Scrappy aboyait sur la pénombre, s'agitant au bout de sa laisse pour essayer de chasser les ombres qui attiraient son attention. La petite fille laissa échapper un hoquet de surprise quand Scrappy se débarrassa soudain de sa laisse et s'échappa à toute allure. Elle se releva sur les marches métalliques lorsque le chiot se faufila par une petite ouverture au bas de la clôture qui séparait le terrain du camping de la réserve naturelle.
« Scrappy, non ! » s'écria Tabby avant de s'élancer à la suite du chien.
Ses parents comptaient sur elle pour ne pas le perdre. S'arrêtant devant la clôture, elle inspira un grand coup en plongeant son regard dans les ombres jetées par les arbres.
« Je ne suis pas une trouillarde », lança-t-elle tout haut d'une voix déterminée, puis elle se mordit la lèvre inférieure et se laissa tomber à genoux, pour examiner le passage.
Avec quelques égratignures, elle se fraya un passage à travers ce même trou et s'enfonça dans les bois, en entendant le son d'un jappement éloigné.
« Tu vas m'apporter des ennuis », murmura-t-elle avec mauvaise humeur, avant de claquer de la langue, sachant que le chiot accourait souvent à ce bruit.
« Tabby, où es-tu ? »
Derrière elle, Tabatha entendit sa mère l'appeler mais elle était bien plus préoccupée par l'idée de ramener son chien au camping. Scrappy était son chien et elle devait en prendre soin. Alors, au lieu de répondre à l'appel de sa mère ou d'appeler le chien, elle garda son calme et s'éloigna dans la direction du bruit que faisaient les aboiements aigus de Scrappy.
Tabatha ne tarda pas à s'arrêter une minute le temps de reprendre son souffle. Elle s'adossa à un arbre et posa les mains sur ses genoux crasseux, respirant et écoutant les bruits de la forêt. Elle avait toujours voulu rester comme ça, au milieu des bois à simplement écouter comme le faisaient les Indiens dans les films à la télé.
Les nuages de pluie qui s'étaient éclipsés un instant revinrent à l'assaut du ciel et le clair de lune éclatant disparut subitement. Elle écarquilla des yeux effrayés quand elle comprit que les lumières du camping n'étaient plus dans son champ de vision.
Risquant un pas en avant, elle jeta un regard farouche autour d'elle mais tout n'était plus que pénombre, elle distinguait à peine les silhouettes des arbres, plongés dans une obscurité encore plus prononcée. Elle poussa un gémissement en entendant quelque chose gronder loin derrière elle. Décidant qu'elle n'aimait pas cette direction-là , elle s'enfuit sans regarder une seule fois en arrière.
Après ce qui lui sembla être une éternité, elle entendit Scrappy aboyer à nouveau et fila dans cette direction en espérant que la créature qui grognait, quelle que fût, ne s'était pas mise en tête de lui donner la chasse. Elle entendit un autre grognement, qui cette fois lui sembla provenir de quelque part devant elle.
Enfonçant ses talons dans le sol, elle essaya de faire halte mais la terre était recouverte d'un tapis de feuilles et de boue à cause de la pluie. Au lieu de s'arrêter, elle glissa encore plus loin sur le côté avant d'être entraînée le long d'une pente.
Elle fut tout étourdie lorsque son corps heurta un arbre couché faisant obstacle à sa glissade. Ce qu'elle remarqua en premier lieu après avoir repris son souffle fut que les aboiements de Scrappy avaient cessé. Elle entendit encore ce fameux grondement et descendait la colline quand un léger gémissement lui arriva aux oreilles. En s'appuyant sur ses genoux, elle regarda par-dessus le tronc d'arbre et aperçut une petite clairière éclairée par la lumière de la lune.
En son centre, Scrappy pleurnichait comme s'il venait d'être malmené par le chien des voisins en bas de la rue où Tabatha et sa famille habitaient. Le chiot était aplati au sol et rampait à reculons. La jeune fille écarquilla ses yeux bleus lorsqu'elle vit pourquoi il se déplaçait ainsi. Deux animaux s'avançaient lentement l'un vers l'autre dans cette clairière, et Scrappy était au beau milieu de leur trajectoire.
« Imbécile», siffla Tabby entre ses dents.
Elle reconnut les animaux d'après les photos que son père lui avait montré avant leur voyage. L'un d'eux était un couguar et l'autre, qu'elle reconnut après en avoir vu à la télévision⦠un jaguar. Elle aimait regarder les documentaires sur les animaux et n'était pas du genre sensible comme sa mère quand elle y voyait les animaux s'attaquer. Mais là c'était différent⦠c'était réel et quelque peu effrayant.
Il y avait des félins qui pouvaient vous manger, et les plus gros aussi. Les gracieux animaux se tournèrent avec des grognements profonds et leurs yeux luisants comme des médaillons dorés. Ce bruit sinistre poussé par la brise arriva jusqu'à Tabatha tandis qu'elle continuait de les observer dans une stupeur nerveuse.
« Allez Scrappy, chuchota-t-elle, priant pour que les gros félins ne l'entendent pas. Sors-toi de là avant que l'un d'entre eux ne t'écrabouille. » Elle allait dire « ne te mange » mais elle ne voulait pas effrayer le malheureux chiot plus qu'il ne l'était déjà .
Les fauves se mirent brusquement à rugir, poussant Tabatha à se couvrir les oreilles face à ces cris puissants et terrifiants. Ils traversèrent la clairière à grandes foulées, et Scrappy rentra la queue entre ses pattes en hurlant de terreur.
En voyant le chiot traumatisé, Tabatha bondit par-dessus l'arbre et accourut vers lui à toutes jambes. Elle était plus proche du chiot que ne l'étaient les fauves et fondit sur lui, protégeant rapidement son petit corps du sien, à l'instant même où les deux bêtes s'élançaient dans les airs pour se heurter juste au-dessus d'elle.
« S'il-vous-plaît, ne faites pas de mal à mon chien !» s'écria-t-elle.
Elle poussa un autre cri lorsque des mâchoires tranchantes raclèrent son bras et qu'elle en sentit d'autres lui griffer le dos. Les fauves atterrirent au sol derrière elle, dans un énorme bruit sourd, grondants et rugissants. Elle se souvint alors qu'elle était recroquevillée au-dessus de Scrappy, toujours tremblant et gémissant, n'osant regarder les fauves qui se battaient à quelques pas à peine derrière elle.
Tabatha redoutait de faire le moindre mouvement et continuait de protéger son chien de toutes ses forces. Les yeux fermés, elle murmura à Scrappy l'ordre de s'enfuir pour chercher de l'aide, au cas où l'un des félins l'attraperait elle aussi. Un liquide chaud lui éclaboussa le dos mais elle resta immobile. Finalement, l'affrontement entre les fauves cessa et elle hasarda un coup dâÅil par-dessus son épaule.
Elle se mit à trembler et à pleurer en découvrant derrière elle deux hommes qui gisaient dans une mare de sang. Tabatha se leva doucement avec Scrappy dans les bras et commença à reculer. Où étaient donc passés le couguar et le jaguar ? Avaient-ils attaqué ces deux hommes avant de s'enfuir ? Pourquoi ces deux derniers étaient-ils nus ?
Nathaniel ouvrit brusquement les yeux et lui montra des crocs pointus.
Tabatha trébucha en reculant et manqua de s'effondrer avant de retrouver un pied ferme. Scrappy poussa un autre cri perçant quand le grognement de l'homme imita celui du couguar, puis s'échappa des bras de Tabby. Il disparut dans la forêt en glapissant de terreur.