Луи Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке стр 5.

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 Et alors, nom de Dieu!

 Et voilà! Mon colonel

 Cest tout?

 Oui, cest tout, mon colonel.

 Et le pain? » demanda le colonel.

Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien quil a eu le temps de dire tout juste: « Et le pain? » Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces bruits comme on ne croirait jamais quil en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que cétait fini, que jétais devenu du feu et du bruit moi-même.

Et puis non, le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête, et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelquun vous les secouait de par-derrière. Ils avaient lair de me quitter et puis ils me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant longtemps, lodeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre entière.

Tout de suite après ça, jai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait déclater comme lautre nous lavait appris. Cétait une bonne nouvelle. Tant mieux! que je pensais tout de suite ainsi: « Cest une bien grande charogne en moins dans le régiment! » Il avait voulu me faire passer au Conseil pour une boîte de conserve. « Chacun sa guerre! » que je me dis. De ce côté-là, faut en convenir, de temps en temps, elle avait lair de servir à quelque chose la guerre! Jen connaissais bien encore trois ou quatre dans le régiment, de sacrés ordures que jaurais aidés bien volontiers à trouver un obus comme Barousse.

Quant au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il était mort. Je ne le vis plus, tout dabord. Cest quil avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par lexplosion et projeté jusque dans les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils sembrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours mais le cavalier navait plus sa tête, rien quune ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ça avait dû lui faire du mal ce coup-là au moment où cétait arrivé. Tant pis pour lui! Sil était parti dès les premières balles, ça ne lui serait pas arrivé.

Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble.

Des obus éclataient encore à la droite et à la gauche de la scène.

Jai quitté ces lieux sans insister, joliment heureux davoir un aussi beau prétexte pour foutre le camp. Jen chantonnais même un brin, en titubant, comme quand on a fini une bonne partie de canotage et quon a les jambes un peu drôles. « Un seul obus! Cest vite arrangé les affaires tout de même avec un seul obus », que je me disais. « Ah! dis donc! que je me répétais tout le temps. Ah! dis donc!.. »

Il ny avait plus personne au bout de la route. Les Allemands étaient partis. Cependant, javais appris très vite ce coup-là à ne plus marcher désormais que dans le profil des arbres. Javais hâte darriver au campement pour savoir sil y en avait dautres au régiment qui avaient été tués en reconnaissance. Il doit y avoir des bons trucs aussi, que je me disais encore, pour se faire faire prisonnier!.. Çà et là des morceaux de fumée âcre saccrochaient aux mottes. « Ils sont peut-être tous morts à lheure actuelle? que je me demandais. Puisquils ne veulent rien comprendre à rien, cest ça qui serait avantageux et pratique quils soient tous tués très vite Comme ça on en finirait tout de suite On rentrerait chez soi On repasserait peut-être place Clichy en triomphe Un ou deux seulement qui survivraient Dans mon désir Des gars gentils et bien balancés, derrière le général, tous les autres seraient morts comme le colon Comme Barousse comme Vanaille (une autre vache) etc. On nous couvrirait de décorations, de fleurs, on passerait sous lArc de Triomphe. On entrerait au restaurant, on vous servirait sans payer, on payerait plus rien, jamais plus de la vie! On est les héros! quon dirait au moment de la note Des défenseurs de la Patrie! Et ça suffirait!.. On payerait avec des petits drapeaux français!.. La caissière refuserait même largent des héros et même elle vous en donnerait, avec des baisers quand on passerait devant sa caisse. Ça vaudrait la peine de vivre. »

Je maperçus en fuyant que je saignais du bras, mais un peu seulement, pas une blessure suffisante du tout, une écorchure. Cétait à recommencer.

Il se remit à pleuvoir, les champs des Flandres bavaient leau sale. Encore pendant longtemps je nai rencontré personne, rien que le vent et puis peu après le soleil. De temps en temps, je ne savais doù, une balle, comme ça, à travers le soleil et lair me cherchait, guillerette, entêtée à me tuer, dans cette solitude, moi. Pourquoi? Jamais plus, même si je vivais encore cent ans, je ne me promènerais à la campagne. Cétait juré.

En allant devant moi, je me souvenais de la cérémonie de la veille. Dans un pré quelle avait eu lieu cette cérémonie, au revers dune colline; le colonel avec sa grosse voix avait harangué le régiment: « Haut les cœurs! quil avait dit Haut les cœurs! et vive la France! » Quand on a pas dimagination, mourir cest peu de chose, quand on en a, mourir cest trop. Voilà mon avis. Jamais je navais compris tant de choses à la fois.

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