Qu'ils me parlent, qu'ils me parlent, fais-les venir. Car d'entendre d'eux les choses que tu me dis, j'en ai des ailes au dos.
LA HUPPEAllons, toi et toi, reprenez cette armure, et suspendez-la, avec espoir de la bonne chance, dans l'âtre, près de la crémaillère. Quant à toi, expose à ceux-ci les projets en vue desquels je les ai réunis, parle.
PISTHÉTÆROSNon, par Apollôn! je n'en ferai rien, à moins qu'ils ne conviennent avec moi d'une convention pareille à celle que fit avec sa femme ce singe de fabricant d'épées, de ne point me mordre, de ne point m'arracher les testicules, de ne pas me fouiller
LE CHOEURLe Mais non, pas du tout.
PISTHÉTÆROSNon, je veux dire les deux yeux.
LE CHOEURJe te le promets.
PISTHÉTÆROSJure-le-moi à l'instant.
LE CHOEURJe le jure, à condition que j'aurai les suffrages de tous les juges et de tous les spectateurs.
PISTHÉTÆROSConvenu.
LE CHOEUREt, si je manque de parole, de ne l'emporter que d'une voix.
LE HÉRAUTÉcoutez, peuples! Que les hoplites reprennent leurs armes sur-le-champ, qu'ils retournent chez eux et qu'ils voient ce que nous aurons inscrit sur les tableaux.
LE CHOEURRusé toujours et partout, tel est le caractère essentiel de l'homme. Parle-moi, cependant. Peut-être as-tu par devers toi quelque avis utile que tu négliges de me dire, ou quelque moyen d'étendre ma puissance, qui a échappé à mon manque de pénétration. Toi, dis-moi ce que tu veux faire dans notre intérêt mutuel; car si tu réussis à me procurer quelque avantage, le profit en sera commun. Et, d'abord, pour quel motif es-tu venu? quelle a été ton intention? Dis-le hardiment; nous ne romprons point la trêve avant de t'avoir entendu.
PISTHÉTÆROSDe par Zeus! j'en brûle d'envie: j'ai un discours en pâte, que rien ne m'empêche de pétrir. Esclave, apporte une couronne. De l'eau à verser sur les mains! Qu'on me l'apporte vite.
EVELPIDÈSEst-ce que nous allons nous mettre à table, ou quelque chose comme cela?
PISTHÉTÆROSNon, de par Zeus! mais j'essaie de dire quelque chose de grand, de succulent, qui remue l'âme de ceux qui sont là: tant je souffre pour vous qui, jadis, ayant été rois
LA HUPPENous, rois? Et de qui?
PISTHÉTÆROSVous! De tout ce qui existe; de moi, d'abord, de celui-ci et de Zeus lui-même; car vous êtes plus anciens et plus vieux que Kronos, que les Titans et que la Terre.
LA HUPPEQue la Terre?
PISTHÉTÆROSOui, par Apollôn!
LA HUPPEDe par Zeus! je ne m'en doutais pas.
PISTHÉTÆROSC'est que tu es un ignorant, un insouciant, et que tu n'as jamais feuilleté Æsopos, qui dit que l'alouette naquit avant tous les autres oiseaux, avant la Terre même; ensuite que son père mourut de maladie; que la Terre n'existait pas encore; qu'il resta cinq jours sans sépulture; et qu'elle, dans cet embarras, ensevelit son père dans sa tête.
EVELPIDÈSAinsi, le père de l'alouette est maintenant enseveli à Képhalè?
PISTHÉTÆROSEh bien! si les oiseaux ont précédé la Terre, précédé les dieux, leur ancienneté ne légitime-t-elle pas leur royauté?
EVELPIDÈSOui, par Apollôn! Il faut donc absolument que tu aiguises ton bec en vue de l'avenir.
LA HUPPEZeus ne se pressera pas de céder le sceptre au pivert.
PISTHÉTÆROSQue ce ne soient pas les dieux, mais les oiseaux qui, jadis, aient régné sur les hommes, on en a beaucoup de preuves. Et tout d'abord je vous citerai le coq qui, le premier, a été chef et souverain de tous les Perses, avant Daréios et Mégabyzos: aussi l'appelle-t-on l'oiseau persan, à cause de cette antique souveraineté.
EVELPIDÈSC'est donc pour cela qu'aujourd'hui même, il marche comme le Grand Roi, la tête couronnée, seul entre les oiseaux, de la tiare droite.
PISTHÉTÆROSIl avait alors tant de vigueur, de grandeur et de puissance, qu'aujourd'hui encore, par un effet de son ancienne force, dès qu'il fait entendre son chant matinal, tous courent à l'ouvrage, forgerons, potiers, corroyeurs, cordonniers, baigneurs, boulangers, armuriers, tourneurs de lyres et de boucliers: ils se chaussent et vont au travail quand la nuit dure encore.
EVELPIDÈSTu peux m'interroger là-dessus. Il est cause que j'ai eu le malheur de perdre une læna en laine de Phrygia. Invité à un banquet qui se donnait à la ville pour le dixième jour après la naissance d'un enfant, je bois et je m'endors. Alors, avant que les autres se soient assis à table, le coq chante, et moi, croyant qu'il est jour, je sors pour me rendre à Alimos; bientôt, à peine me suis-je glissé hors des murs, qu'un voleur d'habits me frappe d'un coup de bâton dans le dos; je tombe, je veux crier, mais il m'avait subtilisé mon manteau.
PISTHÉTÆROSLe milan était alors chef et roi des Hellènes.
LA HUPPEDes Hellènes?
PISTHÉTÆROSEt c'est lui qui, le premier, leur apprit, lorsqu'il était roi, à s'incliner devant les milans.
EVELPIDÈSPar Dionysos! un jour que je m'étais incliné de la sorte en voyant un milan, je m'étendis, la bouche ouverte, et j'avalai une obole! Voilà comment je rapportai à la maison mon sac vide.
PISTHÉTÆROSA leur tour, l'Ægyptos et la Phoenikè tout entière ont eu pour roi le coucou, et quand le coucou criait: «Coucou!» alors tous les Phoenikiens moissonnaient le blé et l'orge dans les champs.
EVELPIDÈSEt de là sans doute le proverbe authentique: «Coucou! Les circoncis aux champs!»
PISTHÉTÆROSTelle était la force de leur pouvoir, que, dans toutes les villes des Hellènes où il y avait un roi, Agamemnôn ou Ménélaos, un oiseau siégeait sur les sceptres, et partageait les présents offerts au prince.
EVELPIDÈSEh bien! j'ignorais cela, moi: aussi l'étonnement me prenait quand un Priamos paraissait, dans les tragédies, portant un oiseau qui se dressait pour observer si Lysikratès recevrait quelque présent.
PISTHÉTÆROSMais voici le plus fort de tout: Zeus, qui règne aujourd'hui, est représenté ayant un aigle sur la tête, en sa qualité de roi; sa fille porte une chouette, et Apollôn, comme serviteur, un épervier.
EVELPIDÈSPar Dèmètèr! tu dis vrai. Pourquoi ont-ils ces attributs?
PISTHÉTÆROSAfin que, dans les sacrifices, lorsqu'on dépose entre leurs mains, suivant le rit prescrit, les entrailles des victimes, les oiseaux en aient leur part, même avant Zeus. Pas un homme alors ne jurait par un dieu, mais tous juraient par les oiseaux. Lampôn, aujourd'hui même encore, jure par l'oie quand il fait quelque friponnerie, tellement tout le monde alors vous tenait pour grands et pour saints, tandis qu'on vous traite maintenant d'esclaves, de niais, de Manès; on vous jette des pierres comme à des fous, et, jusque dans les lieux sacrés, il n'y a pas un oiseleur qui ne vous tende lacets, pièges, gluaux, barreaux, réseaux, filets, rets. Une fois pris, ils vous vendent en masse: les acheteurs vous tâtent. Encore, s'ils se contentaient d'agir de la sorte, en vous faisant rôtir et servir, mais ils râpent du fromage, qu'ils mêlent à de l'huile, du silphion et du vinaigre, ils écrasent le tout où ils versent un assaisonnement doux et gras, puis ils vous arrosent de cette sauce bouillante ainsi que des charognes.