Plus troublant encore, son esprit vacillait à l’idée de Geneviève, incapable d’ignorer l’image d’elle debout au-dessus de la fosse, aux côtés de l’homme pour qui elle l’avait abandonné. Ces pensées étaient presque suffisantes pour qu’il s’arrête et se laisse capturer par les hommes qui le poursuivaient. Seule sa colère le poussait, talonnant son cheval pour le pousser au galop.
D’autres flèches arrivaient par derrière, se brisant contre la maçonnerie des bâtiments environnants ou se fichant dans le torchis. Les villageois s’écartaient du cheval qui chargeait, et Royce faisait de son mieux pour l’empêcher de s’écraser sur l’un d’eux. Cela signifiait se battre contre les rênes, forcer la tête du cheval de cette façon et cela alors que ses sabots claquaient sur les pavés.
D’autres sabots se joignirent au chœur de cavalcade alors que les cavaliers chevauchaient pour attraper Royce. Certains d’entre eux étaient peut-être des chevaliers, mais d’autres semblaient être des sergents d’armes, faisant le travail de leurs supérieurs pendant que les nobles restaient là sans rien faire.
— Après lui ! cria l’un d’eux. Sus au meurtrier !
Royce savait qu’aucune résolution pacifique n’était à espérer s’ils le rattrapaient. La peine pour un simple meurtre était la mort, et il avait abattu leur seigneur juste sous leurs yeux. Ils n’abandonneraient pas avant d’être sûrs de l’avoir attrapé, ou jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune chance de le retrouver.
Pour l’instant, tout ce qu’il pouvait faire, c’était de garder une longueur d’avance sur eux, de faire confiance à un cheval volé, de surmonter les secousses et les changements de direction rapides tout en espérant qu’il ne chute pas. Royce serra l’épée de cristal dans sa main, ne voulant pas que son emprise sur elle vacille un seul instant.
Un cavalier s’approcha, sa lance levée pour l’empaler. Royce coupa la tête de l’arme et frappa l’homme qui la portait. Le poursuivant tomba de son cheval et Royce continua sa folle chevauchée.
Il y en avait beaucoup plus derrière, beaucoup trop. Même avec la force et l’habileté dont il faisait preuve, Royce doutait être mesure d’affronter autant d’hommes à la fois. Il choisit plutôt de continuer à fuir sur sa monture providentielle, et ce faisant, essayait de trouver comment il allait pouvoir s’échapper.
Il s’enfuit de la ville, le fort s’effaçant au fur et à mesure que le destrier de Royce traversait la rase campagne, suivant les crêtes et les sillons des terres agricoles dans sa foulée. De petits ruisseaux se trouvaient entre les deux et Royce se dirigeait vers les parties les plus étroites, poussant le cheval à sauter plutôt qu’à patauger. Chaque foulée hésitante serait autant de terrain que le groupe de cavaliers le poursuivant rattraperait sur lui.
Il se dirigea ensuite vers les murs d’une ferme, le cheval frôlant la pierre sans la toucher. Jetant un coup d’œil en arrière, Royce vit l’un des chevaux poursuivants percuter le mur et en entrainer un autre dans sa chute. Ce n’était pas suffisant.
Un autre cavalier arriva à la hauteur de Royce, se jetant en travers comme s’il espérait le faire tomber de sa selle. Royce s’agrippa férocement à son cheval, sa force brute le maintenant en place alors qu’il assenait au soldat des coups de coudes et de tête. Il vit l’éclat d’un poignard alors que l’homme s’apprêtait à le frapper par derrière, Royce se retourna brusquement, poussant l’homme de toutes ses forces.
Le soldat tomba de son cheval lancé à pleine vitesse, s’écrasant lourdement sur le sol. Royce talonna à nouveau les flancs de son cheval, mais l’écart entre ses poursuivants et lui s’était maintenant réduit.
Royce savait qu’il ne pouvait pas espérer simplement distancer les hommes derrière lui. Ils étaient trop déterminés et il n’avait aucun moyen de savoir si son cheval se montrerait plus endurant que les leurs. Même si c’était le cas, ce ne serait qu’une question de temps avant qu’une flèche d’un arc de chasse ne blesse l’animal trop grièvement pour qu’il puisse continuer sa course.
Il devait trouver un meilleur moyen.
Devant lui, il vit une gorge enjambée par un petit pont. Royce ignora le pont, se dirigeant plutôt vers un endroit où un arbre solide était tombé à travers le vide. Enfant, ses frères et lui l’avaient parcouru à pied, jusqu’à la petite étendue boisée qui se trouvait au-delà. Royce ne savait pas si le cheval qu’il montait pouvait s’en sortir.
Mais c’était sa meilleure chance, alors il guida sa monture vers le tronc, la forçant à l’emprunter sans modifier son allure. Royce sentit un de ses sabots glisser et, pendant un instant, son souffle se coupa, mais il réussit à ramener l’animal sur le bois partiellement pourri.
D’autres flèches défilaient à mesure que Royce revenait sur la terre ferme. Royce se retourna, voyant les chevaux qui le pourchassaient se cabrer à la perspective de franchir cette passerelle de fortune. Royce la taillada de son épée de cristal, et il sentit le tronc s’effondrer jusqu’à une rivière en contrebas.
— Cela ne les retiendra pas longtemps, chuchota Royce à son cheval, le pressant à nouveau à garder le rythme pendant que les hommes de l’autre côté de la gorge détournaient leurs chevaux au galop vers l’endroit où se trouvait le pont.
Cela lui ferait gagner une minute ou deux tout au plus, et Royce savait qu’il devrait en profiter pour s’enfuir. En même temps, il savait qu’il ne pouvait pas se contenter de fuir. Fuir n’avait jamais rien donné. Fuir ne changeait rien.
Il se dirigea vers les bois à toute allure, essayant de réfléchir pendant qu’il disparaissait sous les branches basses, essayant de se cacher. La forêt était calme, excepté les bruits de petites créatures et d’oiseaux siffleurs, la course de l’eau et le bruissement des feuilles dans les arbres. Quelque part plus loin, il entendit le bruit d’un bûcheron jouant du pipeau. Royce espérait qu’il ne conduirait pas les soldats à lui. Il ne voulait pas causer d’ennuis à qui que ce soit.
Cette pensée le fit s’arrêter parmi les arbres. Les hommes derrière lui le suivraient jusqu’à son village s’il s’y rendait, et pourtant, s’il ne le faisait pas, Royce ne parviendrait peut-être jamais à obtenir le moindre soutien. Pire encore, les hommes du duc pourraient s’y rendre de toute façon, déterminés à punir tous ceux qui avaient un lien avec le garçon qui avait assassiné leur seigneur.
Il avait besoin d’un moyen d’éloigner les hommes du duc du village et de gagner du temps pour faire tout ce qu’il avait à faire.
Le son du pipeau revint à Royce, et il se dirigea dans sa direction, guidant son cheval entre les arbres. Royce le fit passer aussi vite qu’il le pouvait. Il n’était que trop conscient de la maigre avance que lui avait conféré le passage du tronc, et maintenant, il avait l’impression qu’il avait besoin de chaque seconde dont il disposait.
Moins d’une minute plus tard, il rencontra un premier cochon qui fouillait l’humus à la recherche de fruits, de champignons ou d’autres choses à manger. Il devait bien faire un mètre au garrot et il avançait en reniflant, apparemment totalement désintéressé par la présence de Royce.
D’autres se frayaient un chemin à travers les arbres, fouinant et chassant tout ce qu’ils pouvaient manger, portant les marques d’au moins quelques fermes. La musique du pipeau était maintenant proche, et à travers une grappe d’aulnes, Royce pouvait distinguer la forme d’un jeune homme assis sur la souche d’un chêne tombé.
Le jeune homme cria en voyant Royce, en agitant le bras qui tenait l’instrument.
— Hé, là. Ne va pas trop vite par ici. Les cochons sont assez faciles à vivre, mais si tu leur fais peur, ils sont assez gros pour faire trébucher ton cheval.