Il faut que ce soit mince pour avoir été tant retourné.
LYSISTRATASi mince que des femmes dépend le salut de la Hellas tout entière.
KALONIKÈDes femmes: il dépend donc de peu de chose.
LYSISTRATALes affaires de la cité sont en notre pouvoir. Avant peu il n'y aura plus de Péloponésiens.
KALONIKÈVoilà qui est au mieux, de par Zeus!
LYSISTRATALes Boeotiens sont tous exterminés.
KALONIKÈNon, pas tous: fais grâce aux anguilles!
LYSISTRATAPour Athènes, je ne dirai rien de semblable. Imagine-moi autre chose. S'il y a union entre les femmes d'ici, celles de la Boeotia et celles du Péloponèsos, nous sauverons la Hellas.
KALONIKÈMais comment, nous autres les femmes, exécuterons-nous ce dessein sacré et glorieux, nous qui demeurons sédentaires, couronnées de fleurs, vêtues de robes jaunes, parées de kimbériques droites et de péribaris?
LYSISTRATAC'est précisément là ce qui nous sauvera, je l'espère, les robes jaunes, les parfums, les péribaris, l'orcanette et les tuniques diaphanes.
KALONIKÈComment cela?
LYSISTRATAPas un homme maintenant ne s'armera de la lance contre les autres
KALONIKÈAlors, par les deux Dieux, je me fais teindre une robe en jaune.
LYSISTRATAEt ne prendra un bouclier
KALONIKÈJ'endosserai une kimbérique.
LYSISTRATANi une épée.
KALONIKÈJ'achèterai des péribaris.
LYSISTRATAEh bien, les femmes ne devraient-elles pas être arrivées?
KALONIKÈSans doute, de par Zeus! elles devraient s'être abattues ici depuis longtemps.
LYSISTRATAHélas! ma pauvre amie, tu vas voir que, en vraies Athéniennes, elles feront toujours tout plus tard qu'il ne faut. Je ne vois venir aucune femme de la Paralia ou de Salamis.
KALONIKÈJe sais pourtant que, dès la pointe du jour, elles se sont embarquées sur des bateaux légers.
LYSISTRATAEt celles que je prévoyais et que je supposais devoir arriver ici les premières, les Akharniennes, elles ne viennent pas.
KALONIKÈCependant la femme de Théagénès, pour savoir si elle devait venir, a consulté l'oracle d'Hékatè. Mais en voici qui nous arrivent, et d'autres encore, et puis encore d'autres. Iou! Iou! D'où sont-elles?
LYSISTRATAD'Anagyros.
KALONIKÈDe par Zeus! on dirait, ce me semble, un soulèvement d'Anagyros.
MYRRHINASommes-nous en retard, Lysistrata? Que dis-tu? Tu gardes le silence?
LYSISTRATAJe ne t'approuve pas, Myrrhina, d'arriver si tard pour une affaire d'importance.
MYRRHINAC'est que j'ai eu de la peine, dans l'obscurité, à trouver ma ceinture. Mais si la chose est pressante, parle à celles qui sont présentes.
LYSISTRATANon, de par Zeus! attendons un peu que les Boeotiennes et les Péloponésiennes soient arrivées.
MYRRHINATu as tout à fait raison, et voici déjà Lampito qui s'avance. O chère Lakédæmonienne, salut, Lampito. Quelle beauté, ma très douce, brille en toi! Quel teint frais! Quelle sève dans toute ta personne! Tu étoufferais un taureau!
LAMPITOJe le crois bien, par les Gémeaux! Je fais de la gymnastique et je me donne des coups de talon dans le derrière.
LYSISTRATAQue tu as donc une belle gorge!
LAMPITOVous me tâtez comme une victime.
LYSISTRATAEt d'où est cette autre jeune fille?
LAMPITOC'est, par les Gémeaux! une noble Boeotienne, qui vous arrive.
LYSISTRATADe par Zeus! la Boeotienne a un joli jardin.
KALONIKÈEh oui, de par Zeus! très soigné et gentiment épilé.
LYSISTRATAEt quelle est cette autre enfant?
LAMPITOUne fille de bonne maison, par les Gémeaux! une Korinthienne.
LYSISTRATADe bonne maison, de par Zeus! comme toutes celles qui nous viennent de là.
LAMPITOMais enfin, qui est-ce qui a convoqué cette assemblée de femmes?
LYSISTRATAC'est moi.
LAMPITODis-moi donc ce que tu veux de nous.
MYRRHINAOui, de par Zeus! ma chère amie.
KALONIKÈDis-nous l'affaire que tu regardes comme si importante.
LYSISTRATAJe vais vous la dire; mais, auparavant, laissez-moi vous faire une petite question.
MYRRHINAComme tu voudras.
LYSISTRATANe regrettez-vous pas que les pères de vos enfants soient absents pour la guerre? Car je sais que nous avons toutes un mari là-bas.
MYRRHINAMon mari, voyez le malheur, est depuis cinq mois en Thrakè à garder Eukratès.
KALONIKÈLe mien, depuis plus de sept mois, est à Pylos.
LAMPITOLe mien revient à peine de l'armée, qu'il reprend son bouclier, sa route, son vol, et part.
LYSISTRATAEt il ne nous est pas resté le moindre tison de galant! Depuis que les Milèsiens nous ont trahis, je n'ai plus vu d'engin de huit doigts, dont le cuir nous vînt en aide. Voulez-vous donc, si je trouve un moyen, vous unir à moi pour mettre fin à la guerre?
MYRRHINAOui, par les deux Déesses! dussé-je mettre cette robe en gage et en boire l'argent aujourd'hui même.
KALONIKÈMoi, je serais prête à me partager en deux comme une sole, et à donner la moitié de moi-même.
LAMPITOEt moi, je gravirais jusqu'à la pointe du Taygéton, si je devais y voir la paix.
LYSISTRATAJe vais parler, je ne dois plus vous en faire mystère. Femmes, si nous voulons contraindre nos maris à faire la paix, il faut nous abstenir
KALONIKÈDe quoi? Dis.
LYSISTRATALe ferez-vous?
KALONIKÈNous le ferons, dussions-nous mourir.
LYSISTRATADonc, il faut nous abstenir de la cohabitation Pourquoi détournez-vous les yeux? Où allez-vous? Eh bien! Vous faites la moue, vous secouez la tête! Pourquoi changer de couleur? Pourquoi cette larme qui coule? Le ferez-vous ou ne le ferez-vous pas? Vous hésitez?
MYRRHINANon, je ne le ferai pas! Que la guerre continue!
KALONIKÈNi moi non plus, de par Zeus! Que la guerre continue!
LYSISTRATAC'est toi qui dis cela, ma sole? Tout à l'heure tu disais que tu étais prête à donner la moitié de toi-même!
KALONIKÈOui, oui, tout ce que tu voudras. Mais, s'il le faut, je veux passer à travers le feu. Avant tout, la cohabitation! Pas possible, ma chère Lysistrata.
LYSISTRATAEt toi?
MYRRHINAMoi aussi, j'aime mieux passer à travers le feu.
LYSISTRATAO lubricité commune à tout mon sexe! Il n'est pas étonnant qu'on fasse sur nous des tragédies. Nous ne sommes que flots de Poséidôn et barques où l'on monte. Mais toi, ma chère Lakédæmonienne, si tu restes seule avec moi, nous pouvons encore sauver l'affaire; décidons ensemble.