Гийом Аполлинер - Les trois Don Juan стр 7.

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–Pardonnez-moi, votre amour est un sot amour.

–Que dis-tu, maître fou?

–Je dis ceci. C'est une sottise d'aimer comme… Voulez-vous m'écouter?

–Va, poursuis.

–Je poursuis. Isabelle vous aime-t-elle?

–En doutes-tu?

–Non, mais je le demande. Et vous, l'aimez-vous?

–Moi? Oui.

–Eh bien! ne serais-je pas un fou fieffé si je m'affligeais étant aimé d'une femme que j'aime? Donc si vous vous aimez tous les deux d'une égale ardeur, dites-moi qui vous empêche de vous marier sans attendre plus…

Sur ces entrefaites, un domestique entra.

«Le chef de la mission militaire espagnole, ambassadeur extraordinaire, vient, dit-il, de mettre pied à terre dans le vestibule! Il demande d'un ton courroucé et hautain à parler à Votre Grâce. Si j'ai bien compris, il s'agirait de prison.

–De prison! Dis-lui d'entrer.»

Don Jorge pénétra accompagné de soldats.

«Qui dort ainsi, dit-il sur le seuil d'une voix sentencieuse, doit avoir la conscience nette.

–Oh! reprit Octavio. Est-il convenable que je dorme quand Votre Excellence me fait l'honneur de me rendre visite? Je veillerai toute ma vie. Pour quelle cause êtes-vous venu?

–Parce que le Roi m'a envoyé ici.

–Et quelle bonne étoile a voulu que le Roi songeât à moi? Vous n'ignorez pas que, le cas échéant, je lui donnerais ma vie.

–Hélas! Hélas!

–Marquis, je n'ai nulle inquiétude. Parlez.

–Le Roi m'a envoyé pour vous arrêter…

–Et de quoi donc suis-je coupable?…

–Vous le savez mieux que moi. Mais si, par hasard, je me trompe, écoutez la mésaventure et sachez pourquoi le Roi m'a envoyé. À l'heure où les noirs géants, pliant leurs sinistres pavillons, fuient pêle-mêle devant le crépuscule, je traitais de certaines affaires en compagnie de Son Altesse. Les grands aiment l'aube de la nuit. Nous entendîmes une voix de femme qui criait au secours. À ce bruit, le roi lui-même s'élança, et il trouva la duchesse dans les bras d'un homme gigantesque…

–Un homme gigantesque! gigantesque!

–Le Roi ordonna qu'on se saisît d'eux. Je tentai de désarmer l'homme. Mais je crois que le démon avait pris cette forme humaine, car devenu soudain vapeur, il s'échappa par le balcon à travers les ormes.

–Et la duchesse?

–La duchesse, arrêtée, déclara que c'était le duc Octavio qui l'avait ainsi abusée en lui promettant de l'épouser…

–Que dites-vous?

–Je dis ce que tout le monde sait, qu'Isabelle, par mille moyens…

–Laissez-moi, ne me parlez pas d'une pareille trahison. Isabelle me trompe! Je deviens fou! Mais non, ce n'est pas vrai!

–Comme il est vrai que les oiseaux volent dans l'espace, que les poissons vivent dans les eaux, que la loyauté habite dans un véritable ami, que la trahison est dans un ennemi, j'ai dit la pure vérité.

–Marquis, je veux vous croire. Il n'y a rien qui m'étonne, car la femme la plus constante n'en est pas moins femme. Mon outrage est avéré.

–Le Roi ne voit d'autre solution, à ce que j'ai cru comprendre, que de vous faire épouser solennellement et sans tarder la duchesse.

–Certes, j'avais jadis à cette fille promis le mariage, mais aujourd'hui… Par la Madone!

–Vous n'avez qu'une ressource, vous absenter de ce pays. Et que votre départ soit prompt!

–Je vais m'embarquer pour l'Espagne aujourd'hui même.

–La porte du jardin est ouverte. Partez, je ne vois rien!»

Le duc Octavio ne se le fit pas dire deux fois. Il quitta sa maison tout en maugréant:

«Un homme dans le palais avec Isabelle! Je deviens fou. Les femmes: des girouettes!»

Après de nombreuses péripéties parmi lesquelles un naufrage, Juan revint sur la terre d'Espagne. Il emportait malgré tout un remords, le souvenir de la belle duchesse qu'il avait, en la nuit noire, tenue entre ses bras… À défaut d'autre mémoire, il avait celle de la volupté… Cependant, jeté au rivage par la tempête, il se consola en séduisant la fille des pauvres pêcheurs qui l'avaient recueilli.

CHAPITRE IV

LA MORT DU COMMANDEUR

Petite revue du demi-monde.—Inès d'Ulloa.—Discours de l'abbesse.—Visite de la duègne.—La lettre d'amour de Don Juan.—Don Juan au couvent.—L'enlèvement.—Don Gonzalo d'Ulloa.—Propos aigres-doux.—Le réveil de Doña Inès.—La séduction de Don Juan.—Arrivée inopinée de Don Gonzalo.—Violente discussion.—Mort du commandeur.

De retour à Séville, Don Juan se rendit chez son ami Mota, en la compagnie duquel il avait jadis mené la joyeuse vie:

«Vous ici, Don Juan!

–Naples est pourri, pourri, mon bon! Rien à faire chez les mangeurs de pastas! Et quoi de nouveau à Séville?

–Tout y est bien changé.

–Les femmes?

–Chose jugée.

–La Pandora?

–Se retire des affaires après fortune faite.

–Magdalena?

–À l'hôpital.

–Soledad?

–Au tombeau.

–Charmant séjour. Et Constance?

–Elle pleure ses cheveux et ses sourcils. Le Portugais l'appelle vieille, et elle entend belle.

–Et Téodora?

–Au printemps dernier, elle échappa à une indisposition galante, et devant moi il lui tomba une dent parmi les fleurs de sa conversation.

–Julia, celle du Candilejo?

–Elle se défend avec son fard.

–Se vend-elle toujours comme poisson frais?

–Elle se donne pour poisson salé.

–Le quartier de Cantarranas est toujours bien habité?

–Surtout par les grenouilles.

–Et les deux sœurs de nos amours vivent-elles toujours?

–Ainsi que la guenon de leur mère Célestine qui leur enseigne les bons principes.

–La vieille de Belzébuth! Comment va l'aînée?

–Elle a un petit saint pour qui elle jeûne.

–Et l'autre?

–L'autre fait flèche de tout bois.

–Mais assez des catins! Et dites-moi, Mota, Inès? douce Inès?»

La voix de Juan tremblait légèrement en prononçant ces mots. Doña Inès d'Ulloa était une jeune fille qu'il avait connue toute enfant. Alors qu'ils jouaient ensemble, il la considérait déjà comme son bien, sa propriété. À la majorité de Don Juan, il avait été question de lui faire épouser cette riche et charmante héritière. Mais le projet avait été écarté par l'opposition du père, Don Gonzalo, auquel la réputation de Don Juan semblait du plus mauvais aloi.

Parmi les aventures, le jeune chevalier ne s'était point soucié de ce mariage. Il rencontrait toujours Doña Inès dans le monde. Il se disait qu'elle serait un jour à lui comme les autres femmes. Il l'aurait, sinon vierge, du moins mariée.

Cependant, dans ce voyage en Italie, il avait senti son sentiment s'exaspérer étrangement pour la pure jeune fille auprès de laquelle il avait grandi et dont il se trouvait maintenant séparé. L'absence révèle l'amour, dit-on.

«Inès, répondit Mota après une hésitation. Inès, on ne sait pourquoi, est entrée au couvent.

–Au couvent?

–Et elle doit demain prononcer ses vœux!»

Le visage de Don Juan devint cendre. Il se passait un combat en lui.

«Dieu n'a pas encore le dernier mot», murmura-t-il…

La mère abbesse était inquiète de ses nouvelles religieuses. Aussi laissait-elle à celle qui ne serait bientôt plus Doña Inès d'Ulloa quelques privautés de nature à lui adoucir la transition de la vie mondaine à la vie religieuse. Sur la demande de la jeune fille elle-même, la date de ses vœux avait été avancée. Mais avait-elle ainsi trouvé le repos?

«Quels souvenirs, lui disait la mère abbesse, auriez-vous encore des traces et plaisirs du monde! Derrière ces saintes murailles, vous ne connaîtrez pas le doute. Quand vous aurez pris l'habitude de ce verger, douce colombe, vous n'aspirerez plus à étendre vos ailes dans l'espace. Lis charmant, votre calice ne s'ouvrira ici qu'aux baisers du zéphyr, et ici tomberont doucement vos feuilles. Dans le coin de terre où notre chétive personne est renfermée, dans le coin de ciel qui apparaît à travers les grilles, vous ne verrez qu'un lit où vous reposerez dans un doux sommeil… Ah! j'envie, Inès, la vie d'innocence qui vous est réservée.

«Mais pourquoi baissez-vous la tête, pourquoi ne me répondez-vous pas? Pour aujourd'hui encore, vous aurez la visite de la gouvernante qui vous a élevée. Cette bonne fille vous consolera peut-être… N'oubliez pas cependant, mon enfant, que vous ne devez pas jeter de regards en arrière… Demain seront prononcés vos vœux.

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