Гийом Аполлинер - Les trois Don Juan стр 8.

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–Que Dieu vous accompagne, ma mère.

–Adieu, ma fille.»

La mère abbesse partie, Inès se laissa aller à quelques réflexions mélancoliques. Elle avait voulu entrer dans ce couvent, et maintenant un vrai tourment, un tremblement la prenait à l'idée qu'elle prononcerait demain les vœux qui devaient la lier pour jamais…

Cependant la gouvernante Brigitte venait de pénétrer auprès d'elle par autorisation spéciale. De suite la duègne poussa la porte derrière elle.

«L'ordre est de laisser la porte ouverte, remarqua Inès.

–C'est bon et sage pour les autres novices, mais pour vous…

–Brigitte, ne vois-tu pas que tu enfreins les ordres du monastère?

–Bah! C'est plus sûr de cette façon. On peut parler sans mystère et sans embarras. Avez-vous regardé le livre que je vous fis parvenir en cachette il y a tantôt deux heures?

–Je l'avais oublié!

–Je vous suis bien obligée de cet oubli.

–La mère abbesse me vint rendre visite.

–La vieille impertinente!

–Mais le livre est-il donc si intéressant?

–S'il est intéressant? Sache que je l'ai laissé bien troublé, le malheureux.

–Et qui donc?

–Lui, Don Juan…

–Don Juan! Il est donc de retour? Qu'entends-je? Et c'est lui qui me l'envoie.

–Sans doute.

–Oh! je ne dois pas le prendre.

–Pauvre garçon! Mais c'est le désespérer, c'est le tuer!

–Que dis-tu?

–Si vous ne prenez pas ce livre d'heures, il en aura tant de chagrin qu'il en tombera malade. Je le vois d'ici.

–Eh bien! s'il en est ainsi, je le regarderai.

–Vous ferez bien.»

Inès prit alors le livre qu'elle avait mis sous l'oreiller de son petit lit.

«Qu'il est joli! dit-elle.

–Qui veut plaire y met tous ses soins.

–Et regardez les belles prières.»

Tandis que Inès feuilletait avec admiration le beau livre à fermoir d'or, une lettre s'en échappa et tomba à terre.

–Un petit papier, fit Brigitte.

–Une lettre!

–Pour vous offrir le cadeau.

–Quoi! le papier serait de lui.

–Que vous êtes innocente! Puisqu'il vous fait le cadeau, il est naturel que la lettre soit de lui.

–Ah! Jésus!

–Qu'avez-vous?

–Rien, Brigitte, ce n'est rien.

–Mais si, vous changez de couleur…»

La maligne gouvernante savait fort bien ce qui se passait dans l'âme de sa jeune maîtresse, sa chère maîtresse qu'elle avait vue, elle aussi, avec peine entrer au couvent.

«La main me brûle, reprit Doña Inès, qui a touché ce papier.

–Dieu me protège! Jamais je ne vous ai vue ainsi… Vous tremblez.

–Malheur à moi!

–Mais qu'avez-vous donc?

–Je ne sais… J'entrevois mille fantômes inconnus qui traversent mon esprit et le torturent.

–En est-il un par hasard, entre eux, qui ressemble à Don Juan?

–Je ne sais. Depuis que tu m'as redit son nom, cet homme, que j'avais oublié, presque oublié, est toujours devant moi. Ah! quelle fascination il a depuis l'enfance exercée sur mes sens… Voici à nouveau que l'image de Tenorio absorbe toutes mes pensées.

–Je suis tentée de croire que vous ressentez de l'amour.

–De l'amour! Est-ce cela de l'amour?

–Le moins entendu y verrait de l'amour. Revenons à la lettre. Qui vous arrête?

–Je la regarde, mais n'ose la lire: «Inès de mon âme…» Vierge sainte, quel début!

–Allons, allons, continuez. C'est de la poésie.

–«Lumière où vient puiser le soleil… Ravissante colombe privée de la liberté, si vous daignez abaisser sur ces lignes vos beaux yeux, ne les détournez pas avec colère sans aller jusqu'au bout…»

–Quelle délicatesse! interrompit Brigitte. Qui aurait plus de déférence?

–Brigitte, je ne sais ce que j'éprouve…

–Continuez, continuez la lecture…

–«Nos pères, vous le savez, avaient jadis décidé d'unir nos deux destinées… Ravie d'un si riant espoir, mon âme, Inès, avait toujours aspiré à vous. L'étincelle d'amour qui avait jadis jailli de mon cœur, le temps l'a convertie en un feu dont la flamme grandit sans cesse en moi…»

–C'est évident. Je sais, moi, qu'on lui avait toujours fait espérer votre amour…

–«L'absence a exaspéré encore mon sentiment. Et me voici aujourd'hui suspendu entre la tombe et mon Inès.»

–Comprenez-vous, Inès? Si vous aviez repoussé ce livre d'heures, il vous eût fallu à l'instant préparer son suaire.

–Je me meurs.

–Poursuivez.

–«Inès, âme de mon âme, attrait unique de ma vie, perle cachée parmi les algues de la mer, colombe qui n'a point voulu voler loin du nid, Inès, si à travers ces murs tu regardes tristement le monde, si pour lui tu soupires, avide de liberté, souviens-toi qu'aux pieds de ces mêmes murs où tu es prisonnière Don Juan, prêt à te sauver, tend vers toi les bras…»

Sur ces derniers mots, Inès se sentit prête à s'évanouir. Mais Brigitte tenait à ce que la missive fût lue tout entière, et elle dut continuer:

«Souviens-toi de celui qui pleure sous ta persienne, la nuit l'y surprendra. Pour toi seule il vit, chère âme. Que tu l'appelles, il volera à tes pieds.»

–Il viendrait! Il viendrait! À votre signe…

–Il viendrait!

–Oh! oui! Mais finissez.

–«Adieu! lumière de mes yeux… Médite avec calme, je t'en prie, tout ce que je t'ai dit. Si tu hais ton cloître, qui doit être ton tombeau, ordonne, et Juan saura braver tous les périls.»

Inès demeura un instant silencieuse:

«Ah! dans quel trouble nouveau me jette cette lecture, dit-elle enfin, oppressée. On dirait qu'une lumière nouvelle se montre à moi…

–Don Juan vous attend.

–Don Juan! Nos deux destinées sont-elles donc à ce point unies?

–Silence, j'entends un pas…»

Les deux femmes écoutaient. Il était neuf heures du soir, et l'ombre s'était faite autour des hauts murs du couvent.

–Qui peut venir ici? dit Inès avec effroi.

–Lui seul!

–Qui?

–Lui!

–Don Juan!»

La porte s'était ouverte, en effet, et Don Juan était entré. Il se précipita, un genou en terre, et prit la main de ta tremblante Inès.

«Ma chère Inès, Inès de mon cœur, répétait-il.

–Est-ce vous, Don Juan? Ou bien est-ce un fantôme?…»

Mais trop faible pour tant d'émotions, elle s'évanouit et laissa tomber la lettre à terre.

«Je vais prendre Doña Inès dans mes bras, dit Juan à ta gouvernante, et gagner au plus tôt le cloître solitaire, puis la porte.

–Je suis à vos ordres, reprit la duègne. Tout ce que vous ferez pour la sauver de ce couvent sera bien, mon seigneur.

–Je sortirai d'ici, s'il le faut, l'épée dans ma main libre…

–Ah! vous êtes un lion! Rien ne vous trouble, ne vous arrête… Je m'attache à vos pas.»

Mais l'abbesse avait entendu le bruit insolite de l'arrivée de Don Juan. Elle se rendit à la chambrette d'Inès et fut stupéfaite de n'y plus trouver personne.

«Ces gouvernantes! fit-elle inquiète. Jamais je ne les laisserai pénétrer auprès de mes saintes enfants.

–Ma mère, ma mère, dit la sœur tourière, qui entrait précipitamment, il y a à la porte un noble vieillard qui désire vous parler.

–Un homme! Dans le couvent! À cette heure! C'est inutile.

–Il est, dit-il, chevalier de Calatrava, ce qui lui donne le privilège d'entrer. L'affaire est d'urgence, dit-il.

–A-t-il dit son nom?

–Sa Seigneurie Don Gonzalo de Ulloa.

–Don Gonzalo! Qu'il entre!»

La visite du père coïncidait avec la disparition de la fille. Que signifiait tout ceci?

Don Gonzalo était un grand vieillard aux traits un peu rudes, au regard froid, à la mine sévère.

«Mère abbesse, dit-il, pardonnez-moi de vous déranger à pareille heure. Mais il s'agit d'une affaire qui intéresse peut-être notre honneur…

–Jésus!

–Écoutez.

–Parlez donc.

–J'avais conservé jusqu'ici un trésor plus précieux que tout l'or du monde. Ce trésor est mon Inès.

–Précisément…

–Or, j'ai appris à l'instant que sa duègne vient d'être vue en ville parlant avec un certain Don Juan Tenorio, un homme qui n'a pas sur la terre son pareil pour l'audace et la perversité. Jadis, on songea à le marier avec ma fille… Mais en raison de ses vices, de ses crimes, j'ai refusé… Que cet homme songe à se venger, c'est dans sa nature. Il est, paraît-il, revenu de Naples. Je dois être sur mes gardes, car il suffirait à ce fils de Satan d'un jour, d'une heure d'imprévoyance pour ternir mon honneur… Il a séduit cette duègne par ses discours et de l'argent, j'en jurerais… Elle est maintenant au couvent… Je suis venu afin de vous prier d'en finir avec cette vieille femme. Qu'Inès demeure seule et, puisqu'elle l'a voulu, prononce demain les vœux qui la feront disparaître du monde!

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