«Cependant nous sommes encore, relativement à limmensité de lunivers, très voisins de ta patrie.
«Tu reconnais toujours votre soleil, là-bas, toute petite étoile. Nous ne sommes pas sortis de lunivers auquel il appartient avec son système de planètes.
«Cet univers se compose de plusieurs milliards de soleils, séparés les uns des autres par des trillions de lieues.
«Son étendue est si considérable, quun éclair, à la vitesse de trois cent mille kilomètres par seconde, emploierait quinze mille ans à le traverser.
«Et partout, partout des soleils, de quelque côté que nous dirigions nos regards; partout des sources de lumière, de chaleur et de vie, sources dune variété inépuisable, soleils de tout éclat, de toutes grandeurs, de tout âge, soutenus dans le vide éternel, dans léther luminifère, par lattraction mutuelle de tous et par le mouvement de chacun. Chaque étoile, soleil énorme, tourne sur elle-même comme une sphère de feu et vogue vers un but. Votre soleil marche et vous emporte vers la constellation dHercule, celui dont nous venons de traverser le système marche vers le sud des Pléiades, Sirius se précipite vers la Colombe, Pollux sélance vers la Voie lactée, tous ces millions, tous ces milliards de soleils courent à travers limmensité avec des vitesses qui atteignent deux, trois et quatre cent mille mètres par seconde! Cest le Mouvement qui soutient léquilibre de lunivers, qui en constitue lorganisation, lénergie et la vie.»
III
Depuis longtemps déjà le système tricolore avait fui sous notre essor. Nous passâmes dans le voisinage dun grand nombre de mondes bien différents de la patrie terrestre. Les uns me parurent entièrement couverts deau et peuplés dêtres aquatiques, les autres uniquement peuplés de plantes. Nous nous arrêtâmes près de plusieurs. Quelle inimaginable variété!
Sur lun dentre eux, tous les habitants me parurent particulièrement beaux. Uranie mapprit que lorganisation y est toute différente de celle des enfants de la Terre et que lêtre humain y perçoit les opérations physico-chimiques qui saccomplissent dans lentretien du corps. Dans notre organisme terrestre, nous ne voyons pas comment, par exemple, les aliments absorbés sassimilent, comment le sang, les tissus, les os, se renouvellent; toutes les fonctions saccomplissent instinctivement, sans que la pensée les perçoive. Aussi subit-on mille maladies, dont lorigine est cachée et souvent introuvable. Là, lêtre humain sent les actes de son entretien vital, comme nous sentons un plaisir ou une douleur. De chaque molécule du corps, pour ainsi dire, part un nerf qui transmet au cerveau les impressions variées quelle reçoit. Si lhomme terrestre était doué dun pareil système nerveux, en plongeant ses regards dans lorganisme par lintermédiaire des nerfs, il verrait comment laliment se transforme en chyle, celui-ci en sang, le sang en chair, en substance musculaire, nerveuse, etc.: il se verrait lui-même. Mais nous en sommes loin, le centre animique de nos perceptions étant embarrassé par les nerfs multipliés des lobes cérébraux et des couches optiques.
Sur un autre globe que nous traversâmes pendant la nuit, cest-à-dire du côté de son hémisphère nocturne, les yeux humains sont organisés de telle sorte quils sont lumineux, quils éclairent, comme si quelque émanation phosphorescente irradiait de leur étrange foyer. Une réunion nocturne composée dun grand nombre de personnes offre un aspect véritablement fantastique, parce que la clarté comme la couleur des yeux changent suivant les passions diverses qui les animent. De plus, la puissance de ces regards est telle quils exercent une influence électrique et magnétique dune intensité variable, et quen certains cas ils peuvent foudroyer, faire tomber morte la victime sur laquelle se fixe toute lénergie de leur volonté.
Un peu plus loin, mon guide céleste me signala un monde où les organismes jouissent dune faculté précieuse, cest que lâme peut changer de corps sans passer par la circonstance de la mort, souvent désagréable, et toujours triste. Un savant qui a travaillé toute sa vie pour linstruction de lhumanité et voit arriver la fin de ses jours sans avoir pu terminer ses nobles entreprises, peut changer de corps avec un jeune adolescent et recommencer une nouvelle vie, plus utile encore que la première. Il suffit, pour cette transmigration, du consentement de ladolescent et de lopération magnétique dun médecin compétent. On voit aussi parfois deux êtres, unis par les liens si doux et si forts de lamour, opérer un pareil échange de corps après plusieurs années dunion: lâme de lépoux vient habiter le corps de lépouse, et réciproquement, pour le reste de leur existence. Lexpérience intime de la vie devient incomparablement plus complète pour chacun deux. On voit aussi des savants, des historiens, désireux de vivre deux siècles au lieu dun, se plonger dans des sommeils factices dhibernation artificielle qui suspend leur vie la moitié de chaque année et même davantage. Quelques-uns même parviennent à vivre trois fois plus longtemps que la vie normale des centenaires.
Quelques instants après, traversant un autre système, nous rencontrâmes un genre dorganisations tout autre encore et assurément supérieur au nôtre. Chez les habitants de la planète que nous avions alors sous les yeux, monde éclairé par un brillant soleil hydrogéné, la pensée nest pas obligée de passer par la parole pour se manifester. Combien de fois ne nous est-il pas arrivé, lorsquune idée lumineuse ou ingénieuse vient doccuper notre cerveau, de vouloir lexprimer ou lécrire, et, pendant le temps que nous commençons à parler ou à écrire, de sentir déjà lidée dissipée, envolée, obscurcie ou métamorphosée? Les habitants de cette planète ont un sixième sens, que lon pourrait appeler autotélégraphique, en vertu duquel, quand lauteur ne sy oppose pas, la pensée se communique au dehors et peut se lire sur un organe qui occupe à peu près la place de votre front. Ces conversations silencieuses sont souvent les plus profondes et les plus précises; elles sont toujours les plus sincères.
Nous sommes naïvement disposés à croire que lorganisation humaine ne laisse rien à désirer sur la Terre. Pourtant, navons-nous jamais regretté dêtre obligé dentendre malgré nous des paroles désagréables, un discours absurde, un sermon gonflé de vide, de la mauvaise musique, des médisances ou des calomnies? Nos grammaires ont beau prétendre que nous pouvons «fermer loreille» à ces discours, il nen est malheureusement rien. Vous ne pouvez pas fermer vos oreilles comme vos yeux. Il y a là une lacune. Jai été fort surpris de remarquer une planète où la nature na pas oublié ce détail. Comme nous nous y arrêtions un instant, Uranie me signala ces oreilles qui se fermaient ainsi que des paupières. «Il y a là, me dit-elle, bien moins de sourdes colères que chez vous, mais les divisions entre les partis politiques y sont beaucoup plus accusées, les adversaires ne voulant rien entendre, et y réussissant effectivement malgré les avocats les plus loquaces.»
Sur un autre monde, dans lequel le phosphore joue un grand rôle, dont latmosphère est constamment électrisée, dont la température est fort élevée, et où les habitants nont guère eu aucune raison suffisante dinventer des vêtements, certaines passions se traduisent par lillumination dune partie du corps. Cest en grand ce qui se passe en petit dans nos prairies terrestres, où lon voit, pendant les douces soirées dété, les vers luisants se consumer silencieusement dans une flamme amoureuse. Laspect des couples lumineux est curieux à observer le soir dans les grandes villes. La couleur de la phosphorescence diffère suivant les sexes, et lintensité varie suivant les âges et les tempéraments. Le sexe fort brûle dune flamme rouge plus ou moins ardente, et le sexe gracieux dune flamme bleuâtre, parfois pâle et discrète. Nos vers luisants seuls seraient aptes à se former une idée, très rudimentaire, de la nature des impressions ressenties par ces êtres spéciaux. Je nen croyais pas mes yeux lorsque nous traversions latmosphère de cette planète. Mais je fus encore plus surpris en arrivant sur le satellite de ce singulier monde.