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Ги де Мопассан
Избранные новеллы. Уровень 1
Les Nouvelles Choisis
© Потокина А. М., подготовка текста, комментарии, упражнения, словарь, 2023
© ООО «Издательство АСТ», 2023
* * *
La parure
Cétait une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin[1], dans une famille demployés. Elle navait aucun moyen dêtre connue[2], comprise, aimée, épousée par un homme riche; et elle se laissa marier[3] avec un petit commis du ministère de lInstruction publique[4].
Elle fut malheureuse. Elle souffrait sans cesse[5], se sentant née[6] pour toutes les délicatesses et tous les luxes. Elle songeait aux grands salons vêtus de soie[7] ancienne et aux petits salons coquets, parfumés, faits pour la causerie de cinq heures avec les amis les plus intimes.
Quand elle sasseyait, pour dîner, devant la table ronde couverte dune nappe de trois jours, en face de[8] son mari elle songeait aux dîners fins, aux argenteries reluisantes; elle songeait aux plats exquis servis en des vaisselles merveilleuses, aux galanteries chuchotées et écoutées avec un sourire de sphinx.
Elle navait pas de toilettes, pas de bijoux, rien. Et elle naimait que cela[9]; elle se sentait faite pour cela.
Elle avait une amie riche, une camarade de couvent quelle ne voulait plus aller voir, tant elle souffrait en revenant[10]. Et elle pleurait pendant des jours entiers de chagrin, de regret, de désespoir et de détresse.
Or, un soir, son mari rentra, lair glorieux, et tenant à la main une large enveloppe[11].
Tiens, dit-il, voici quelque chose pour toi.
Elle déchira vivement le papier et en tira une carte imprimée qui portait ces mots:
Le ministre de lInstruction publique et Mme Georges Ramponneau prient M. et Mme Loisel de leur faire lhonneur de[12] venir passer la soirée à lhôtel[13] du ministère, le lundi 18 janvier.
Au lieu dêtre ravie[14], comme lespérait son mari, elle jeta avec dépit linvitation sur la table, murmurant:
Que veux-tu que je fasse de cela?
Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne sors jamais, et cest une occasion, cela, une belle! Jai eu une peine infinie à lobtenir. Tout le monde en veut; cest très recherché et on nen donne pas beaucoup aux employés. Tu verras là tout le monde officiel.
Elle le regardait dun œil irrité, et elle déclara avec impatience:
Que veux-tu que je me mette sur le dos pour aller là?
Il ny avait pas songé; il balbutia:
Mais la robe avec laquelle tu vas au théâtre. Elle me semble très bien, à moi
Il se tut[15], stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme pleurait. Il bégaya:
Quas-tu? quas-tu?
Mais, par un effort violent, elle avait dompté sa peine et elle répondit dune voix calme en essuyant ses joues humides:
Rien. Seulement je nai pas de toilette et par conséquent[16] je ne peux aller à cette fête.
Il était désolé. Il reprit:
Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait-il, une toilette convenable, qui pourrait te servir encore en dautres occasions, quelque chose de très simple?
Elle répondit en hésitant:
Je ne sais pas au juste[17], mais il me semble quavec quatre cents francs je pourrais arriver.
Il avait un peu pâli, mais il dit:
Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche davoir une belle robe.
Le jour de la fête approchait, et Mme Loisel semblait triste. Sa toilette était prête cependant. Son mari lui dit un soir:
Quas-tu? Voyons, tu es toute drôle depuis trois jours.
Et elle répondit:
Cela mennuie de navoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur moi.
Il reprit:
Tu mettras des fleurs naturelles. Cest très chic en cette saison-ci.
Elle nétait point convaincue.
Non il ny a rien de plus humiliant que davoir lair pauvre au milieu de[18] femmes riches.
Mais son mari sécria:
Que tu es bête! Va trouver ton amie Mme Forestier et demande-lui de te prêter des bijoux.
Le lendemain, elle se rendit chez son amie et lui conta sa détresse. Mme Forestier alla vers son armoire à glace, prit un large coffret, lapporta, louvrit, et dit à Mme Loisel:
Choisis, ma chère.
Elle essayait les parures devant la glace, hésitait, ne pouvait se décider à les quitter, à les rendre. Elle demandait toujours:
Tu nas plus rien dautre?
Mais si. Cherche. Je ne sais pas ce qui peut te plaire.
Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe rivière de diamants[19]; et son cœur se mit à battre[20] dun désir immodéré. Elle lattacha autour de sa gorge et demeura en extase devant elle-même.
Puis, elle demanda, hésitante, pleine dangoisse[21]:
Peux-tu me prêter cela, rien que cela?
Mais oui, certainement.
Le jour de la fête arriva. Mme Loisel eut un succès. Elle était plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et folle de joie[22]. Tous les hommes la regardaient. Le ministre la remarqua.
Elle dansait avec ivresse, ne pensant plus à rien, dans le triomphe de sa beauté.
Elle partit vers quatre heures du matin. Son mari, depuis minuit, dormait dans un petit salon désert avec trois autres messieurs dont les femmes samusaient beaucoup.
Lorsquils furent[23] dans la rue, ils ne trouvèrent pas de voiture. Ils descendaient vers la Seine, désespérés, grelottants. Enfin ils trouvèrent sur le quai un de ces vieux coupés noctambules quon ne voit dans Paris que la nuit venue[24].
Il les ramena jusquà leur porte, rue des Martyrs, et ils remontèrent tristement chez eux. Cétait fini, pour elle.
Elle ôta les vêtements dont elle sétait enveloppé les épaules, devant la glace, afin de[25] se voir encore une fois dans sa gloire. Mais soudain elle poussa un cri[26]. Elle navait plus sa rivière autour du cou!
Son mari demanda:
Quest-ce que tu as?
Elle se tourna vers lui:
Jai jai je nai plus la rivière de Mme Forestier.
Quoi!.. comment!.. Ce nest pas possible! Tu es sûre[27] que tu lavais encore en quittant le bal?
Oui, je lai touchée dans le vestibule du ministère.
Elle doit être dans le fiacre.
Oui. Cest probable. As-tu pris le numéro?
Non. Et toi, tu ne las pas regardé?
Non.
Je vais, dit-il, refaire tout le trajet que nous avons fait à pied, pour voir si je ne la retrouverai pas.
Et le mari sortit. Il rentra vers sept heures et il navait rien trouvé.
Il se rendit à la Préfecture de police[28], aux journaux, pour faire promettre une récompense.
Elle attendit tout le jour. Loisel revint le soir, avec la figure pâlie; il navait rien découvert.
Il faut, dit-il, écrire à ton amie que tu as brisé la fermeture de sa rivière et que tu la fais réparer[29]. Cela nous donnera le temps de nous retourner.
Elle écrivit sous sa dictée[30].
Au bout dune semaine[31], ils avaient perdu toute espérance.
Et Loisel, vieilli de cinq ans, déclara:
Il faut aviser à remplacer ce bijou.
Ils prirent, le lendemain, la boîte qui lavait renfermé, et se rendirent chez le joaillier, dont le nom se trouvait dedans. Il consulta ses livres:
Ce nest pas moi, madame, qui ai vendu cette rivière; jai dû seulement fournir lécrin.
Alors ils allèrent de bijoutier en bijoutier, cherchant une parure pareille à lautre.
Ils trouvèrent, dans une boutique du Palais Royal, un chapelet de diamants qui leur parut entièrement semblable à celui quils cherchaient[32]. Il valait quarante mille francs. Ils prièrent donc le joaillier de ne pas le vendre avant trois jours[33].
Loisel possédait dix-huit mille francs que lui avait laissés son père. Il emprunterait le reste.
Quand Mme Loisel reporta la parure à Mme Forestier, celle-ci lui dit, dun air froissé:
Tu aurais dû me la rendre plus tôt, car, je pouvais en avoir besoin.
Elle nouvrit pas lécrin, ce que redoutait son amie.
Mme Loisel connut la vie horrible des nécessiteux. Il fallait payer cette dette effroyable. Elle payerait.
Elle connut les gros travaux du ménage, les odieuses besognes de la cuisine.
Il fallait chaque mois payer des billets, en renouveler dautres, obtenir du temps.