie, trésorier, triobole.
PISTHÉTÆROSElle administre tout cela pour lui?