Луи Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке стр 2.

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« Cest vrai, tas raison en somme, que jai convenu, conciliant, mais enfin on est tous assis sur une grande galère, on rame tous à tour de bras, tu peux pas venir me dire le contraire!.. Assis sur des clous même à tirer tout nous autres! Et quest-ce quon en a? Rien! Des coups de trique seulement, des misères, des bobards et puis des vacheries encore. On travaille! quils disent. Cest ça encore quest plus infect que tout le reste, leur travail. On est en bas dans les cales à souffler de la gueule, puants, suintants des rouspignolles, et puis voilà! En haut sur le pont, au frais, il y a les maîtres et qui sen font pas, avec des belles femmes roses et gonflées de parfums sur les genoux. On nous fait monter sur le pont. Alors, ils mettent leurs chapeaux haut de forme et puis ils nous en mettent un bon coup de la gueule comme ça: Bandes de charognes, cest la guerre! quils font. On va les aborder, les saligauds qui sont sur la patrie n° 2 et on va leur faire sauter la caisse! Allez! Allez! Y a de tout ce quil faut à bord! Tous en chœur! Gueulez voir dabord un bon coup et que ça tremble: Vive la Patrie n° I! Quon vous entende de loin! Celui qui gueulera le plus fort, il aura la médaille et la dragée du bon Jésus! Nom de Dieu! Et puis ceux qui ne voudront pas crever sur mer, ils pourront toujours aller crever sur terre où cest fait bien plus vite encore quici!

 Cest tout à fait comme ça! » que mapprouva Arthur, décidément devenu facile à convaincre.

Mais voilà-t-y pas que juste devant le café où nous étions attablés un régiment se met à passer, et avec le colonel par-devant sur son cheval, et même quil avait lair bien gentil et richement gaillard, le colonel! Moi, je ne fis quun bond denthousiasme.

« J vais voir si cest ainsi! que je crie à Arthur, et me voici parti à mengager, et au pas de course encore.

 Tes rien c Ferdinand! » quil me crie, lui Arthur en retour, vexé sans aucun doute par leffet de mon héroïsme sur tout le monde qui nous regardait.

Ça ma un peu froissé quil prenne la chose ainsi, mais ça ma pas arrêté. Jétais au pas. « Jy suis, jy reste! » que je me dis.

« On verra bien, eh navet! » que jai même encore eu le temps de lui crier avant quon tourne la rue avec le régiment derrière le colonel et sa musique. Ça sest fait exactement ainsi.

Alors on a marché longtemps. Y en avait plus quil y en avait encore des rues, et puis dedans des civils et leurs femmes qui nous poussaient des encouragements, et qui lançaient des fleurs, des terrasses, devant les gares, des pleines églises. Il y en avait des patriotes! Et puis il sest mis à y en avoir moins des patriotes La pluie est tombée, et puis encore de moins en moins et puis plus du tout dencouragements, plus un seul, sur la route.

Nous nétions donc plus rien quentre nous? Les uns derrière les autres? La musique sest arrêtée. « En résumé, que je me suis dit alors, quand jai vu comment ça tournait, cest plus drôle! Cest tout à recommencer! » Jallais men aller. Mais trop tard! Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On était faits, comme des rats.

Une fois quon y est, on y est bien. Ils nous firent monter à cheval et puis au bout de deux mois quon était là-dessus, remis à pied. Peutêtre à cause que ça coûtait trop cher. Enfin, un matin, le colonel cherchait sa monture, son ordonnance était parti avec, on ne savait où, dans un petit endroit sans doute où les balles passaient moins facilement quau milieu de la route. Car cest là précisément quon avait fini par se mettre, le colonel et moi, au beau milieu de la route, moi tenant son registre où il inscrivait des ordres.

Tout au loin sur la chaussée, aussi loin quon pouvait voir, il y avait deux points noirs, au milieu, comme nous, mais cétait deux Allemands bien occupés à tirer depuis un bon quart dheure.

Lui, notre colonel, savait peut-être pourquoi ces deux gens-là tiraient, les Allemands aussi peut-être quils savaient, mais moi, vraiment, je savais pas. Aussi loin que je cherchais dans ma mémoire, je ne leur avais rien fait aux Allemands. Javais toujours été bien aimable et bien poli avec eux. Je les connaissais un peu les Allemands, javais même été à lécole chez eux, étant petit, aux environs de Hanovre. Javais parlé leur langue. Cétait alors une masse de petits crétins gueulards avec des yeux pâles et furtifs comme ceux des loups; on allait toucher ensemble les filles après lécole dans les bois dalentour, où on tirait aussi à larbalète et au pistolet quon achetait même quatre marks. On buvait de la bière sucrée. Mais de là à nous tirer maintenant dans le coffret, sans même venir nous parler dabord et en plein milieu de la route, il y avait de la marge et même un abîme. Trop de différence.

La guerre en somme cétait tout ce quon ne comprenait pas. Ça ne pouvait pas continuer.

Il sétait donc passé dans ces gens-là quelque chose dextraordinaire? Que je ne ressentais, moi, pas du tout. Javais pas dû men apercevoir

Mes sentiments toujours navaient pas changé à leur égard. Javais comme envie malgré tout dessayer de comprendre leur brutalité, mais plus encore javais envie de men aller, énormément, absolument, tellement tout cela mapparaissait soudain comme leffet dune formidable erreur.

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