Антуан де Сент-Экзюпери - Маленький принц / Le Petit Prince. Уровень 1 стр 3.

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«C’est une question de discipline, me disait plus tard le petit prince. Quand on a terminé sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planète. Il faut s’astreindre régulièrement à arracher les baobabs dès qu’on les distingue d’avec les rosiers[47] auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont très jeunes. C’est un travail très ennuyeux, mais très facile».

Et un jour il me conseilla de m’appliquer à réussir un beau dessin, pour bien faire entrer ça dans la tête des enfants de chez moi[48]. «S’ils voyagent un jour, me disait-il, ça pourra leur servir[49]. Il est quelquefois sans inconvénient de remettre à plus tard son travail. Mais, s’il s’agit des baobabs, c’est toujours une catastrophe. J’ai connu une planète, habitée par un paresseux. Il avait négligé trois arbustes…»

Et, sur les indications du petit prince, j’ai dessiné cette planète-là. Je n’aime guère[50] prendre le ton d’un moraliste. Mais le danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus par celui qui s’égarerait dans un astéroïde sont si considérables, que, pour une fois, je fais exception à ma réserve. Je dis: «Enfants! Faites attention aux baobabs!» C’est pour avertir mes amis du danger qu’ils frôlaient depuis longtemps, comme moi-même, sans le connaître, que j’ai tant travaillé ce dessin-là. La leçon que je donnais en valait la peine.

Vous vous demanderez peut-être: Pourquoi n’y a-t- il pas dans ce livre, d’autres dessins aussi grandioses que le dessin des baobabs? La réponse est bien simple: J’ai essayé mais je n’ai pas pu réussir. Quand j’ai dessiné les baobabs j’ai été animé par le sentiment de l’urgence[51].

VI

Ah! petit prince, j’ai compris, peu à peu, ainsi, ta petite vie mélancolique. Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. J’ai appris ce détail nouveau, le quatrième jour au matin, quand tu m’as dit:

«J’aime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de soleil…

– Mais il faut attendre…

– Attendre quoi?

– Attendre que le soleil se couche».

Tu as eu l’air très surpris d’abord, et puis tu as ri de toi-même. Et tu m’as dit:

«Je me crois toujours chez moi!»

En effet. Quand il est midi aux États-Unis, le soleil, tout le monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher du soleil. Malheureusement la France est bien trop éloignée. Mais, sur ta si petite planète, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crépuscule chaque fois que tu le désirais…

«Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-quatre fois!»

Et un peu plus tard tu ajoutais:

«Tu sais… quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil…

– Le jour des quarante-quatre fois tu étais donc tellement triste?»

Mais le petit prince ne répondit pas.

VII

Le cinquième jour, toujours grâce au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut révélé. Il me demanda avec brusquerie, sans préambule, comme le fruit d’un problème longtemps médité en silence:

«Un mouton, s’il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs?

– Un mouton mange tout ce qu’il rencontre.

– Même les fleurs qui ont des épines?

– Oui. Même les fleurs qui ont des épines.

– Alors les épines, à quoi servent-elles?»

Je ne le savais pas. J’étais alors très occupé[52] à essayer de dévisser un boulon trop serré de mon moteur. J’étais très soucieux car ma panne commençait de m’apparaître comme très grave, et l’eau à boire qui s’épuisait me faisait craindre le pire.

«Les épines, à quoi servent-elles?»

Le petit prince ne renonçait jamais à une question, une fois qu’il l’avait posée. J’étais irrité par mon boulon et je répondis n’importe quoi:

«Les épines, ça ne sert à rien, c’est de la pure méchanceté de la part des fleurs!

– Oh!»

Mais après un silence il me lança, avec une sorte de rancune:

«Je ne te crois pas! Les fleurs sont faibles. Elles sont naïves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs épines…»

Je ne répondis rien. À cet instant-là je me disais: «Si ce boulon résiste encore, je le ferai sauter d’un coup de marteau[53]». Le petit prince dérangea de nouveau mes réflexions:

«Et tu crois, toi, que les fleurs…

– Mais non! Mais non! Je ne crois rien! J’ai répondu n’importe quoi. Je m’occupe, moi, de choses sérieuses!»

Il me regarda stupéfait.

«De choses sérieuses!»

Il me voyait, mon marteau à la main, et les doigts noirs de cambouis, penché sur un objet qui lui semblait très laid.

«Tu parles comme les grandes personnes!»

Ça me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta:

«Tu confonds tout… tu mélanges tout!»

Il était vraiment très irrité. Il secouait au vent des cheveux tout dorés:

«Je connais une planète où il y a un monsieur cramoisi. Il n’a jamais respiré une fleur. Il n’a jamais regardé une étoile. Il n’a jamais aimé personne. Il n’a jamais rien fait d’autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi: «Je suis un homme sérieux! Je suis un homme sérieux!» et ça le fait gonfler d’orgueil. Mais ce n’est pas un homme, c’est un champignon!

– Un quoi?

– Un champignon!»

Le petit prince était maintenant tout pâle de colère.

«Il y a des millions d’années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d’années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n’est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien? Ce n’est pas important la guerre des moutons et des fleurs? Ce n’est pas sérieux et plus important que les additions d’un gros monsieur rouge? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n’existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu’un petit mouton peut anéantir d’un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu’il fait, ce n’est pas important ça!»

Il rougit, puis reprit:

«Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux[54] quand il les regarde. Il se dit: «Ma fleur est là quelque part…» Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient! Et ce n’est pas important ça!»

Il ne put rien dire de plus[55]. Il éclata brusquement en sanglots. La nuit était tombée. J’avais lâché mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait sur une étoile, une planète, la mienne, la Terre, un petit prince à consoler! Je le pris dans les bras. Je le berçai. Je lui disais: «La fleur que tu aimes n’est pas en danger… Je lui dessinerai une muselière, à ton mouton… Je te dessinerai une armure pour ta fleur… Je…» Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais très maladroit. Je ne savais comment l’atteindre, où le rejoindre… C’est tellement mystérieux, le pays des larmes!

VIII

J’appris bien vite à mieux connaître cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la planète du petit prince, des fleurs très simples, ornées d’un seul rang de pétales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne dérangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans l’herbe, et puis elles s’éteignaient le soir. Mais celle-là avait germé un jour, d’une graine apportée d’on ne sait où[56], et le petit prince avait surveillé de très près cette brindille qui ne ressemblait pas aux autres brindilles. Ça pouvait être un nouveau genre de baobab. Mais l’arbuste cessa vite de croître, et commença de préparer une fleur. Le petit prince, qui assistait à l’installation d’un bouton énorme, sentait bien qu’il en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur n’en finissait pas de se préparer à être belle, à l’abri de sa chambre verte[57]. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s’habillait lentement, elle ajustait un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh! oui. Elle était très coquette! Sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours. Et puis voici qu’un matin, justement à l’heure du lever du soleil, elle s’était montrée[58].

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