Луи Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке стр 11.

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« Nous devrions envoyer là-bas tout de suite une autre reconnaissance et du même côté! Tout de suite! saffairait le capitaine Ortolan décidément excité. Ces deux bougres ont dû venir se perdre par ici, mais il doit y en avoir encore dautres derrière Tenez, vous, brigadier Bardamu, allez-y donc avec vos quatre hommes! »

Cest à moi quil sadressait le capitaine.

Cest à moi quil sadressait le capitaine.

« Et quand ils vous tireront dessus, eh bien tâchez de les repérer et venez me dire tout de suite où ils sont! Ce doit être des Brandebourgeois!.. »

Ceux de lactive racontaient quau quartier, en temps de paix, il napparaissait presque jamais le capitaine Ortolan. Par contre, à présent, à la guerre, il se rattrapait ferme. En vérité, il était infatigable. Son entrain, même parmi tant dautres hurluberlus, devenait de jour en jour plus remarquable. Il prisait de la cocaïne quon racontait aussi. Pâle et cerné, toujours agité sur ses membres fragiles, dès quil mettait pied à terre, il chancelait dabord et puis il se reprenait et arpentait rageusement les sillons en quête dune entreprise de bravoure. Il nous aurait envoyés prendre du feu à la bouche des canons den face. Il collaborait avec la mort. On aurait pu jurer quelle avait un contrat avec le capitaine Ortolan.

La première partie de sa vie (je me renseignai) sétait passée dans les concours hippiques à sy casser les côtes, quelques fois lan. Ses jambes, à force de les briser aussi et de ne plus les faire servir à la marche, en avaient perdu leurs mollets. Il navançait plus Ortolan quà pas nerveux et pointus comme sur des triques. Au sol, dans la houppelande démesurée, voûté sous la pluie, on laurait pris pour le fantôme arrière dun cheval de course.

Notons quau début de la monstrueuse entreprise, cest-à-dire au mois daoût, jusquen septembre même, certaines heures, des journées entières quelquefois, des bouts de routes, des coins de bois demeuraient favorables aux condamnés On pouvait sy laisser approcher par lillusion dêtre à peu près tranquille et croûter par exemple une boîte de conserve avec son pain, jusquau bout, sans être trop lancinés par le pressentiment que ce serait la dernière. Mais à partir doctobre ce fut bien fini ces petites accalmies, la grêle devint de plus en plus épaisse, plus dense, mieux truffée, farcie dobus et de balles. Bientôt on serait en plein orage et ce quon cherchait à ne pas voir serait alors en plein devant soi et on ne pourrait plus voir quelle: sa propre mort.

La nuit, dont on avait eu si peur dans les premiers temps, en devenait par comparaison assez douce. Nous finissions par lattendre, la désirer la nuit. On nous tirait dessus moins facilement la nuit que le jour. Et il ny avait plus que cette différence qui comptait.

Cest difficile darriver à lessentiel, même en ce qui concerne la guerre, la fantaisie résiste longtemps.

Les chats trop menacés par le feu finissent tout de même par aller se jeter dans leau.

On dénichait dans la nuit çà et là des quarts dheure qui ressemblaient assez à ladorable temps de paix, à ces temps devenus incroyables, où tout était bénin, où rien au fond ne tirait à conséquence, où saccomplissaient tant dautres choses, toutes devenues extraordinairement, merveilleusement agréables. Un velours vivant, ce temps de paix

Mais bientôt les nuits, elles aussi, à leur tour, furent traquées sans merci. Il fallut presque toujours la nuit faire encore travailler sa fatigue, souffrir un petit supplément, rien que pour manger, pour trouver le petit rabiot de sommeil dans le noir. Elle arrivait aux lignes davant-garde la nourriture, honteusement rampante et lourde, en longs cortèges boiteux de carrioles précaires, gonflées de viande, de prisonniers, de blessés, davoine, de riz et de gendarmes et de pinard aussi, en bonbonnes le pinard, qui rappellent si bien la gaudriole, cahotantes et pansues.

À pied, les traînards derrière la forge et le pain et des prisonniers à nous, des leurs aussi, en menottes, condamnés à ceci, à cela, mêlés, attachés par les poignets à létrier des gendarmes, certains à fusiller demain, pas plus tristes que les autres. Ils mangeaient aussi ceuxlà, leur ration de ce thon si difficile à digérer (ils nen auraient pas le temps) en attendant que le convoi reparte, sur le rebord de la route et le même dernier pain avec un civil enchaîné à eux, quon disait être un espion, et qui nen savait rien. Nous non plus.

La torture du régiment continuait alors sous la forme nocturne, à tâtons dans les ruelles bossues du village sans lumière et sans visage, à plier sous des sacs plus lourds que des hommes, dune grange inconnue vers lautre, engueulés, menacés, de lune à lautre, hagards, sans lespoir décidément de finir autrement que dans la menace, le purin et le dégoût davoir été torturés, dupés jusquau sang par une horde de fous vicieux devenus incapables soudain dautre chose, autant quils étaient, que de tuer et dêtre étripés sans savoir pourquoi.

Vautrés à terre entre deux fumiers, à coups de gueule, à coups de bottes, on se trouvait bientôt relevés par la gradaille et relancés encore un coup vers dautres chargements du convoi, encore.

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