Луи Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке стр 10.

Шрифт
Фон

Et nous voilà dès lors partis du côté du canon et sans se faire prier tous les cinq. On aurait dit quon allait aux cerises. Cétait bien vallonné de ce côté-là. Cétait la Meuse, avec ses collines, avec des vignes dessus, du raisin pas encore mûr et lautomne, et des villages en bois bien séchés par trois mois dété, donc qui brûlaient facilement.

On avait remarqué ça nous autres, une nuit quon savait plus du tout où aller. Un village brûlait toujours du côté du canon. On en approchait pas beaucoup, pas de trop, on le regardait seulement dassez loin le village, en spectateurs pourrait-on dire, à dix, douze kilomètres par exemple. Et tous les soirs ensuite vers cette époque-là, bien des villages se sont mis à flamber à lhorizon, ça se répétait, on en était entourés, comme par un très grand cercle dune drôle de fête de tous ces pays-là qui brûlaient, devant soi et des deux côtés, avec des flammes qui montaient et léchaient les nuages.

On voyait tout y passer dans les flammes, les églises, les granges, les unes après les autres, les meules qui donnaient des flammes plus animées, plus hautes que le reste, et puis les poutres qui se redressaient tout droit dans la nuit avec des barbes de flammèches avant de chuter dans la lumière.

Ça se remarque bien comment que ça brûle un village, même à vingt kilomètres. Cétait gai. Un petit hameau de rien du tout quon apercevait même pas pendant la journée, au fond dune moche petite campagne, eh bien, on a pas idée la nuit, quand il brûle, de leffet quil peut faire! On dirait NotreDame! Ça dure bien toute une nuit à brûler un village, même un petit, à la fin on dirait une fleur énorme, puis, rien quun bouton, puis plus rien.

Ça fume et alors cest le matin.

Les chevaux quon laissait tout sellés, dans les champs à côté de nous, ne bougeaient pas. Nous, on allait roupiller dans lherbe, sauf un, qui prenait la garde, à son tour, forcément. Mais quand on a des feux à regarder la nuit passe bien mieux, cest plus rien à endurer, cest plus de la solitude.

Malheureux quils nont pas duré les villages Au bout dun mois, dans ce canton-là, il ny en avait déjà plus. Les forêts, on a tiré dessus aussi, au canon. Elles nont pas existé huit jours les forêts. Ça fait encore des beaux feux les forêts, mais ça dure à peine.

Après ce temps-là, les convois dartillerie prirent toutes les routes dans un sens et les civils qui se sauvaient, dans lautre.

En somme, on ne pouvait plus, nous, ni aller, ni revenir; fallait rester où on était.

On faisait queue pour aller crever. Le général même ne trouvait plus de campements sans soldats. Nous finîmes par coucher tous en pleins champs, général ou pas. Ceux qui avaient encore un peu de cœur lont perdu. Cest à partir de ces mois-là quon a commencé à fusiller des troupiers pour leur remonter le moral, par escouades, et que le gendarme sest mis à être cité à lordre du jour pour la manière dont il faisait sa petite guerre à lui, la profonde, la vraie de vraie.

Après un repos, on est remontés à cheval, quelques semaines plus tard, et on est repartis vers le nord. Le froid lui aussi vint avec nous. Le canon ne nous quittait plus. Cependant, on ne se rencontrait guère avec les Allemands que par hasard, tantôt un hussard ou un groupe de tirailleurs, par-ci, par-là, en jaune et vert, des jolies couleurs. On semblait les chercher, mais on sen allait plus loin dès quon les apercevait. À chaque rencontre, deux ou trois cavaliers y restaient, tantôt à eux, tantôt à nous. Et leurs chevaux libérés, étriers fous et clinquants, galopaient à vide et dévalaient vers nous de très loin avec leurs selles à troussequins bizarres, et leurs cuirs frais comme ceux des portefeuilles du jour de lan. Cest nos chevaux quils venaient rejoindre, amis tout de suite. Bien de la chance! Cest pas nous quon aurait pu en faire autant!

Un matin en rentrant de reconnaissance, le lieutenant de SainteEngence invitait les autres officiers à constater quil ne leur racontait pas des blagues. « Jen ai sabré deux! » assurait-il à la ronde, et montrait en même temps son sabre où, cétait vrai, le sang caillé comblait la petite rainure, faite exprès pour ça.

« Il a été épatant! Bravo, Sainte-Engence!.. Si vous laviez vu, messieurs! Quel assaut! » lappuyait le capitaine Ortolan.

Cétait dans lescadron dOrtolan que ça venait de se passer.

« Je nai rien perdu de laffaire! Je nen étais pas loin! Un coup de pointe au cou en avant et à droite!.. Toc! Le premier tombe!.. Une autre pointe en pleine poitrine!.. À gauche! Traversez! Une véritable parade de concours, messieurs!.. Encore bravo, Sainte-Engence! Deux lanciers! À un kilomètre dici! Les deux gaillards y sont encore! En pleins labours! La guerre est finie pour eux, hein, Sainte-Engence?.. Quel coup double! Ils ont dû se vider comme des lapins! »

Le lieutenant de Sainte-Engence, dont le cheval avait longuement galopé, accueillait les hommages et compliments des camarades avec modestie. À présent quOrtolan sétait porté garant de lexploit, il était rassuré et il prenait du large, il ramenait sa jument au sec en la faisant tourner lentement en cercle autour de lescadron rassemblé comme sil se fût agi des suites dune épreuve de haies.

Ваша оценка очень важна

0
Шрифт
Фон

Помогите Вашим друзьям узнать о библиотеке

Скачать книгу

Если нет возможности читать онлайн, скачайте книгу файлом для электронной книжки и читайте офлайн.

fb2.zip txt txt.zip rtf.zip a4.pdf a6.pdf mobi.prc epub ios.epub fb3

Популярные книги автора