Мопассан Ги Де - Boule de Suif / Пышка. Книга для чтения на французском языке стр 2.

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Cependant, à deux ou trois lieues sous la ville, en suivant le cours de la rivière, vers Croisset, Dieppedalle ou Biessart, les mariniers et les pêcheurs ramenaient souvent du fond de leau quelque cadavre dAllemand gonflé dans son uniforme, tué dun coup de couteau ou de savate, la tête écrasée par une pierre, ou jeté à leau dune poussée du haut dun pont. Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire.

Car la haine de lÉtranger arme toujours quelques Intrépides prêts à mourir pour une Idée.

Enfin, comme les envahisseurs, bien quassujétissant la ville à leur inflexible discipline, navaient accompli aucune des horreurs que la renommée leur faisait commettre tout le long de leur marche triomphale, on senhardit, et le besoin du négoce travailla de nouveau le cœur des commerçants du pays. Quelques-uns avaient de gros intérêts engagés au Havre que larmée française occupait, et ils voulurent tenter de gagner ce port en allant par terre à Dieppe où ils sembarqueraient.

On employa linfluence des ofifciers allemands dont on avait fait la connaissance, et une autorisation de départ fut obtenue du général en chef.

Donc, une grande diligence à quatre chevaux ayant été retenue pour ce voyage, et dix personnes sétant fait inscrire chez le voiturier, on résolut de partir un mardi matin, avant le jour, pour éviter tout rassemblement.

Depuis quelque temps déjà la gelée avait durci la terre, et le lundi, vers trois heures, de gros nuages noirs venant du Nord apportèrent la neige qui tomba sans interruption pendant toute la soirée et toute la nuit.

À quatre heures et demie du matin, les voyageurs se réunirent dans la cour de lHôtel de Normandie, où lon devait monter en voiture.

Ils étaient encore pleins de sommeil, et grelottaient de froid sous leurs couvertures. On se voyait mal dans lobscurité ; et lentassement des lourds vêtements dhiver faisait ressembler tous ces corps à des curés obèses avec leurs longues soutanes. Mais deux hommes se reconnurent, un troisième les aborda, ils causèrent : « Jemmène ma femme, » dit lun. « Jen fais autant. » « Et moi aussi. » Le premier ajouta : « Nous ne reviendrons pas à Rouen, et si les Prussiens approchent du Havre nous gagnerons lAngleterre. » Tous avaient les mêmes projets, étant de complexion semblable.

Cependant on nattelait pas la voiture. Une petite lanterne, que portait un valet décurie, sortait de temps à autre dune porte obscure pour disparaître immédiatement dans une autre. Des pieds de chevaux frappaient la terre, amortis par le fumier des litières, et une voix dhomme parlant aux bêtes et jurant sentendait au fond du bâtiment. Un léger murmure de grelots annonça quon remuait les harnais ; ce murmure devint bientôt un frémissement clair et continu, rythmé par le mouvement de lanimal, sarrêtant parfois, puis reprenant dans une brusque secousse quaccompagnait le bruit mat dun sabot ferré battant le sol.

La porte subitement se ferma. Tout bruit cessa. Les bourgeois gelés sétaient tus ; ils demeuraient immobiles et roidis.

Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre ; il effaçait les formes, poudrait les choses dune mousse de glace ; et lon nentendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous lhiver, que ce froissement vague, innommable et flottant, de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, entremêlement datomes légers qui semblaient emplir lespace, couvrir le monde.

Lhomme reparut, avec sa lanterne, tirant au bout dune corde un cheval triste qui ne venait pas volontiers. Il le plaça contre le timon, attacha les traits, tourna longtemps autour pour assurer les harnais, car il ne pouvait se servir que dune main, lautre portant sa lumière. Comme il allait chercher la seconde bête, il remarqua tous ces voyageurs immobiles, déjà blancs de neige, et leur dit : « Pourquoi ne montez-vous pas dans la voiture, vous serez à labri, au moins. »

Ils ny avaient pas songé, sans doute, et ils se précipitèrent. Les trois hommes installèrent leurs femmes dans le fond, montèrent ensuite ; puis les autres formes indécises et voilées prirent à leur tour les dernières places sans échanger une parole.

Le plancher était couvert de paille où les pieds senfoncèrent. Les dames du fond, ayant apporté des petites chaufferettes en cuivre avec un charbon chimique, allumèrent ces appareils, et, pendant quelque temps, à voix basse, elles en énumérèrent les avantages, se répétant des choses quelles savaient déjà depuis longtemps.

Enfin, la diligence étant attelée, avec six chevaux au lieu de quatre à cause du tirage plus pénible, une voix du dehors demanda : « Tout le monde estil monté ? » Une voix du dedans répondit : « Oui. » On partit.

La voiture avançait lentement, lentement, à tout petits pas. Les roues senfonçaient dans la neige ; le coffre entier geignait avec des craquements sourds ; les bêtes glissaient, souflaient, fumaient ; et le fouet gigantesque du cocher claquait sans repos, voltigeait de tous les côtés, se nouant et se déroulant comme un serpent mince, et cinglant brusquement quelque croupe rebondie qui se tendait alors sous un effort plus violent.

Mais le jour imperceptiblement grandissait. Ces flocons légers quun voyageur, Rouennais pur sang, avait comparés à une pluie de coton, ne tombaient plus. Une lueur sale filtrait à travers de gros nuages obscurs et lourds qui rendaient plus éclatante la blancheur de la campagne où apparaissaient tantôt une ligne de grands arbres vêtus de givre, tantôt une chaumière avec un capuchon de neige.

Dans la voiture, on se regardait curieusement, à la triste clarté de cette aurore.

Tout au fond, aux meilleures places, sommeillaient, en face lun de lautre, M. et Mme Loiseau, des marchands de vins en gros[6] de la rue Grand-Pont.

Ancien commis dun patron ruiné dans les affaires, Loiseau avait acheté le fonds[7] et fait fortune. Il vendait à très bon marché[8] de très mauvais vin aux petits débitants des campagnes et passait parmi ses connaissances et ses amis pour[9] un fripon madré, un vrai Normand plein de ruses et de jovialité.

Sa réputation de filou était si bien établie, quun soir, à la préfecture, M. Tournel, auteur de fables et de chansons, esprit mordant et fin, une gloire locale[10], ayant proposé aux dames quil voyait un peu somnolentes de faire une partie de « Loiseau vole », le mot lui-même vola à travers les salons du préfet, puis, gagnant ceux de la ville, avait fait rire pendant un mois toutes les mâchoires de la province.

Loiseau était en outre célèbre par ses farces de toute nature, ses plaisanteries bonnes ou mauvaises ; et personne ne pouvait parler de lui sans ajouter immédiatement : « Il est impayable, ce Loiseau. »

De taille exiguë, il présentait un ventre en ballon surmonté dune face rougeaude entre deux favoris grisonnants.

Sa femme, grande, forte, résolue, avec la voix haute et la décision rapide, était lordre et larithmétique de la maison de commerce, quil animait par son activité joyeuse.

À côté deux se tenait, plus digne, appartenant à une caste supérieure, M. Carré-Lamadon, homme considérable, posé dans les cotons, propriétaire de trois filatures, officier de la Légion dhonneur et membre du Conseil général. Il était resté, tout le temps de lEmpire, chef de lopposition bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement à la cause quil combattait avec des armes courtoises, selon sa propre expression. Mme Carré-Lamadon, beaucoup plus jeune que son mari, demeurait la consolation des ofifciers de bonne famille envoyés à Rouen en garnison.

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