— Dans quelques minutes. Cela fait un moment que nous plions l’espace pour nous rapprocher mais, si nous avons pris du retard, c’est surtout pour essayer de semer les forces de la Ruche qui nous poursuivent. Il va falloir que nous soyons parmi les premiers à atterrir sur la planète. Venez avec moi. Nous devons prendre un des vaisseaux d’atterrissage.
La générale les emmena une nouvelle fois dans les méandres du vaisseau. Quand ils passaient, certains se retournaient pour les regarder et, même si certains d’entre eux semblaient attendre des ordres de la générale, d’autres fixaient vraiment Kevin, Chloe et Ro du regard et ils n’avaient pas tous l’air d’avoir de bonnes intentions.
— On dirait que tout le monde n’a pas accepté le résultat du procès, dit Chloe.
Elle donnait l’impression à Kevin d’être prête à se battre contre tous ceux qui les regardaient trop longtemps ou de façon inappropriée. Il voyait sa main augmentée se serrer comme pour frapper quelqu’un.
— Les gens ont le droit de ne pas être d’accord, dit la générale s’Lara. Nous ne sommes pas la Ruche, où tout le monde doit obéir. Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent, mais nous avons pris une décision avec autant d’honnêteté que nous avons pu et je ne pense pas que cela créera des révoltes.
Kevin la trouva un peu dubitative mais, de toute façon, comment aurait-elle pu être sûre ? Elle avait raison. À moins de contrôler tous les esprits comme dans la Ruche, il ne pouvait y avoir aucune harmonie parfaite. Kevin acceptait que les gens le regardent de travers si cela pouvait leur éviter de vivre sans idées propres, sans décisions personnelles.
Avec ses amis, il suivit la générale jusqu’à un hangar contenant quelques vaisseaux de petite taille qui ressemblaient à des flèches sur le point d’être crachées par la gueule géante du vaisseau. La générale s’Lara les emmena vers un vaisseau en partie noirci par du feu.
— Voilà. C’est mon vaisseau personnel. Je vais vous montrer la planète. Venez.
L’intérieur du vaisseau était plus étrange que l’extérieur. Il semblait avoir été réparé et reconstruit tellement de fois qu’il ne restait presque rien de l’original.
— J’ai travaillé moi-même sur ce vaisseau, dit la générale s’Lara.
Soudain, elle sembla à nouveau écouter quelqu’un d’absent.
— Oui, d’accord. Nous avons travaillé dessus. Installez-vous et on y va.
Il y avait des sièges qui ressemblaient plus à des fauteuils qu’à la sorte de bancs ou de sièges que Kevin se serait attendu à trouver dans un vaisseau militaire. Il lui semblait étrange de bénéficier d’un tel confort dans le vaisseau d’une générale.
— Qu’est-ce que ça fait d’être lié à une intelligence artificielle ? demanda-t-il.
— C’est comme être deux moitiés d’un tout, répondit la générale. Cela permet d’avoir accès à plus d’informations, de réagir plus vite et de comprendre des choses qu’on ne comprendrait jamais sans elle, pendant que, de notre côté, nous fournissons l’émotion et l’intuition. Ça fonctionne.
Kevin essaya de l’imaginer et n’y parvint pas. Ce qu’il connaissait de plus proche était la connexion à la Ruche, et cela n’avait aucun rapport avec ce que la générale s’Lara avait décrit. Cela ressemblait plus à une sorte d’amitié parfaite, comme celle qu’il avait eue avec Luna sur la Terre. L’un avait comblé les lacunes de l’autre et l’un avait immanquablement soutenu l’autre.
Luna lui manquait tellement qu’il en avait mal.
— Tenez bon, dit la générale s’Lara.
Pourtant, quand le petit vaisseau sortit du grand, ce fut sans la moindre secousse. Il se dirigea alors vers la surface de la planète.
Alors qu’ils allaient vers le monde d’au-dessous, Kevin vit la verdure qui les attendait. Elle était si imposante qu’elle semblait tout inclure. Pendant les quelques premières secondes, ce ne fut qu’une marée géante de vert mais, peu à peu, Kevin commença à distinguer différentes nuances et textures dans la masse. Il y avait des zones qui ressemblaient à des prairies ouvertes et beaucoup d’autres qui semblaient être des forêts presque infinies. Il y avait des zones d’un vert foncé qui faisait penser à des pins et d’autres qui évoquaient des palmiers tropicaux.
Quand ils descendirent encore plus, Kevin commença à se faire une idée de la taille des arbres. Beaucoup d’entre eux semblaient être de taille normale, mais il y en avait d’autres qui étaient aussi hauts que des cathédrales et dont la canopée s’étendait si loin qu’elle recouvrait des surfaces de terre immenses et faisait presque oublier le sol qui se trouvait dessous.
— C’est un bel endroit, dit la générale s’Lara. Il y a énormément de vie sur cette planète, mais elle n’a pas été prévue pour nous accueillir. Elle est trop sauvage et, s’il y a trop de membres d’une espèce quelconque, cela déséquilibrera son écosystème.
La générale fit descendre son vaisseau très bas et Kevin aperçut des bâtiments nichés parmi les arbres, si bien cachés que, pendant quelques secondes, il eut du mal à les distinguer du feuillage. Les maisons pendaient comme de grands fruits ou étaient posées en équilibre sur les branches et elles étaient si belles qu’elles auraient pu être une partie naturelle de la forêt.
— Combien de gens avez-vous là-bas ? demanda Kevin.
— Quelques milliers, pas assez pour créer une vraie civilisation, répondit la générale. Même avec tous les gens que nous avons emmenés avec nous … nous ne sommes plus que l’ombre de ce que nous étions.
Des véhicules passaient rapidement d’arbre en arbre, loin au-dessus du sol. D’autres bougeaient lentement au niveau du sol, déguisés par des couleurs qui changeaient en reflétant la lumière.
— Avez-vous des armes, ici ? demanda Kevin, qui espérait vraiment qu’ils auraient quelque chose susceptible de détruire la Ruche.
— Quelques-unes, dit la générale s’Lara. Nous aimons pouvoir défendre les endroits où nous avons des bases, mais notre défense principale est le secret. Cet endroit a toujours été conçu pour rester caché.
— Pourtant, nous y allons maintenant, signala Chloe.
— Nous n’avons plus le choix, dit la générale s’Lara. Nous manquons de gens, d’endroits, de tout sauf de ça. Nous nous cacherons ici aussi longtemps que possible.
— Et si la Ruche nous trouve ? demanda Kevin.
La générale s’Lara secoua la tête.
— Nous l’avons semée quand nous avons commencé à courber l’espace. À cette vitesse, même eux ne pourraient jamais nous suivre, ou alors, vous savez une chose que nous ignorons.
Même si la générale ne semblait pas soupçonner Kevin de quoi que ce soit, l’intéressé eut la sensation qu’on ne lui faisait pas entièrement confiance. Il se tourna vers Ro, qui secoua la tête.
— La Ruche a volé beaucoup de technologies, mais elle ne peut pas repérer les Ilariens. C’est pour cela que les Plus Purs ont requis tes services pour pister leurs signaux. Sans toi …
— Sans moi, ils n’auraient jamais été capables de détruire le monde où les Ilariens s’étaient réfugiés, dit Kevin.
La générale s’Lara secoua la tête.
— D’autres personnes tenteront de vous le reprocher, Kevin, mais pas moi. On vous a contrôlé et nous sommes maintenant en sécurité.
Ils avancèrent entre les arbres. Des vaisseaux se faufilaient entre les troncs et atterrissaient sur de grandes plates-formes qui dépassaient du côté des bâtiments situés entre les arbres. D’aussi près, Kevin voyait qu’il y avait toute une ville à cet endroit.
Le vaisseau atterrit et ils en sortirent. À l’intérieur du vaisseau, entre les parois, il n’y avait pas eu de sensation d’espace mais, maintenant, Kevin voyait à quelle hauteur la plate-forme était. Elle était si haut que l’air lui semblait raréfié, lui donnait mal à la tête et le faisait trébucher. Son cerveau semblait dérouté par cette hauteur surprenante.